Auteur : Fred Zimring.

Carl Rogers fut l’un des plus éminents psychologues américains de sa génération. Il avait de la nature humaine une conception peu commune à partir de laquelle il élabora une psychothérapie originale qui lui donna une vision personnelle de l’éducation… Ce texte est paru en 2000 dans “Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée” publiée par l’UNESCO.

Une certaine contradiction marque sa carrière. En effet, ses qualités personnelles ainsi que ses compétences en matière de psychologie sont largement reconnues, il est cité dans de nombreuses études comme l’un des psychologues américains les plus influents, et pourtant, sa démarche thérapeutique a provoqué de nombreuses controverses. Sa méthode était à l’image de l’idée qu’il se faisait de la nature humaine. Il considérait, en effet, que l’individu possède en lui une capacité de s’auto-actualiser qui, une fois libérée, lui permet de résoudre ses propres problèmes. Plutôt qu’agir en expert qui comprend le problème et décide de la façon dont il doit être résolu, le thérapeute doit, selon lui, libérer le potentiel que possède le patient (que Rogers préfère appeler « client ») pour résoudre par lui-même ses problèmes personnels. C’était là une conception de la thérapie qui ne pouvait que susciter la controverse, car elle allait à l’encontre de l’idée, généralement répandue au sein de la profession, que le patient, ou client, a besoin d’un spécialiste pour résoudre ses problèmes. C’est la même conception de la nature humaine qui a inspiré ses écrits sur l’éducation, dans lesquels il affirme que l’élève a des motivations et des enthousiasmes qu’il appartient à l’enseignant de libérer et de favoriser. On comprendra peut-être mieux la pensée de Rogers lorsqu’on saura qu’il est né dans une famille du Middle West américain où les valeurs rurales étaient à l’honneur. Certaines de ces valeurs qui prônent l’initiative comme vecteur d’autonomie ont pu faire naître chez Rogers la conviction que l’individu agira toujours pour son bien si on ne l’oblige pas à se conformer à l’apprentissage dicté par la société. L’expérience acquise par Rogers en milieu rural l’avait convaincu de la vigueur et du caractère inéluctable de la croissance, ou germination, des éléments naturels. Sur le plan intellectuel, sa formation a été dominée par l’empirisme de John Dewey et les principes théologiques du libéralisme protestant défendu, notamment, par Paul Tillich, qui mettaient l’accent sur la dimension intérieure de l’expérience religieuse.