Quelle psychopathologie dans l’Approche centrée sur la personne?

Ni le diagnostic clinique, ni l’emploi d’un langage médical ou psychiatrique, ni le modèle médical de la maladie et du traitement ne s’accordent avec la philosophie de l’Approche centrée sur la personne. Et pourtant, il est possible de développer une approche de la psychopathologie en cohérence avec une pratique centrée sur le client.

Le point de vue de Elke Lambers (1990, sans autre référence-Voir sa bio ci-dessous).

 

Approche de la psychopathologie centrée sur la personne

Une approche de la psychopathologie centrée sur la personne

Par Elke Lambers

Introduction

L’Approche centrée sur la personne se caractérise par l’accent qu’elle met sur la relation entre client et thérapeute. Elle accorde une importance toute particulière à l’écoute du client, à l’attention qu’on lui porte et à l’acceptation inconditionnelle et exempte de jugement qu’on lui doit, ainsi qu’à la congruence et à la transparence du thérapeute. L’engagement du thérapeute consiste à considérer la personne du client comme étant le point de référence primordial, à adhérer au concept de la personne comme une totalité, à récuser l’exercice d’un contrôle ou dune autorité quelconque à l’égard du client (Mearns et Thorne, 1988, ref à Bozarth and Temner Brodley, 1936).

Ni le diagnostique clinique, ni l’emploi d’un langage médical ou psychiatrique, ni le modèle médical de la maladie et du traitement ne s’accordent avec la philosophie de base et avec le langage de l’approche centrée sur la personne. Par nature, notre tradition n’est pas foncièrement clinique et bien qu’à l’origine son oeuvre se soit développée dans un contexte clinique, Carl Rogers avait tendance à ne pas penser en termes cliniques et ne semblait pas particulièrement vouloir entrer dans ce domaine (Cain, 1989). Le fait que son intérêt se soit attaché de préférence à la relation et au processus thérapeute ne semble avoir fixé une norme pour d’autres praticiens centrés sur la personne et on s’est relativement peu préoccupé du développement de la théorie de la personnalité et de la psychopathologie. Alors que les thérapeutes centrés sur la personne rencontrent nombre de problèmes cliniques dans leur travail, ils ne les explorent guère au-delà de leurs découvertes par une recherche plus poussée ni ne les partagent dans leurs écrits (Cain, l989).

Pourquoi une théorie?

L’idée d’élaborer une théorie du développement humain et de l’évolution des troubles psychiques semble aliénante ou même dangereuse aux yeux des praticiens centrés sur la personne. En effet, nombre d’entre nous prêtent à la théorie un effet bloquant, susceptible de créer une distance, qui nous empêcherait d’entrer pleinement dans le monde de l’autre et nous mettrait dans une position de pouvoir, celle de l’expert en nous incitant à observer ou à juger le client. La théorie considérée comme “vérité dogmatique” semble en effet incompatible avec la philosophie centrée sur la personne. Un thérapeute travaillant sur la base d’une telle théorie serait effectivement davantage centré sur la théorie que centré sur le client. Cependant, cette peur de la théorie peut engendrer à son tour une autre attitude, également dangereuse, celle qui consiste à décourager systématiquement l’application de concepts théoriques à la thérapie, et qui s’appuie uniquement sur des réactions à base “d’intuition” et de “ressenti”. Si une adhésion rigide à une théorie risque de donner une image stéréotypée du client et de le dévaluer, le rejet pur et simple de la théorie sans discrimination aucune, peut conduire à d’autres formes d’abus de pouvoir, à savoir: le surinvestissement, la manipulation et un traitement inapproprié.

Je pense qu’il est d’une importance vitale pour les thérapeutes d’être en mesure d’exprimer leur compréhension du client et de la relation thérapeutique à la fois dans les termes de la théorie de l’approche centrée sur la personne qu’en ceux de leur propre expérience personnelle.

Il est intéressant de noter l’évolution qui se fait en Hollande et en Belgique, ou au cours des dix dernières années a paru quantité d’articles soulignant la nécessité d’un concept de la psychopathologie valable pour la psychothérapie centrée sur le client. En 1988, la Société Hollandaise pour la Thérapie Rogérienne a consacré une conférence scientifique d’une journée au thème des “Nouvelles expériences en psychopathologie et leurs conséquences possibles pour la psychothérapie centrée sur le client” en mettant l’accent tout particulièrement sur l’efficacité de la thérapie centrée sur la personne dans le traitement de l’anxiété, de la dépression et de la psychose. Dans l’introduction à cette conférence l’attention fut attirée sur le fait “qu’il y avait un risque que de nouvelles découvertes controversées dues à la recherche ou à d’autres contextes thérapeutiques pourraient aboutir en une approche, qui faute d’élaboration suffisante, se dégraderait en une idéologie“. La demande actuelle pour des formes de traitement rapides et directives rend d’autant plus important pour la thérapie centrée sur le client l’obligation de sauvegarder son essence dans une perspective de futures développements (VRI,1988).

Swilders parle de l’importance d’un cadre conceptuel pour donner une perspective centrée sur la personne aux multiples formes de troubles psychologiques qui pourrait éclairer la pratique du thérapeute centré sur la personne. Il critique “le penser rogérien” en raison de son approche trop simplifiée du développement humain en psychopathologie. En préconisant le modèle de santé, celui de la personne fonctionnant pleinement, on n’accorde pas suffisamment d’attention au développement de la psychopathologie chez le client particulier et aux problèmes thérapeutiques spécifiques qui en découlent ( Swilders, 1984). Le point de vue de base de la perturbation psychologique n’offre pas un cadre suffisant aux thérapeutes qui se trouvent confrontés avec des clients considérés comme gravement perturbés, par exemple ceux qui ont une forme de trouble de la personnalité ou une psychose. Les symptômes que de tels clients manifestent peuvent amener le thérapeute à se sentir bloqué, manipulé déstabilisé, le précipiter dans la confusion, la frayeur et la frustration et l’amener éventuellement à s’interroger sérieusement sur la validité et la suffisance des 3 conditions de base pour de tels clients.

La théorie de la personnalité

Dans son article “Une Théorie de la Thérapie, de la Personnalité et des Relations interpersonnelles dans le cadre de la Thérapie centrée sur le Client” (in Psychothérapie et relations humaines, 2016, chap. 4), Carl Rogers présente la théorie de la personnalité qu’il a développé à partir des expériences de son travail dans le domaine thérapeutique à ses débuts (Rogers, 1959). Il est intéressant de noter qu’il parle avec davantage d’assurance de la théorie de la psychothérapie que de celle de la personnalité. Il sentait qu’il avait de meilleures certitudes à formuler et à soutenir la première et qu’il était plus hésitant dans ses formulations quant à la dernière.

Il est facile de reconnaître dans sa description de l’effondrement psychique le type du client névrotique. Ce sont des clients qui se sentent malheureux et expriment une insatisfaction vis à vis d’eux-mêmes et vis à vis de la vie en général, qui parfois expriment leurs sentiments indirectement à travers des symptômes spécifiques tels que l’anxiété ou la détresse physique. Alors que leur fonctionnement est affecté par des sentiments d’inadéquation, d’infériorité et de malheur, dans l’ensemble, de tels clients sont capables de s’exprimer dans un langage qui peut être compris par le thérapeute. Ils sont motivés jusqu’à un certain point de travailler en vue d’un changement et le thérapeute est à même de sentir qu’il est possible de s’engager avec eux, qu’il peut entrer dans le monde de leurs perceptions et qu’il est possible d’établir une relation avec eux. Beaucoup de travaux dans le domaine de la thérapie centrée sur la personne se réfèrent à des clients qui semblent appartenir à cette catégorie, et il n’est peut- être pas surprenant que l’on considère souvent la thérapie centrée sur la personne comme une approche qui convient à des clients structurés, instruits et motivés, mais au fond mentalement sains, c’est à dire non réellement perturbés.

La psychopathologie

Ce qui suit est un essai pour explorer comment les concepts de base de la philosophie de l’approche centrée sur la personne pourraient être utilisés pour décrire et comprendre les catégories nosographiques les plus usuelles établies en psychiatrie traditionnelle, concernant les névroses, psychoses et les troubles de la personnalité. L’utilisation de ces catégories peut paraître en contradiction avec la pensée psychiatrique avancée, celle qui reconnaît la complexité de la vie émotionnelle, physique et interpersonnelle des clients, et qui accepte l’abandon de la distinction précise entre les diverses formes de troubles psychiques (DSM-III-R, 1989). A mon tour je n’essaie pas de créer une nouvelle façon (qui serait centrée sur la personne) de stéréotyper les clients, il s’agît plutôt d’une tentative d’explorer un modèle possible, dont les détails seraient à compléter avec le concours de chaque client particulier.

Mearns et Thorne décrivent la genèse des perturbations psychiques comme un processus dans lequel le conflit, entre des valeurs ayant produit un conditionnement et le soi organismique, conduit à un déni du soi organismique afin d’obtenir l’acceptation et l’approbation d’autrui. La perturbation est une manière de survivre. Plus une personne est perturbée plus le soi organismique est inaccessible et plus le concept du moi est protégé et défendu (Mearns et Thorne, 1988). En partant de cette définition générale de la perturbation, nous serons peut-être en mesure de conceptualiser différentes catégories de troubles psychiques en tant que conséquences de:

  • la nature des valeurs prédominantes dont la personne a fait l’expérience et qui l’ont conditionnée;
  • la manière particulière qu’a cette personne de gérer le conflit entre ces valeurs qui l’ont conditionnée et le soi organismique;
  • la combinaison de (1) et (2) avec d’autres facteurs prédisposant qu’ils soient héréditaires, culturels, sociaux ou situationnels.

Cette façon de comprendre les choses peut être utilisée par la suite comme base pour examiner les défis particuliers auxquels un thérapeute peut se trouver confronté lorsqu’il travaille avec des clients dont la perturbation semble concorder avec une des trois catégories énumérées ci-dessus.

1. La Névrose : description

Le client exprime des sentiments d’inadéquation, de malaise, d’insatisfaction, ne se connaissant ni ne se comprenant lui-même. Ses relations ne le satisfont pas, il a l’impression de n’aller null part, d’être embourbé. La vie lui semble une lutte, il a du mal à prendre des décisions, il est sujet aux doutes, aux peurs, aux angoisses, aux sentiments de culpabilité et quelquefois, il manifeste des symptômes physiques persistants et est affligé de maux auxquels on ne peut trouver aucune origine physique.

Il peut être préoccupé par des inquiétudes spécifiques qui dominent sa vie et qui deviennent régulièrement sinon exclusivement le sujet central des séances thérapeutique. Des maux de tête, des symptômes d’angoisse, des soucis concernant sa santé, un enfant, son partenaire, une décision à prendre – tout peut être présenté somme “le problème”, laissant au thérapeute la tâche d’établir un contact avec la personne du client au-delà du niveau de telles préoccupations. Dans la mesure où le client a des difficultés à prendre des décisions, il cherche à être conseillé et guidé par les autres, y compris par le thérapeute mais n’est cependant pas capable d’agir selon ces mêmes conseils.

Il communique ses sentiments d’une manière non congruente, il a du mal à s’exprimer clairement et une tendance à attacher une importance exagérée aux opinions des autres le concernant. Il essaie de plaire à tout le monde, et ne semble ni savoir ce qu’il veut ni de quoi il a réellement besoin. Il espère que le thérapeute pourra l’aider à se sentir mieux, et a peur en même temps que celui-ci finisse par en avoir assez de lui.

En termes de théorie centrée sur la personne il y a un conflit entre le “vrai moi” et le “moi acceptable” et le client en est conscient jusqu’à un certain point. Il a aussi une certaine conscience des valeurs qui l’ont conditionné. Ne pas être en conformité avec ces valeurs provoque des sentiments de culpabilité, d’inadéquation et de dévalorisation ainsi que la peur du rejet. De ce fait le seul choix qui lui reste semble être celui de se conformer à ces valeurs même si cela engendre également détresse et malheur. Le client fonctionne selon un mode auto punitif, c’est à dire qu’il se punit lui-même pour sa manière de ressentir les choses. Il n’est pas en contact avec le soi organismique et ne se fie pas à sa propre expérience. Par conséquent il n’arrive pas à connaître ses sentiments ni à les exprimer d’une manière congruente. Son lieu d’évaluation se situe à l’extérieur de lui-même. D’où son besoin d’être guidé et approuvé par les autres et sa difficulté à prendre des décisions et à agir selon son propre ressenti. Il a souvent des problèmes relationnels provoqués par sa peur et son incapacité à exprimer son vrai moi. Les symptômes physiques persistants dont se plaignent certains de ces clients peuvent être compris comme une expression symbolique de la douleur causée par un conflit intérieur plus profond.

La décision de chercher une aide coïncide souvent avec une crise ou un événement particulier dans la vie du client. Les premiers pas dans la thérapie consistent à découvrir et à accepter que les sentiments d’insatisfaction, de malheur et de manque d’estime de soi sont des sentiments primaires profondément enracinés et qui existent depuis longtemps.

Développement de la névrose

Certaines valeurs au sein de relations importantes ont fortement conditionné la personne névrosée et continuent à être actifs. Elles étaient liées à l’expression de sentiments particuliers et à des comportements spécifiques et furent probablement assez claires et consistantes. La punition qui sanctionnait le fait de ne pas accepter ces valeurs, le refus de s’y conformer, prit la forme du retrait de l’amour, de l’affection et de l’acceptation, induisant de ce fait des sentiments de culpabilité, d’inadéquation, de haine de soi-même etc. Cependant tous les sentiments n’étaient pas inacceptables et à partir du moment où la validité de sentiments inacceptables est niée, ceux qui sont acceptables se trouvent renforcés, parfois au point de se substituer à d’autres sentiments. Un exemple courant est celui de la colère qui se substitue à l’expérience et à l’expression de la tristesse et vice versa (combien de fois des femmes ont-elles appris à pleurer quand en vérité elles sont en colère, et des hommes à montrer de la colère alors qu’ils pleurent intérieurement). L’expression de soi est limitée et contrôlée chez le client par les valeurs qui l’ont conditionné. La culpabilité est souvent utilisée comme un puissant moyen de contrôle, “regarde ce que tu es en train de me faire à moi…” et d’autres formules de ce genre. Lorsque la culpabilité est utilisée fréquemment et avec force par des gens importants pour la vie du client, cela conduit éventuellement à une situation où il doit se couper de ses sentiments inacceptables et potentiellement dangereux pour empêcher le rejet, mais aussi pour éviter un conflit insupportable. Ce n’est pas étonnant qu’à la fin il ne puisse plus se faire confiance et doive s’appuyer sur autrui pour évaluer ses sentiments en “bons” et “mauvais”. Plus la personne est perturbée plus il est difficile pour elle de croire en elle-même si peu que se soit et moins sera-t-elle reliée à son soi organismique, sans d’ailleurs avoir conscience d’un conflit intérieur. Chez certains clients ce niveau de perturbation frôle la psychose.

2. Troubles de la Personnalité : description

Le Guide de formation du Manuel des Diagnostics et Statistiques des Troubles Mentaux, édité par l’Association Américaine de Psychiatrie (DSM-III-R,1989) décrit la catégorie appelée Trouble de la Personnalité comme suit: Il s’agit de traits de la personnalité caractérisés par une inadaptation chronique, provoquant une détresse subjective accompagnée de troubles fonctionnels spécifiques. Ces traits correspondent à des schémas perceptifs et relationnels permanents et qui sont appliqués aussi bien à la personne elle-même qu’à son environnement et qui sont caractéristiques de son fonctionnement à la fois actuel et à long terme. Ces schémas doivent exister au moins depuis le début de l’âge adulte.

Les clients souffrant d’un trouble de la personnalité sont capables d’exprimer des sentiments d’insatisfaction quant à leur propre fonctionnement ou leur relations, mais ils ne se plaignent pas d’un trouble en tant que tel. Ils attribuent leur insatisfaction ou leur malheur plutôt à “des choses qui vont mal” dans leurs vies, des échecs du style: la perte d’un job, la fin d’une relation, la menace qui pèse sur une certaine manière de vivre ou des schémas récurrents qui se produisent dans leurs relations. La cause de telles menaces est perçue comme localisée chez les autres, à l’extérieur du client, hors de son propre contrôle. Le représentant le mieux connu de ce groupe est probablement le cas extrême de la personnalité asociale, le psychopathe: la personne qui ne se préoccupe que de ses propres intérêts, qui a une attitude amorale, manipulatrice et agressive avec une tendance au comportement asocial et même criminel. Cependant il y a de multiples formes à travers lesquelles les troubles de la personnalité peuvent se manifester. Des clients de cette catégorie peuvent paraître excentriques, excessivement émotifs, en quête d’attention, erratiques, méfiants au point de passer pour paranoïaques, obsessionnels ou extrêmement irritables. Certains se plaignent d’états dépressifs, d’autres sont constamment en proie à toutes sortes de peurs et montrent des symptômes d’angoisse persistants. Leurs émotions sont souvent imprévisibles et intenses, ils peuvent avoir des changements d’humeur qui sont parfois ressentis par le client et par son entourage comme des changements de la personnalité. Le trait commun propre aux clients qui souffrent de troubles de la personnalité semble être leur difficulté persistante à établir et à maintenir des relations mutuellement satisfaisantes dans leur vie d’adulte.

En termes de la théorie centrée sur la personne, le client semble balancer entre un état de totale absorption par lui-même, ou au contraire un manque de sensation de lui-même, étant dominée et contrôlée par les circonstances de sa vie ou par d’autres gens. Alors que le client peut se montrer plein d’assurance, d’autosuffisance, révolté ou agressif, le thérapeute décèle parfois une sensation de détresse profonde, d’agitation et de tourmente sous- jacentes. Il est difficile d’entrer en contact avec le Soi du client, de l’engager dans le processus thérapeutique, la confiance en autrui n’existe pas davantage que la confiance en son propre Soi. Le client fonctionne habituellement selon un mode extra-punitif, c’est toujours la faute des autres. La raison pour laquelle le client vient chercher de l’aide est souvent le fait d’avoir des ennuis. Ce qui ne veut pas dire qu’il croit avoir fait quelque chose de mal, ce sont les autres qui lui causent du tort. Il est essentiellement égo-syntonique, c’est à dire qu’il n’a aucune conscience du ressenti d’autrui, il est incapable de se mettre à la place d’autrui ni d’être empathique. Tout est perçu et évalué dans le cadre de ses propres expériences et sentiments. L’intimité et la réciprocité manquent dans sa vie en général et le thérapeute fera bien de ne pas en attendre dans la relation thérapeutique non plus.

Les clients ayant des troubles de la personnalité ne se situent pas “au-delà de la thérapie” comme beaucoup de praticiens le prétendent, mais ils sont extrêmement lourd à porter et nécessitent éventuellement un contexte thérapeutique particulier. L’Ecole Orthogénique de Bettelheim est un exemple d’un tel environnement pour des enfants et des adolescents souffrant de graves troubles de la personnalité.

Développement des troubles de la personnalité

Les relations importantes dans la petite enfance de ces personnes ont été caractérisées par des abus de pouvoir persistants, abus émotionnels, physiques, sexuels ou même une combinaison des trois. Du point de vue émotionnel leur environnement n’offrait aucune sécurité. Les valeurs qui ont conditionné ces personnes étaient liées à la satisfaction de ceux qui détenaient le pouvoir: “tu dois satisfaire mes besoins quels qu’ils soient et quand je veux. Si tu ne le fais pas tu vas en pâtir et tu le regretteras”. Le refus ou l’incapacité de se soumettre à une telle injonction entraînait la colère, la punition, l’abus. La soumission peut être payante, il peut y avoir des cadeaux en échange, des privilèges, de l’affection, une attention de courte durée. Les relations significatives sont caractérisées par l’imprévisibilité et l’incohérence. Ce qui est bon un jour peut être mauvais le lendemain et en conséquence la personne apprend à vivre dans l’instant. Ce qui s’est passé hier n’a pas de valeur maintenant n’est pas forcément relié à demain. Il n’existe aucune sensation intérieure de responsabilité ni de conscience d’une causalité, le conflit à l’intérieur du Soi est expérimenté en termes d’inconfort dont la cause doit être cherchée à l’extérieur de soi. Dans un monde caractérisé par l’absence d’intérêt et de respect et par l’abus de pouvoir permanent, où parfois la chaleur est accordée comme récompense pour avoir satisfait “la personne-qui-détient-le- pouvoir”, la survie dépend de l’habileté à tirer le maximum de la situation, à manipuler et à exploiter les autres. Eventuellement ce qui a débuté comme une stratégie de survie devient une partie intégrante de soi et la personne continue à créer des schémas relationnels qui contiennent les deux éléments: être manipulé et être manipulateur, être l’objet de l’abus et abuser à son tour.

3. La psychose : description

Il est important de noter que ce concept n’est en soi ni une catégorie nosographique, ni ne se réfère uniquement à la condition mentale appelée schizophrénie. Le terme de psychose est utilisé pour décrire un état mental dans lequel la personne est privée d’un contact normal, elle y vît une expérience déformée de la réalité et est incapable de communiquer clairement avec autrui. Son comportement peut paraître bizarre ou inapproprié: le discours et l’affect peuvent être perturbés, il y a parfois des fantasmes, des hallucinations, des schémas de pensée étranges et une désorientation due à la perte de mémoire. Cet état mental peut se trouver associé à d’autres formes de perturbation, ou bien il peut n’être qu’une condition temporaire sans lien avec d’autres symptômes. Par exemple il n’est pas rare pour quelqu’un qui est déprimé de traverser un épisode psychotique, ou que l’on trouve un comportement psychotique chez quelqu’un qui est dans une phase maniaque. Certaines personnes semblent prédisposées à une réaction psychotique à des moments de stress, et retournent à la normale lorsque la situation a trouvé sa solution.

Il est important de ne pas trop réagir devant un comportement étrange, devant des schémas de pensée bizarres ou un usage inhabituel du langage. De tels symptômes peuvent avertir le thérapeute d’une possibilité de trouble psychotique, mais il y a peut-être d’autres manières de les comprendre. Le thérapeute doit écouter très attentivement prendre en compte sa propre vision de la réalité, le contexte culturel du client et son langage personnel. Ce qui peut ressembler à une pensée étrange peut n’être en fait qu’une métaphore, l’incohérence, la confusion ou un tourment émotionnel peuvent être des réactions compréhensibles dans une situation de crise. Ce qui ressemble à un fantasme, ou à une pensée paranoïde peut s’avérer avoir une base dans la réalité. Pour comprendre la psychose selon la théorie centrée sur la personne et aussi selon la théorie existentielle il faut mettre de côté l’inférence psychiatrique selon laquelle l’expérience du client est inintelligible. En fait, le Soi du client est protégé, il a trouvé refuge dans sa propre réalité séparée qui est un monde avec son propre langage, ses propres symboles et ses propres significations. Des communications à partir du Soi ne peuvent se faire que dans ce langage personnel, et paradoxalement alors qu’il semble exister un besoin et un désir d’établir le contact, toute tentative de la part d’autrui de comprendre et de s’approcher est souvent accueillie avec suspicion et crainte et ressentie comme une menace, une invasion, un essai de domination. Ce retrait de la réalité-partagée-avec-les- autres apparaît quelque fois comme un rejet un non-désir ou une incapacité à établir un contact. Cette absence réelle de contact signifie que l’un des besoins fondamentaux pour la survie, le besoin d’amour et d’acceptation ne peut pas être satisfait. L’amour et l’acceptation offerts ne peuvent pas être expérimentés, et ceci crée un profond isolement au sein duquel la personne doit trouver ses propres ressources de survie. Il se peut que les habitants de ce monde intérieur, les voix, les symboles, les fantasmes, aussi menaçants et horribles qu’ils soient, remplacent le monde extérieur dans lequel la personne ne peut pas vivre et ainsi, paradoxalement, aident en vérité à sauvegarder le Soi. Un aspect crucial du processus thérapeutique et le développement de la relation qui permet au client d’expérimenter le respect du thérapeute et son désir de comprendre sans se sentir envahi ou dominé.

Le développement du trouble psychotique

La personne n’a pas été en mesure de former une image consistante et congruente du Soi. Les conditions permettant l’acceptation ou l’amour lui ont été présentées d’une manière contradictoire et non-congruente, créant ainsi de la confusion et de l’insécurité. Il y avait peut-être aussi un brouillage des limites entre le Soi et Autrui, contribuant au développement d’un concept du moi instable et brouillé qui ne permet pas la distinction entre sa “propre” expérience et celle “d’autrui”. Il peut y avoir une hypersensibilité à l’égard des sentiments d’autrui, pour survivre, il est devenu nécessaire de savoir ce qui se passe chez l’autre afin de pouvoir réagir de la bonne façon. Dans de telles circonstances il devient difficile de comprendre la signification de ses propres expériences et de se fier au soi organismique. Exprimer de manière congruente son expérience devient même risqué et dangereux.

Les relations avec les personnes significatives sont pleines de contradictions, par exemple, la peur et l’amour possessif, le pouvoir et l’impuissance peuvent exister simultanément. La personne se trouve dans la situation impossible d’avoir à réagir correctement à des messages contradictoires, étant en même temps incapable de se désengager ou de prendre ses distances. Une manière de survivre consiste à réagir à la contradiction et à l’inconsistance par une attitude paradoxale, par exemple, en devenant mutique, en refusant de sortir du lit, ou de dormir, ou en parlant sans arrêt. Une autre façon est de créer un monde intérieur dans lequel nul n’est admis et qui est caractérisé par la contradiction au même titre que le mode de communication de la personne. Ce monde intérieur est sûr et cependant rempli de peurs et de menaces il est logique et néanmoins bizarre. Des sentiments peuvent être exprimés d’une manière superficielle et cependant exagérée, et la communication avec les autres peut paraître à la fois significative et dépourvue de signification, laissant l’interlocuteur dans la confusion, coupé de tout contact, et peut-être dans le doute quant à sa propre réalité. On qualifiera probablement de telles stratégies de survie du terme de “folie”.

Cette description correspond spécialement aux clients dont la perturbation est devenue essentiellement leur manière d’être, leur méthode pour sauvegarder et protéger leur Soi, alors que le thérapeute ne sera que rarement amené à travailler avec des clients présentant un tel état psychotique profondément ancré et relativement permanent, il lui arrive par contre souvent de travailler avec un client qui traverse un épisode psychotique. Ce client, peut-être à un moment de stress, se met en retrait ou se réfugie dans son monde intérieur, étrange et paradoxal, mais arrive à garder son Soi relativement intact, moins brouillé. Pour un tel client l’épisode psychotique fait partie d’un processus d’intégration, ou quelque fois c’est sa façon de communiquer qu’il est en crise. C’est davantage une manière de communiquer qu’une manière d’être. Il pourra même être conscient de la “folie” de son comportement, ainsi il serait plutôt à ranger dans la catégorie névrotique.

La relation avec le thérapeute

S’il y avait une conceptualisation centrée sur la personne des troubles mentaux cela aiderait les thérapeutes dans leur réflexion à la fois quant à eux-mêmes dans la relation avec le client, et aussi quant à la nature de la relation avec le client. J’aimerais considérer en particulier l’importance des conditions de base par rapport à chacun des groupes décrits plus hauts, mettant cependant l’accent sur la qualité unique de la personne du client et le caractère unique qu’a pour le thérapeute le défi que représente chaque thérapie particulière.

Problèmes dans la relation thérapeutique avec un client névrotique

Le client est sans contact avec les expériences du soi organismique, il a des difficultés à s’accepter lui-même et ne se sent pas capable d’être “réel”. La compréhension empathique du thérapeute non seulement l’aidera à se sentir compris et valorisé, mais l’amènera aussi à s’écouter lui-même, il commence à s’entendre lui-même et à s’ouvrir à sa propre expérience. La considération positive inconditionnelle, l’acceptation du client tel qu’il est et non tel qu’il pourrait être, crée une relation dans laquelle le client est déchargé des valeurs qui l’ont conditionné

et qui ont constitué une telle entrave à son développement. Son auto-acceptation peut maintenant se développer. La congruence du thérapeute et son authenticité dans la relation offre au client un autre modèle de “manière d’être”, qui facilite le développement de sa propre congruence.

Des problèmes de confiance et de dépendance ne vont pas manquer d’apparaître dans la relation thérapeutique. Le client peut se montrer désireux d’être considéré comme un bon client, il peut investir le thérapeute d’une grande part de pouvoir, le pouvoir de l’expert, de la personne qui le connaît mieux qu’il ne se connaît lui-même, de la personne qui peut donner des conseils et indiquer une direction et qui a le pouvoir de juger. Le client va être très sensible aux conditions de valeur présentes dans la relation, il sera toujours enclin à être influencé par celles-ci. Il peut se présenter lui-même comme non-congruent, n’ayant aucune confiance en soi et réfractaire à s’approprier ses propres sentiments. Confronté à un tel client le thérapeute peut se sentir incité à se surpasser, à vouloir être effectivement l’expert ou de recharger le client surtout si une impasse se présente dans le processus thérapeutique. Le client dont le lieu d’évaluation se situe à l’extérieur de lui-même relègue le pouvoir aux gens de son entourage et le thérapeute qui n’est pas suffisamment conscient de cette forme de coercition ni assez attentif à l’égard de sa propre réaction, peut se trouver embarqué dans une relation où les deux, le thérapeute et le client éprouvent des sentiments de dépendance, de responsabilité à l’égard l’un de l’autre et de culpabilité de ne pas être suffisamment bons. Travailler avec un client qui s’ouvre progressivement, qui entre toujours plus en contact avec lui-même, qui devient peu à peu la personne qu’il est véritablement et qui s’enhardit petit à petit à prendre des risques et des décisions est immensément touchant et gratifiant pour le thérapeute. Pourtant cette satisfaction nécessaire et légitime peut devenir la source d’un surinvestissement et une nouvelle valeur susceptible de conditionner le client s’il doit se hisser à la hauteur des attentes et des besoins du thérapeute. Il est inutile de préciser que le thérapeute névrotique est particulièrement vulnérable à ce genre de piège.

Problèmes dans la relation thérapeutique avec un client ayant des troubles de la personnalité

Le client est centré sur lui-même et a peu de conscience et encore moins de considération pour les sentiments d’autrui. Le vrai moi est profondément caché et bien défendu. Plutôt que d’écouter son soi intérieur, le client semble agir au gré de ses impulsions qui visent en premier lieu la satisfaction de ses propres besoins. Le thérapeute doit être congruent, aussi bien en ce qui concerne ses propres sentiments que dans la communication claire et honnête de ses réactions, il doit être en possession de ses propres sentiments et ne pas culpabiliser son client ni lui faire des reproches. L’acceptation inconditionnelle permet au client d’être lui-même, de tester les limites de la relation avec le thérapeute, d’explorer les problèmes relatifs au rapport qui peut exister entre les attitudes d’acceptation et d’approbation de celui-ci. L’acceptation du thérapeute permet de créer un environnement sûr, ce qui est crucial pour le développement de la confiance. La compréhension empathique n’arrivera peut-être pas facilement. Les expériences du client seront peut-être difficiles à cerner lorsqu’elles paraissent superficielles et quand elles sont extrêmes. Le client n’est peut-être pas capable de percevoir l’empathie du thérapeute, sa propre expérience de l’empathie ayant été totalement aliénée.

Cependant le véritable intérêt que le thérapeute offre au client, même si celui-ci peut le ressentir comme quelque chose d’étrange et même déconcertant et menaçant, contribue lentement à développer la confiance dans la relation. Cela aidera le client à s’engager et à s’ouvrir à lui-même et au thérapeute. Dans la relation thérapeutique, le pouvoir, la confiance, la sécurité seront probablement des éléments importants. Le client a besoin de se sentir en sécurité et accepté et la clarté et l’honnêteté en ce qui concerne les limites, les engagements, les règles et les attentes dans la relation, sont importantes pour la sécurité aussi bien du client que du thérapeute. Le client qui fondamentalement ne se sent pas accepté, pas aimé, pas capable d’aimer, a besoin de recréer ses schémas relationnels avec l’aide du thérapeute. Colère, rejet et hostilité sont souvent utilisés comme défense contre une intimité croissante, mais chaque client aura son propre registre de mesures de destruction. La relation prend parfois l’allure d’une lutte avec le thérapeute, celui-ci peut se sentir tendu et mis à l’épreuve au-delà de sa résistance et de sa capacité de comprendre et d’accepter. Etre réel dans une telle relation peut être ressenti comme dangereux, se montrer soi- même signifie, se rendre vulnérable et s’exposer à l’attaque. Le thérapeute peut se sentir tiraillé entre des sentiments de rejet et d’attraction. Le client peut donner l’impression d’être engagé et impliqué dans la relation et paraître cependant élusif et imprévisible. Le thérapeute peut avoir du mal à être empathique avec ses émotions éphémères, imprévisibles ou intenses du client et réagir par des sentiments de frustration et de confusion.

Persévérer dans la relation peut représenter une véritable lutte, un affrontement ardu entre le désir de rester pleinement disponible, ouvert, en état d’acceptation et la nécessité de se protéger soi-même. Confronté aux limites de son acceptation inconditionnelle, le thérapeute peut être amené à douter de son aptitude à être thérapeute. Il pourra éprouver un mélange inconfortable de douleur, de colère, de peur et aussi une éventuelle fascination. Il sera éventuellement confronté avec ses propres vulnérabilités, avec ses problèmes personnels non résolus, avec ses faiblesses.

L’énergie de cette lutte au cours du processus thérapeutique reflète la nature même de la difficulté fondamentale propre au client, à savoir son incapacité à établir une intimité et une mutualité dans les relations. S’il arrive au thérapeute de se retirer à ce stade, l’occasion de travailler avec un problème thérapeutique important aura été perdue et le schéma relationnel du client aura été reproduit.

Problèmes dans la relation thérapeutique avec un client psychotique

Le thérapeute qui travaille avec un client psychotique est confronté à une situation délicate. Le client a créé un monde bien à lui dans lequel le langage et les symboles ont une signification hautement idiosyncrasique, et le thérapeute non seulement a des difficultés à comprendre ce que lui communique le client, il ignore avant tout s’il est le bienvenu dans son monde à lui. Il doit montrer beaucoup de respect au client à l’égard de son besoin de distance comme à l’égard de son besoin de proximité. Il ne doit pas envahir le client avec son empathie, ni faire de l’intrusion avec ses interprétations des symboles du client se contentant d’avancer à petits pas en suivant le client très précautionneusement et prudemment. Il doit être prêt à être réellement présent dans la relation, toute son attention doit être au service du client. Il doit communiquer ouvertement et avant tout sans la moindre ambiguïté. Le client pourra se montrer hypersensitif, guettant le moindre mouvement du thérapeute, chacune de ses expressions et chacun de ses gestes. Il a besoin de savoir exactement où il se situe par rapport aux autres afin de pouvoir maintenir ses limites et se protéger.

Par conséquent, les communications sont hautement contrôlées et le thérapeute peut se sentir très peu libre, comme enfermé dans une camisole de force. Il devra accepter les règles parfois bizarres que le client applique à la communication, en s’exprimant exactement de la manière que le client trouve acceptable, n’étant parfois même pas autorisé à parler ou à bouger librement au risque de voir le client se désengager. Ce n’est pas une tâche aisée que d’accepter le contrôle du client tout en restant en contact avec son propre soi intérieur, en gardant confiance en sa propre expérience intérieure. Le thérapeute doit être solidement fondé et en sécurité à l’intérieur de lui-même, tout en étant souple, imaginatif, n’ayant pas peur de se perdre ou d’être incapable de comprendre.

Il y a un point de vue selon lequel la thérapie centrée sur la personne ne serait pas appropriée pour travailler avec une personne ayant des troubles psychotiques, probablement en raison de la désintégration et de l’inaccessibilité du Soi, du fait de la difficulté à établir une relation et à être confronté à des problèmes de communication.

J’aimerais avancer un autre point de vue: travailler avec un client psychotique exige de la part du thérapeute une grande capacité à créer des conditions thérapeutiques, je mets devant le défi de comprendre ces conditions et de leur donner une expression. Etre en présence de quelquun dont la communication consiste à être à la fois comprise et non comprise, le thérapeute doit traverser son propre mode idiosyncrasique pour exprimer sa compréhension empathique. Il doit communiquer au client son acceptation de lui d’une manière claire et sans ambiguïté, par exemple en acceptant les règles propres au mode de communication du client. En même temps il doit être clair et honnête avec lui-même, accepter d’avoir des limites et travailler à l’intérieur de ces limites. La congruence, à la fois à l’intérieur du thérapeute et dans sa communication avec le client est essentielle. Lorsqu’il est en face d’un client confus et créant la confusion, le thérapeute doit être en contact avec sa propre réalité intérieure, après tout, c’est peut-être la seule chose dont il peut être assuré et dès qu’un peu de confiance a pu être établie, c’est peut-être la première chose dont le client peut être assuré de son côté.

En complément des trois conditions de base, le concept d’une quatrième condition, à savoir: la flexibilité quant au “contexte thérapeutique” (Mearn, 1989) paraît particulièrement indispensable. Le client psychotique exige probablement un contexte thérapeutique différent du client névrotique. Il est essentiel que le thérapeute soit conscient des limitations relevant du contexte de son travail thérapeutique. Un rendez-vous hebdomadaire dans une pièce de consultation avec un client psychotique n’est pas vraiment approprié ni suffisamment sûr; déjà la fréquence ne sera pas suffisante pour permettre au client et au thérapeute de se connaître et pour que la confiance puisse se développer. La séance d’une heure, si propice au travail avec des clients névrotiques qui sont prêts et capables de s’adapter à une telle structure peut être trop longue ou pas assez longue pour le client psychotique.

Le client a peut-être besoin d’un environnement de “support” où ses besoins physiques et sa sécurité seront mieux assurés. Malheureusement, dans notre culture il y a très peu d’environnements de supports variés proposés en dehors des hôpitaux. Dans un contexte thérapeutique donné qui comporte éventuellement des rendez-vous quotidiens entre thérapeute et client dans un environnement de support avec un thérapeute qui fait preuve d’une compréhension empathique et d’une capacité à créer des conditions thérapeutiques où il se sent en sécurité lui-même, la thérapie pourrait être évaluée en comparaison avec d’autres formes de traitement de manière plus significative. Le contexte thérapeutique est une variable cruciale dans le travail avec le client psychotique.

La philosophie centrée sur la personne avec sa vision positive de la nature humaine et sa foi en une tendance auto-actualisante propre à l’homme, peut induire chez le thérapeute une sensation de confiance et d’optimisme erroné. Des fantasmes d’être “le sauveur”, la fascination que peut exercer le monde interne du client, le défit et l’excitation que peut représenter le travail avec des clients difficiles peuvent conduire à une situation où le thérapeute travaille en fait au-delà de ses propres limites et où il est déstabilisé et plus en sécurité. Travailler avec des clients profondément perturbés est exigeant, représente un véritable défi et demande une part énorme d’engagement et de responsabilité. Cela demande aussi des aptitudes, de la profondeur, un certain niveau de connaissances et de compréhension et d’acceptation de ses limites. A long terme, il pourrait être préférable de ne pas se charger d’un client s’il existe le moindre doute concernant la sécurité dans le contexte de la vie du client, ou celle de la relation thérapeutique.

Commentaire final

Peu importe comment nous expliquons les difficultés de nos clients, la chose la plus importante qu’un thérapeute peut offrir est sa disponibilité à accepter le client d’abord et avant tout comme une personne qui lutte pour donner un sens à sa vie, qui s’efforce à vivre avec ses paradoxes et de survivre. Dans cette lutte le client est devenu difficile à comprendre, il est devenu craintif, méfiant, défensif, imprévisible et inaccessible. C’est la tâche du thérapeute d’accepter le client et de le respecter tel qu’il est, de trouver un moyen d’établir un contact significatif qui laisse au client sa valeur et lui donne le chois d’établir un genre de contact différent de celui auquel il est habitué. Si un client sort d’une telle relation avec un peu plus d’espoir, un peu plus de foi en lui-même et en autrui alors ce n’est pas mal du tout!

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L’auteur:

Elke Lambers

Psychothérapeute centrée sur la personne, en Ecosse. Elle a écrit deux ouvrages, dont un en collaboration avec Brian Thorne.