Empathie silencieuse

Anne Rami

UNE EMPATHIE SILENCIEUSE

J’étais en conversation avec une amie, à l’angle d’une petite rue.
Passe, rapidement à côté de nous, au milieu de la rue, un jeune homme vif, au teint
brun, accompagné d’une « chienne-loup » et d’un superbe chiot. La chienne est collée au
pas du jeune homme et le chiot suit à distance avec une évidente soumission apeurée.

Cependant, le chiot vient se placer entre mon amie et moi, s’assied entre nous comme pour
se cacher de son maître. Le jeune homme se retourne alors, l’appelle fortement ; le chiot ne
bougeant pas, nous insulte grossièrement. Mon amie répond à ses insultes, et
immédiatement l’envie me vient de la faire taire, je me sens comme devant « une personne
écorchée vive ». Il nous crie, toujours en nous injuriant : « je suis SDF et mes chiens ne
doivent connaître que moi, ne le touchez pas ». Là, j’incite fortement mon amie à ne pas
répondre. Nous n’avons pas touché le chiot.

Puis le chiot le rejoint la queue basse ; quelques pas plus loin, une autre personne vivant la
même expérience que nous, répond à ce jeune homme par des propos racistes.
Le jeune homme prend le chiot dans ses bras comme un enfant le ferait. Puis il repasse
devant nous en nous partageant les injures racistes qu’il a reçues et s’en va avec le chiot
suivi de près par la mère.

Comme si j’avais pressenti immédiatement la souffrance de ce jeune homme, sans me
laisser leurrer par les injures et le comportement du chiot, cette rencontre m’a fait vivre en
silence, une émotion d’empathie libre de tout préjugé, similaire à ce dont parle Romain Gary
tout au long de son œuvre : « Dès que j’entends dans la voix d’un homme, cet accent de
souffrance haineuse, je me prosterne avec sympathie et jubilation… C’est un frère. » (L’affaire
Homme, p. 39)