Résumé
Comment évaluer le futur psychothérapeute durant sa formation ? La question se pose pour toutes les écoles de psychothérapie, mais elle prend un relief particulier pour la formation à l’Approche centrée sur la personne (ACP) car celle-ci repose sur l’intégration d’aptitudes liées au savoir-être et parce que la philosophie rogérienne est en profonde contradiction avec la notion d’évaluation extérieure. Nous verrons que le seul modèle viable et cohérent est celui de l’auto-évaluation mais que celle-ci n’a de sens que si elle est conduite dans un contexte psychologique non défensif et d’ouverture à soi-même.
Introduction
Pourquoi le besoin d’une évaluation des futurs psychopraticiens ? Il y a d’abord bien sûr les pressions réglementaires et institutionnelles. Il y aussi des objectifs pédagogiques : l’évaluation devrait faire partie intégrante de n’importe quel processus d’apprentissage puisqu’elle permet aux stagiaires de mesurer leurs points forts, leurs faiblesses et les zones d’opportunité comme on dit aujourd’hui. Elle est en même temps un outil utile pour le formateur qui, grâce à ce feedback, peut réguler sa méthode d’enseignement et l’adapter aux besoins des participants.
Au delà de ces raisons de fond, l’évaluation des apprentis psychothérapeutes est nécessaire pour une question de cohérence et d’honnêteté vis-à-vis de la communauté. Il est en effet logique que la pratique d’un psychothérapeute soit en accord avec le cadre de référence théorique dont il se réclame. Si un patient souhaite travailler avec une approche psychocorporelle, il attend de son thérapeute que ce dernier ait étudié Reich et Lowen, de la même manière qu’un client qui choisit un thérapeute rogérien est en droit d’expérimenter un véritable processus psychothérapeutique centré sur la personne.
Dans la réalité, il n’en est pas toujours ainsi. Untel peut professer des principes philosophiques et ne pas les appliquer à l’heure de la praxis. Par exemple, un praticien peut être convaincu de la valeur de l’empathie et pourtant ne pas développer beaucoup d’empathie vis-à-vis de ses clients. Un autre peut croire en la tendance actualisante et se révéler très directif durant la séance et diriger le processus de la thérapie. Un psychothérapeute peut se considérer centré sur la personne mais avoir tendance à se centrer sur le problème ou la recherche d’une solution avec ses clients.
Certains objecteront avec juste raison que, dans le secret du cabinet, le fait que le thérapeute ne soit pas fidèle à son cadre théorique de référence n’a aucune importance pour le client qui généralement se fiche bien de la formation de son psychothérapeute. Le plus souvent il ne connaît même pas la différence entre un psychologue, un psychothérapeute et un psychopraticien, et encore moins les différences entre les écoles de thérapie. Il est venu le plus souvent par recommandation, et la relation qu’il créé avec son thérapeute est totalement intuitu personae. Plusieurs études ont d’ailleurs démontré que plus les psychothérapeutes avancent en expérience, plus ils partagent une pratique similaire entre eux alors même qu’ils appartiennent à des écoles différentes. Une autre conclusion de ces études montre qu’il existe plus de différences entre un thérapeute débutant et un thérapeute expérimenté appartenant à un même courant que entre deux psychothérapeutes expérimentés appartenant à des écoles différentes².
N’oublions pas non plus que la plupart des psychothérapeutes, surtout ceux qui se sont formés à plusieurs méthodes, ont développé un style très personnel assez éloigné d’une pratique “orthodoxe”. Combien de psychanalystes ont abandonné le divan pour le fauteuil? Combien d’autres ont renoncé à la neutralité bienveillante ou à l’association libre et assument un face-à-face interactif avec leurs patients? Combien de gestaltistes utilisent des techniques psychocorporelles? Les praticiens de l’Approche centrée sur la personne (ACP) ne sont pas en reste et il n’est pas rare de rencontrer des thérapeutes qui se disent rogériens mais qui introduisent dans leur pratique des techniques de relaxation ou autre, considérant implicitement que, si les six conditions facilitatrices rogériennes sont nécessaires, elles ne sont pas pour autant suffisantes (3).
La particularité de l’apprentissage de l’ACP
En fait, la question de la cohérence entre théorie et pratique ne se pose donc pas pour l’exercice de la psychothérapie qui est somme toute une affaire personnelle. Le problème concerne essentiellement la formation de la psychothérapie dont la finalité didactique est de transmettre non seulement des connaissances ou une technique (comme pour la plupart des enseignements classiques), mais également une certaine vision de l’être humain. Un courant de psychothérapie telle que l’Approche centrée sur la personne est un vaste cadre de référence cohérent qui comprend au moins quatre niveaux de connaissance étroitement reliés et indissociables : une philosophie, une théorie, une méthodologie et un savoir-faire. Le défi est donc de former les étudiants à ce mini paradigme, de leur donner un socle théorico-pratique solide afin qu’ils puissent s’y référer dans leur pratique future.
La connaissance du cadre théorique dans lequel s’inscrit une pratique thérapeutique est fondamentale car elle permet au futur praticien de savoir ce qu’il fait et pourquoi il le fait, de réfléchir sur ses interventions et de se situer dans le vaste champ des écoles de psychothérapie. L’éventuelle superposition de concepts d’origines diverses n’est pas un problème en soi, mais le sont les amalgames qui conduisent à un « toutisme » réducteur de style « Tout se vaut », « Tout ça, c’est la même chose », « Finalement, tout se ramène à… ».
Non, toutes les pratiques ne se ressemblent pas et tous les cadres théoriques ne sont pas identiques, loin de là. Chaque école est sous-tendue par une anthropologie particulière et la formation à la psychothérapie a la responsabilité de transmettre non seulement une méthodologie et des habiletés, mais également le cadre philosophique auquel elles appartiennent. Rappelons qu’une école de thérapie s’inscrit dans une filiation et que la responsabilité des organismes de formation est de maintenir vivaces les prémisses des fondateurs. Pratiquement tous les courants thérapeutiques se sont diffusés à partir d’un institut initial créé par le fondateur et qui se veut le garant de « l’orthodoxie ». Ce n’est pas le cas de l’Approche centrée sur la personne (ACP) car Rogers (étonnamment ou humblement) n’a jamais souhaité l’existence d’une telle institution. L’une des conséquences de ce choix est qu’il oblige implicitement les organismes de formation à l’ACP à se responsabiliser d’une transmission la plus fidèle possible de son héritage, au risque d’ailleurs pour certains de devenir plus royalistes que le roi(4).
Dans le cas de l’ACP, la mise en œuvre de cette transmission revêt une difficulté particulière car la psychothérapie centrée sur le client n’est pas une méthode, mais une philosophie qui va constituer la base du savoir-faire et du savoir-agir du futur thérapeute, les techniques n’étant qu’une instrumentalisation des attitudes et des valeurs du thérapeute.
Or, l’enseignement d’un savoir-être est aussi difficile à mettre en œuvre que son évaluation. Les attitudes (ou « qualité de présence » dont parle Carl Rogers) ne peuvent pas être enseignées par un tiers. Elles ne peuvent être que le fruit d’un travail intime. Les attitudes se développent à l’intérieur de la personne par un lent travail de déconstruction cognitive, de masticage, de digestion, de transformation, de maturation et d’intégration à la personnalité. C’est une expérience intérieure, personnelle et subjective. Car rappelons-le, les valeurs et les croyances, y compris les convictions les plus intimes d’une personne ne sont pas la garantie d’une pratique en accord avec cette philosophie personnelle. Si l’intellect n’est pas intégré au reste de l’organisme, il y aura toujours incongruence entre ce qui est professé et ce qui est pratiqué. Une formation sérieuse à l’ACP est donc censée faciliter ce processus d’intégration afin que s’alignent les valeurs et les croyances du futur thérapeute avec sa qualité d’écoute.
C’est pour cette raison que la formation à l’Approche centrée sur la personne ne peut pas s’adapter au modèle des formations qui donnent priorité aux techniques. La spécificité de la formation à l’ACP est de créer les conditions d’une expérience intérieure afin de laisser germer et se développer, à leur rythme, les attitudes fondamentales d’un thérapeute centré sur la personne telles que l’empathie, la capacité compréhensive, le regard positif, la congruence, le respect des valeurs et croyances d’autrui, l’accueil inconditionnel de l’autre…
L’hétéro-évaluation n’est pas une garantie de qualité
Comment évaluer les compétences d’un étudiant en Approche centrée sur la personne?
L’évaluation externe (hétéro-évaluation) peut porter sur trois domaines.
Tout d’abord le savoir. On peut en effet facilement qualifier le niveau des connaissances théoriques d’un étudiant. C’est d’ailleurs l’évaluation la plus aisée à mettre en place, notamment à travers des examens, des questionnaires, des analyses de cas, des résumés de lecture, des présentations ou des exposés…
Ensuite, on peut évaluer le savoir-faire des écoutants, lors d’entretiens par exemple, à l’aide de grilles qui qualifient par item les compétences techniques :
– capacité de compréhension du contenu,
– capacité de compréhension des sentiments,
– capacité de reformulation,
– capacité à formuler une intervention facilitante,
– capacité à démarrer un entretien,
– capacité à y mettre fin,
– gestion du temps,
– gestion des silences, etc.
Il reste enfin le troisième domaine, les attitudes, qui sont elles aussi évaluables, même si c’est une tâche délicate à mettre en œuvre de la part du formateur ; mais il existe là encore des grilles qui permettent de qualifier l’attitude empathique, la capacité de congruence ou le degré de considération positive car finalement les attitudes sont largement reflétées à travers les interventions du thérapeute et son langage non verbal (style des interventions, ton de la voix, rhétorique, posture, gestes, mimiques, etc.).
Il ne s’agit donc pas d’une question de moyens car ceux-ci existent. Des instituts les pratiquent (5). La question est de savoir si ce modèle d’évaluation est en cohérence avec une pédagogie centrée sur la personne. Pour répondre à cette question, nous allons partir de plusieurs prémisses.
La première, c’est que dans le cadre de l’apprentissage de la psychothérapie, spécialement dans le cas de l’ACP, la pédagogie doit obligatoirement appliquer les principes qu’elle veut transmettre. L’adage « Pratiquer ce qui est professé » (la valeur de l’exemple) prend tout son sens dans ce contexte car la congruence est une notion clé de l’ACP. Le deuxième principe qui nous guide est la confiance que nous avons dans la capacité du participant à savoir s’autodéterminer à l’issue de sa formation et de décider s’il souhaite vraiment se consacrer à cette activité professionnelle et d’autre part le moment juste où il se sent prêt6. Une autre notion fondamentale est celle du centre d’évaluation (focus of evaluation) : le processus de thérapie centré sur la personne consiste à faciliter le passage d’une évaluation externe à un centre d’évaluation interne, autrement dit que l’individu (client ou apprenti-thérapeute) développe sa capacité autoréflexive et de congruence afin qu’il puisse faire des choix authentiques et honnêtes vis-à-vis de lui-même sans être soumis à l’influence d’une opinion extérieure ou à ses propres conditionnements. Il est donc crucial que le futur thérapeute, à travers sa formation et un travail personnel sur lui-même, ait vécu ce processus de différenciation d’avec autrui, c’est à dire la destruction de la symbiose d’avec l’environnement, ce que l’on appelle en d’autres termes l’individuation. Un autre principe primordial de la pédagogie ACP est celui de l’apprentissage significatif, ce qui implique un grand respect du rythme d’apprentissage et d’intégration de chacun. Enfin, et nous l’avons déjà évoqué, l’essentiel de la formation à l’ACP repose sur le développement d’une capacité d’écoute hors du commun basé sur le savoir-être et la qualité de présence.
Pour toutes ces raisons, l’hétéro-évaluation des étudiants en formation à la thérapie centrée sur le client est tout simplement inconcevable. Si la personne est digne de confiance comme le prône l’Approche centrée sur la personne, comment peut-elle être soumise à un contrôle extérieur ou à une évaluation objective d’un tiers. Si l’un des piliers de la philosophie de ACP est la subjectivité de la relation humaine, comment peut-on imaginer l’intromission d’un « expert » qualifiant cette intersubjectivité par définition unique et n’appartenant qu’aux intéressés eux-mêmes ? Si l’ACP est une philosophie et non pas une technique, comment évaluer objectivement l’instrumentalisation de cette manière d’être ?
Les partisans du contrôle argumentent que l’évaluation par un tiers devrait être obligatoire afin d’éviter le charlatanisme ou des pratiques iatrogéniques. Ils ont raison de pointer ce danger car la psychothérapie n’est pas exempte d’abus, de détournements éthiques, de mauvaises pratiques et dans le meilleur des cas d’une praxis qui n’est guère plus utile que le simple facteur temps ou l’effet placebo. La psychothérapie humaniste, qu’on le veuille ou non, a encore besoin de prouver son efficacité, d’asseoir sa légitimité face aux pouvoirs publics, l’institution universitaire et vis-à-vis d’autres courants plus solidement ancrés dans la société comme le comportementalisme ou la psychanalyse7.
Le problème ici, c’est que l’évaluation des étudiants en psychothérapie par le fait d’un tiers n’a jamais été une garantie de qualité. Tous les examens du monde n’empêcheront pas les dérives dans le futur exercice du thérapeute et malheureusement, l’évaluation des connaissances théoriques n’est pas non plus la garantie d’une pratique ad hoc. Car en quoi un contrôle des compétences méthodologiques est-il la garantie de l’établissement d’une relation soignante, transformatrice et porteuse de changements ? Les connaissances théoriques et techniques sont certes utiles – personne n’en doute – mais dans l’Approche centrée sur la personne, nous ne cherchons pas à former de bons techniciens mais plutôt des personnes capables d’être suffisamment sensibles pour accompagner un client à travers ses efforts vers plus de croissance. L’objectif est donc de former « aux qualités » de la relation qui dans notre approche est thérapeutique en soi (si celle-ci est bien menée). Les techniques ne font pas un processus psychothérapeutique et les connaissances théoriques encore moins. On ne souhaite en aucun cas former des experts de la psyché mais des experts de la relation. Il faut donc imaginer un système qui puisse évaluer cette capacité à savoir être dans une relation.
Vers un système d’auto-évaluation encadré
Cela nous oblige finalement à définir dans quel modèle de travail se situe la psychothérapie humaniste et l’ACP en particulier. La société et ses autorités aimeraient bien inscrire la psychothérapie dans un modèle médical, c’est à dire un contexte où le psychothérapeute, tout comme le médecin, analyse les symptômes de son patient, élabore un diagnostic et détermine une stratégie de guérison. On rentre alors dans une logique médicale où les symptômes sont le signe d’un problème qu’il faut résoudre, modèle assez proche d’ailleurs de la psychanalyse qui considère le patient souffrant d’une ou plusieurs névroses qu’il faut guérir. La psychothérapie humaniste n’appartient pas à ce modèle car elle ne considère pas la personne humaine comme malade mais comme ayant interrompu son processus de développement : les symptômes sont le langage d’un mal-être et la névrose un système d’adaptation ou de protection face à un environnement considéré comme hostile. Il ne s’agit pas de régler, de soigner ou de résoudre, mais de relancer le processus de croissance et de permettre à la tendance actualisante de faire son ouvrage. Nous sommes donc dans un modèle de réapprentissage, d’apprentissage tout court même, on pourrait presque dire un modèle éducatif.
Il est important de bien comprendre où l’on se situe, car si on s’inscrit dans un modèle médical, la porte est ouverte aux systèmes d’évaluation traditionnels basés sur une vision mécanique de l’être humain et l’on sort de la subjectivité dans laquelle se situe nécessairement le travail humain. Si nous souhaitons former des psychothérapeutes centrés sur la personne congruents et empathiques, c’est à dire des agents de croissance confiants dans la tendance actualisante de leurs futurs clients, nous devons générer un modèle d’apprentissage qui permette aux étudiants de développer leur propre centre d’évaluation interne à travers une intense expérience des relations humaines au sein d’un groupe et un véritable processus de psychothérapie personnelle. Car la maturité requise pour s’autoévaluer sainement, sans anxiété, sans honte ni culpabilité, n’est possible que si l’individu cesse de s’évaluer à l’aune de ses introjects, qu’il est débarrassé des conditionnements et des jugements édictées par son juge intérieur.
La philosophie de l’Approche centrée sur la personne (son anthropologie et sa conception de l’être humain) nous invite donc à définir un nouveau modèle d’évaluation pour les thérapeutes en formation. Au sein de l’institut ACP-France, il a été évoqué durant un temps l’évaluation par les pairs (co-évaluation), mais l’expérience a prouvé que ce système n’est pas satisfaisant, faute peut-être d’avoir mis en place des procédures concrètes d’inter-évaluation, mais aussi à cause, il faut le reconnaître, de la difficulté de mise en œuvre d’une telle méthodologie sachant que les camarades de formation, voire les facilitateurs eux-mêmes, n’ont pas nécessairement les qualités pédagogiques pour évaluer sans tomber dans le jugement. Or, le jugement dans ce domaine, parce qu’il touche à l’être, peut se révéler profondément blessant, d’autant plus que les participants en formation à la psychothérapie et en processus de développement personnel ont le plus souvent une sensibilité exacerbée. Par ailleurs, la critique extérieure, qu’elle émane des pairs ou des formateurs, reste une approbation ou une réprobation et cela conduit les participants à se protéger derrière un masque pour occulter leurs faiblesses ou leurs manques, à jouer le rôle du bon écoutant, éludant par là le travail intérieur d’authenticité et d’élargissement de la capacité d’expression personnelle et d’exposition.
Il semble donc que le seul modèle viable aujourd’hui est celui qui est basé sur l’auto-évaluation, mais à une condition : que cette auto-évaluation soit consciente, honnête et responsable. Il n’existe pas seulement le risque, bien réel dans certains cas, que l’auto-évaluation soit faite dans le but de tromper les formateurs, l’organisme ou les institutions concernées. Le risque est surtout que le stagiaire se dupe lui-même, car on le sait, il y a bien des manières de se tromper soi-même et d’être victime de ses propres zones aveugles. Il est donc essentiel de créer les conditions d’une auto-évaluation qui soit la plus authentique possible. Autrement dit, comme organisme de formation, nous avons la responsabilité de créer les conditions pour que les étudiants puissent évaluer concrètement leur cheminement intérieur, qu’ils se responsabilisent de leur choix, qu’ils assumer la place qu’ils veulent occuper dans la vie, en fin de compte qu’ils se déterminent sans jugement ni pression, en toute liberté intérieure.
Comment créer ce contexte idéal ? Voici quelques repères qu’il me semble important de prendre en compte dans la mise en place d’un système d’autoévaluation :
– La création d’un climat de bienveillance et d’acceptation du processus et du rythme de chacun. Cela devrait permettre aux participants de se sentir peu à peu libres d’être eux-mêmes et d’abandonner les masques protecteurs et défensifs.
– L’absence absolue de jugement de la part des facilitateurs quant aux interventions des participants dans le groupe de rencontre. Le facilitateur manifeste par là le regard positif inconditionnel qui est progressivement introjecté par les participants pour eux-mêmes.
– La mise en œuvre des conditions facilitatrices de la part des facilitateurs (respect, empathie, authenticité, congruence et regard positif) au sein des groupes de rencontre, mais aussi hors des séances de travail. Cela permet au participant d’adopter ces mêmes attitudes vis-à-vis de lui-même.
– L’exposition du facilitateur et sa capacité de remise en question car il adresse alors le message que l’erreur est humaine, respectable et même bienvenue.
– La pratique assidue de l’écoute à travers d’exercices (en relation duelle ou en triade). Ce n’est qu’à travers le cadre d’exercice structurés que l’étudiant peut mesurer l’évolution de sa capacité d’écoute, noter ses failles et ses progrès. Plus il pratique l’écoute, plus augmente la probabilité des prises de conscience au sujet de la qualité de ses interventions.
– L’incitation, voire l’obligation, de commencer un travail d’écoute à l’extérieur, dans des associations de type SOS-Amitié, La Porte Ouverte, l’accompagnement de personnes en fin de vie, etc. Cela confronte l’étudiant à des clients « du monde réel » tout en lui offrant une perspective nouvelle de l’écoute et un espace de supervision différent de celui de son organisme de formation. Au sein de cette nouvelle structure, il découvre de nouveaux critères pour évaluer sa pratique, notamment à l’aune de celle des autres bénévoles8.
– Un travail de psychothérapie personnelle. L’auto-évaluation ne sera honnête et responsable que si le participant a auparavant fait un travail personnel suffisant pour être au clair avec ses vrais désirs, s’il est libre de s’évaluer authentiquement, d’assumer ses failles et ses manques sans honte ni culpabilité et de se responsabiliser de ses carences afin d’y remédier.
– L’existence d’outils concrets invitant à la réflexion sur soi, sur le chemin parcouru et sur ses capacités. Cela va de la rédaction d’une autobiographie (initiation à l’introspection et au travail sur soi) à des travaux d’autoquestionnement, une réflexion écrite sur le parcours de formation, des grilles d’évaluation des attitudes et des compétences…
– L’existence d’espaces de supervision en individuel et en groupe.
Ces associations sont généralement rigoureuses dans le processus de sélection de leurs bénévoles. Elles offrent une petite formation à l’écoute basée sur les principes rogériens, contrôlent régulièrement la qualité d’écoute des bénévoles et disposent d’espaces de supervision obligatoires qui servent en outre de formation continue.
– Des entretiens avec les formateurs ou les facilitateurs, à tout moment durant la formation. Ceux-ci ont pour but, comme la supervision, de faciliter le processus d’apprentissage du regard sur soi.
Conclusion
Les procédures d’évaluation par le fait d’un tiers ne sont pas cohérentes avec la philosophie de l’Approche centrée sur la personne ni d’ailleurs avec la plupart des courants de psychothérapie. Les procédures d’évaluation par les pairs. c’est à dire par les camarades de promotion, ne sont pas vraiment efficaces, sauf de manière ponctuelle, car le jugement est souvent présent créant de l’angoisse inutile ou des attitudes défensives. Actuellement, et jusqu’à un changement des mentalités au sujet du concept d’évaluation (9), il semble que le seul modèle acceptable et pédagogiquement cohérent est celui de l’auto-évaluation.
Néanmoins, pour qu’elle soit efficace, l’auto-évaluation doit se dérouler dans un contexte propice et utiliser des outils concrets. Sans la mise en place de ces procédures, l’auto-évaluation ne risque d’être qu’un vœu pieu. Nous l’avons vu, la seule personne qui est capable de décider si elle est prête ou non à accompagner des clients est l’intéressé lui-même, mais encore faut-il lui offrir la circonstance favorable pour qu’elle apprenne à porter un regard sur elle-même et s’évaluer avec justesse et honnêteté, non dans un but punitif mais dans le cadre d’un processus continu d’auto-apprentissage.
Beaucoup d’opposants considèreront qu’il est vraiment dangereux de laisser l’intéressé remplir les deux rôles de juge et partie. C’est faire peu de cas de la sagesse de l’individu, et c’est aussi n’avoir aucune confiance dans le principe de l’autorégulation des organismes et des systèmes. Le psychopraticien évolue au sein d’un environnement particulier avec lequel il interagit et qui, d’une manière ou d’une autre, envoie son feedback. Le système thérapeute-environnement s’autorégule naturellement en fonction de ce qui est présent dans ce champ, qu’il s’agisse des besoins réels du thérapeute et de la réponse du milieu ambiant (les clients en particulier) et de ce qui se joue sur cette mince frontière. Le champ est sans doute l’évaluation la plus sage de toutes.
Pour avoir vécu durant de nombreuses années sur le continent américain, j’ai découvert avec surprise que le concept d’évaluation n’y est pas aussi diabolisé qu’en France. L’évaluation est une partie naturelle et constante de tous les programmes d’enseignement ou de formation, et elle fonctionne dans les deux sens, de la part des enseignants vis-à-vis des étudiants et aussi de la part des étudiants vis-à-vis de leurs professeurs ou même de l’institution, et ce dans une relation réciproque. L’évaluation n’est pas faite pour punir ni pointer du doigt les erreurs, mais en vue d’un soutien pour une amélioration. Les professeurs sont ouverts au feedback des élèves de même que les étudiants reçoivent leurs évaluations avec intérêt. Il me semble que l’évaluation en France, sans doute pour des raisons culturelles, a une connotation négative fortement teintée de jugement alors qu’outre-Atlantique, une évaluation est faite pour identifier les éventuelles carences dans le but d’y remédier.
1 Psychothérapeute, formateur, enseignant, fondateur de l’Instituto Mareotis (institut de formation à la psychothérapie humaniste au Mexique), Président d’ACP-France.
2 Voir Rogers (1951): Centered-Client Psychotherapy, chapitre IV.
3 Pour mémoire, rappelons le principe posé par Rogers selon lequel les conditions facilitatrices qu’il a définies sont « nécessaires et suffisantes » pour provoquer le changement (Rogers, 1951). Et n’oublions pas que ce principe est devenu l’un des principaux critères qui permet de définir la spécificité de l’Approche centrée sur la personne par rapport à d’autres écoles.
4 Il existe deux pièges. Le premier est celui des contresens sur la pensée de Rogers avec toutes les déviances que cela peut générer. Le deuxième est un excès de rigueur qui risque de scléroser l’Approche centrée sur la personne en l’enfermant dans un carcan intouchable alors même que Rogers a toujours prôné la remise en question de ses idées.
5 Un des courants de la pédagogie moderne considère qu’il faut passer d’un modèle centré sur la mesure et le contrôle à un modèle basé sur le jugement de type phénoménologique. Il est préconisé d’émettre clairement des jugements de valeur sur les aspects observables et sur des indices tangibles qui reflètent le développement de la compétence évaluée.
6 Cette idée n’est pas exclusive du courant rogérien et n’est pas nouvelle. Jacques Lacan considérait déjà que « le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même ».
7 Sur ces questions et celle de l’efficacité de la psychothérapie, voir Haudiquet X.: La profesión de psicoterapeuta, Revista Figura-Fondo, Otoño 2009, Nº 26, IHPG, p. 111.
Article mis à disposition par ACP-France avec l’accord de l’auteur
www.acpfrance.fr
Clément Haudiquet-Lamarque
Juin 2016