Quelle est la relation entre l’empathie et l’écologie ? Pour Colin Lago, il s’agit d’accroitre la conscience de notre rapport au monde et de nos relations à l’intérieur de ce monde. 

Pour citer cet article :

Lago, Colin (2014). Empathie et écologie. Journal Congruence, n°12, novembre 2014. Revue éditée par ACP-France. 

Empathie et écologie

Colin Lago

EMPATHIE ET ÉCOLOGIE :
VERS UNE CONSCIENCE ACCRUE DE NOTRE RAPPORT AU MONDE
ET DE NOS RELATIONS A l’INTERIEUR DE CE MONDE

par Colin Lago

« Au Japon cet été nous avons connu des conditions climatiques bizarres. La saison des pluies, qui d’habitude s’estompe au début du mois de juillet, s’est prolongée jusqu’à la fin du mois. Il a tellement plu que je n’en pouvais plus. Les pluies torrentielles dans certaines régions ont fait de nombreux morts. Et tout cela serait provoqué par le réchauffement climatique… » (Murakami, 2009, p. 139)

« Nous nous trouvons dorénavant face à la perspective troublante de devoir aborder la question d’empathie planétaire dans un monde à haute consommation énergétique où tout est en interconnexion, emportés par une facture entropique qui s’envole, nous menaçant désormais de changements climatiques catastrophiques et mettant en péril notre existence même. A l’avenir, la résolution du paradoxe entre empathie et entropie constituera sans doute le principal défi que devra affronter notre espèce pour survivre et prospérer sur cette Terre. Cela nous oblige à repenser en profondeur nos modèles philosophiques, économiques et sociaux. » (Rifkin, 2009, p. 2)

Introduction

Même s’il n’est sans doute pas de bon ton de commencer un article littéraire ou académique par des citations, j’ai choisi d’en inclure deux (ci-dessus) car elles me semblent refléter l’ampleur et l’intensité des préoccupations de l’homme face à la situation mondiale actuelle en ce qui concerne la nature et l’environnement.

Lorsque l’on m’a invité à rédiger cet article, ma première réaction fut tout d’un coup la panique. Je me soucie énormément des questions écologiques et humaines, d’où mon choix pour le thème de cet expérientiel. Mais je n’avais aucune idée de ce que je pouvais dire de plus. Tout ce que je sais, c’est que le devenir de notre planète me tient énormément à cœur. J’avoue mal connaître les mécanismes précis du réchauffement planétaire, de la déforestation systématique, de l’érosion des habitats naturels et les enjeux de l’utilisation à grande échelle des pesticides… En revanche, cette préoccupation m’agite et m’a conduit à lire et à creuser davantage, et je me suis senti rassuré en découvrant que je ne suis pas le seul à être préoccupé! Mes lectures m’ont permis de comprendre que de nombreuses personnes éprouvent ce que Hall appelle « une angoisse écologique profonde » : d’ailleurs, dans le milieu de la psychothérapie, il constate une adhésion croissante à la thèse de l’importance considérable pour le psychisme de la relation entre l’homme et la nature (2014, pp. 23-24).

Voilà ce que je notais dans mon texte pour la brochure de l’expérientiel :

Désormais, comme nous vivons dans un « village planétaire », notre relation à l’autre et à la nature sont indispensables à la survie de notre espèce. Je suis persuadé que nous sommes tous confrontés à un défi collectif, celui de trouver comment aborder avec plus d’empathie et de compréhension aussi bien la nature que les êtres qui peuplent notre planète. Carl Rogers (1975) écrivait : « L’empathie est une façon d’être difficile, complexe, qui demande de la force – mais aussi subtilité et douceur ».

Je me demande dans quelle mesure nous, les êtres humains, allons faire preuve d’empathie vis-à-vis du monde et de tout ce qui s’y trouve, et comment nous allons faire preuve de force comme de douceur pendant la période de notre évolution qui se présente…

Les paragraphes suivants, sans être exhaustifs ni détaillés, visent à esquisser simplement certaines problématiques que nous devons affronter dans le monde d’aujourd’hui.

Nous sommes déconnectés de la nature  

« La terre fournit de quoi satisfaire les besoins de chacun, mais pas la cupidité de tout un chacun. » (Gandhi)

De nombreux auteurs ont décrit le fossé grandissant qui s’est creusé dans la vie moderne entre l’homme et la nature. Voici deux anecdotes qui illustrent ce phénomène :

Un ami m’a confié récemment une anecdote que lui avait racontée une de ses voisines, que nous appellerons Diane. Elle avait proposé d’emmener en vacances en camping avec sa propre famille, le fils de ses voisins. Ce garçon, que j’appellerai Bertrand, fut manifestement ravi de vivre cette aventure, depuis le voyage en train (car à 10 ans, il n’avait encore jamais pris le train) jusqu’à l’expérience du camping. Lorsque le groupe, c’est-à-dire Diane, sa famille et Bertrand, eurent quitté la gare et se dirigeaient à pied vers leur destination, environnés par la nature (les champs, la montagne, les oiseaux…), Bertrand demanda : « C’est en 3D, tout ça ? » Sa question nous montre qu’il ne pouvait en fait décrypter sa perception du paysage qu’en termes de son expérience de vie jusqu’à présent, c’est-à-dire qui relevait essentiellement du monde de la télévision et des vidéos. C’est un exemple de ce que Louv a défini comme un « trouble du déficit de la nature » chez les jeunes des agglomérations qui ont rarement accès à un environnement naturel, ou à la verdure, par exemple (2005).

Mon fils raconte également qu’il y a quelques années, lors d’une coupure de courant un soir à New York, la police a été submergée par des appels téléphoniques de la part de gens qui, inquiets de voir de toutes petites lumières dans le ciel, voulaient savoir ce que c’était ! Pour ceux qui vivent depuis toujours dans une agglomération urbaine dense, le fait de voir les étoiles est un événement extrêmement rare.

D’ailleurs, je me rappelle une période que j’ai dû passer en tant que jeune stagiaire il y a environ quarante ans, près du port de Londres, dans un quartier défavorisé et à haute concentration démographique. Je me souviens très nettement que surtout pendant mes premières semaines là-bas, je ressentais très fort le besoin de trouver un coin de verdure dans un jardin public ou devant une maison – en fait, tout ce qui pourrait me permettre de surmonter l’impression de déséquilibre que j’avais ressentie en arrivant dans un environnement industriel si austère, et dans lequel je manquais de lien avec les gens du quartier. Intuitivement je sentais que je rétablirais en partie mon équilibre psychique en retrouvant simplement la nature, même s’il ne s’agissait que d’une petite parcelle d’herbe dans un jardin public.

Comme le dit Mary-Jayne Rust : « J’aime la nature » est une phrase courante, presque banale. En tant qu’êtres humains nous sommes fascinés par d’autres espèces, et émerveillés par la beauté de nos campagnes. Pourtant l’histoire de la civilisation occidentale démontre que la nature, y compris notre propre nature humaine, nous fait peur, et que nous nous débattons contre elle. On peut dire que cette ambivalence se trouve à la source de la crise écologique actuelle. (2014, p. 38)

L’emprise de la technologie : réseaux électroniques et sociaux, narcissisme et empathie

Christina Patterson affirmait récemment dans un article de journal que l’on peut difficilement ne pas voir le lien entre une absence croissante d’empathie chez les jeunes et le nombre d’heures qu’ils passent en ligne. Elle cite un rapport de la Kaiser Family Foundation qui indique que « les jeunes entre 8 et 18 ans passent désormais presque huit heures par jour en ligne, et ils sont tellement forts dans le « multi-tâche » qu’ils arrivent à condenser là-dedans onze heures de « contenu ». Bien que cela comporte certains avantages, car le cerveau d’un jeune est réceptif, il est préoccupant de constater que ce temps n’est pas consacré à l’apprentissage, de nouvelles langues par exemple, mais plutôt à publier des informations principalement à propos de soi-même ».

L’auteur fait allusion ici à un nouveau livre intitulé The App Generation [La génération appli] de Howard Gardner and Katie Davis qui estiment que « les jeunes, sur les réseaux sociaux, passent 80% de leur temps à parler d’eux-mêmes ! Alors, s’il s’agit de 80%, force est de constater que c’est du narcissisme, et à 80% c’est du narcissisme à une échelle socio-pathologique.

Cet article cite également des travaux de la psychologue Sara Konrath qui a réuni des données provenant de 72 études, lesquelles semblent démontrer que « les niveaux d’empathie relevés chez les étudiants des facultés américaines ont baissé de 40% en 20 ans ! ».

La technologie galopante, côté « Yin et Yang » : dangers et bénéfices   

Dans les publications sur l’éco-psychologie, on trouve l’hypothèse récurrente d’une réorientation significative depuis une cinquantaine d’années des schémas relationnels des êtres humains, depuis la relation à autrui et à la nature, vers une relation à la technologie. L’énorme diversité des réseaux sociaux actuels, de Facebook à Twitter, en passant par les courriels et les blogs – tout cela représente en termes de développement humain un ensemble de technologies tout à fait nouvelles, à travers lesquelles s’effectue une certaine forme d’échanges humains.

Sans vouloir contester l’apport considérable de ces avancées technologiques pour la vie moderne, il est indéniable que ces systèmes et ces outils de communication peuvent engendrer des abus, du chaos et de la souffrance à grande échelle. Un article récent et particulièrement alarmant de Martin (2014) décrit les objectifs, les orientations et les travaux du Centre pour les Risques existentiels, un nouveau groupe de réflexion et de recherche à l’Université de Cambridge. Ce centre est axé sur « l’observation de l’horizon », à l’affût de ce qu’ils qualifient d’« événements à probabilité réduite mais aux conséquences significatives ». Parmi leurs préoccupations actuelles figure le fait que:

  • Le développement de l’intelligence artificielle risque de dépasser notre propre intelligence ;
  • Nous pourrions finir par élaborer des machines ou des systèmes informatiques complètement autonomes, que l’on ne saura plus arrêter ;
  • Dans notre monde d’interconnexion, des technologies novatrices pourraient permettre à un extrémiste de déclencher à lui seul une catastrophe ;
  • Il existe des scénarios selon lesquels les nouvelles technologies en géo-ingéniérie pourraient éventuellement arriver à freiner le réchauffement climatique, mais les niveaux de CO² continueraient à monter.

Jeremy Rifkin, éminent conseiller futurologue auprès du Parlement européen et de plusieurs grands pays du monde, se situe directement à l’opposé de ces scénarios anxiogènes en lien avec les technologies du futur. Il prévoit des changements radicaux dans notre façon de gérer nos communications, nos relations et le monde des affaires. Lors d’une conférence devant les employés de Google (disponible désormais sur YouTube), il décrit sa vision d’une évolution importante vers la disparition du capitalisme tel que nous le connaissons. Il envisage une évolution vers une plus grande collaboration sociale, des ressources sociales accessibles à tous, et le développement durable à long terme. Nous allons devenir des « pro-sommateurs » et non plus des « consommateurs ». Les moyens de production, grâce à l’expansion des réseaux de communication de type électronique, vont conduire à un élargissement des capacités de partage horizontale des ressources ; ce qui, associé au développement des sources d’énergie vertes (éoliennes, énergie solaire, transports électriques…), va avoir un impact radical sur le monde du pouvoir et des finances dont la structure est actuellement verticale. Il prévoit également un accroissement des organisations fondées sur la coopération et le non lucratif. (Rifkin, 2014)

L’envergure et la vision extraordinaires de la conférence de Rifkin, dont l’esquisse ci-dessus ne donne qu’un bref aperçu, sont à couper le souffle. Cela justifie un certain optimisme dans ce monde qui évolue avec ses préoccupations actuelles concernant l’environnement, tout en reconnaissant en même temps l’accélération des changements attendus au niveau de l’environnement. Rifkin exprime l’espoir que la détérioration des conditions environnementales ne soit pas plus rapide que le rythme émergeant de cette transformation de nos modèles socio-économiques.

Réaffirmer notre besoin d’interconnexion avec autrui

Suzanne Keys, lors de sa conférence récente devant l’European Association of the Person-Centred Approach, affirmait que nous manquons de congruence vis-à-vis du monde. Certains d’entre nous continuent à vivre comme si de rien n’était (le déni), et d’autres acceptent avec résignation (la dépression). Le défi est donc de vivre cette époque charnière et de désintégration comme une opportunité, tout en élaborant de nouveaux modèles. Keys estime que nous nous sommes déconnectés de l’autre (qu’il soit humain ou non), et que nous mettons à mal les systèmes dont notre vie dépend, jusqu’à les détruire. Elle se demande finalement si en tant qu’espèce, nous pouvons intégrer l’idée que nous sommes suicidaires, meurtriers et inadaptés sur le plan écologique.

Nous avons un besoin désespéré de lien avec l’autre, et ce depuis que le premier homme a foulé notre sol. L’archevêque Desmond Tutu dit que la philosophie africaine de l’Ubuntu incarne « la qualité inhérente au fait d’être humain ». Ubuntu explique notamment que l’être humain ne peut exister de manière isolée, car notre besoin de l’autre est profondément ancré en nous.

Des études récentes confirment les bienfaits des liens étroits avec autrui et l’importance des groupes d’appartenance, pour prévenir les maladies du vieillissement (voir Cycling Weekly, 15 octobre 2009, p. 95). L’Université d’Exeter ainsi que celle du Queensland ont publié des recherches similaires qui constatent que le fait d’appartenir à un groupe a un impact positif sur notre santé et sur notre état général. Nous savons également que les groupes sociaux aident à faire face aux traumatismes importants de la vie, tels un AVC ou un diagnostic d’Alzheimer. Une personne entourée d’amis sera quatre fois moins exposée au risque d’un rhume. D’ailleurs, la récupération de la mémoire en post-opératoire est de 12% supérieure chez les personnes qui font partie d’un groupe. Non seulement nous avons besoin de l’autre pour être pleinement humain, mais le fait d’être en relation nous apporte à tous une meilleure qualité de vie sous bien des aspects. L’interconnexion est comme tissée dans la structure de notre être même.

Un livre récent de Christakis et Fowler (2010) avance l’hypothèse que cette capacité d’interconnexion est déjà profondément ancrée dans notre patrimoine génétique. Les auteurs prétendent que nous ne sommes pas simplement des animaux sociaux au sens conventionnel du terme : il existe en nous un ensemble très précis de liens dont la forme et la structure particulières sont inscrites dans nos gènes. En grande partie (et d’ailleurs très souvent, ce qui peut surprendre), nos comportements sont déterminés non seulement par nos amis, mais par les amis de nos amis – même lorsque nous ne les connaissons pas ! Ils évoquent à ce sujet la notion de « contagion sociale ».

Notre besoin de nous sentir en interconnexion avec la nature              

De nombreux professionnels de l’écoute sont convaincus – et quantité de conclusions scientifiques viennent confirmer cette impression – que notre espèce se dirige aveuglément et à toute vitesse vers un cataclysme imminent à cause de cette illusion d’être séparés de la nature. D’aucuns affirment également que les thérapeutes sont peut-être complices de cette marche en somnambule vers le précipice. D’autres encore (Macey, 2007: 8, 9) perçoivent une douleur et des peurs très répandues, même si elles sont niées ou non exprimées (Hall, 2014, p. 23)

Ces conclusions montrent un fossé considérable entre ceux qui vivent avec l’impression illusoire d’être séparés de la nature et la capacité énorme de l’être humain à entrer en relation avec tous les organismes vivants.

Abram (1977) fonde son ouvrage sur le concept que nous sommes humains uniquement à travers le contact et la cohabitation avec ce qui n’est pas humain. Il précise : « De nos jours, nos interactions se font presque exclusivement avec d’autres humains et à travers des technologies que nous avons fabriquées nous-mêmes. C’est une situation précaire, étant donné notre relation de réciprocité depuis toujours avec le paysage environnant, qui est constitué de multiples voix. Nous avons encore et toujours besoin de ce qui est autre que nous-mêmes et que nos propres créations ».

En tant qu’espèce, nous ne pouvons absolument pas nous permettre de perdre notre relation d’empathie avec le monde de la nature, lequel fonctionne sur des bases profondément empathiques, comme le décrit avec brio De Waal, biologiste de renom. Ayant étudié les comportements sociaux chez les animaux il affirme que l’animal – tout comme l’homme – est « préprogrammé à la solidarité » (De Waal, 2009). D’ailleurs un collègue me parlait récemment du nombre important de vidéos disponibles sur YouTube où l’on voit un animal venir en aide à un autre animal (d’une espèce bien distincte) et qui est en danger. Ces animaux font preuve de solidarité envers un autre en détresse. Apparemment, nous allons avoir besoin dans le futur de ces qualités empathiques dans nos relations au sein de l’humanité toute entière et avec le règne animal, car l’avenir est porteur de changements potentiellement effrayants.

L’émergence de l’éco-psychologie : étendre notre pratique personnelle et professionnelle

“La psychologie a besoin de l’écologie, et l’écologie a besoin de la psychologie. De ce nouveau partenariat pourra émerger une nouvelle profession, à savoir l’éco-psychologie, associant la sensibilité du psychothérapeute et le savoir-faire de l’écologiste. La contribution d’une nouvelle corporation de professionnels s’étend bien au-delà de la guérison à un niveau individuel.” (Roszak, 1992, p. 8)

Cet article a principalement porté sur la complexité des défis auxquels nous devons faire face dans un monde où les catastrophes naturelles et les changements climatiques deviennent dramatiques et par conséquent exigent toute notre attention.

Il existe heureusement un nombre croissant de publications sur l’éco-psychologie mettant en exergue des approches thérapeutiques récentes qui intègrent la dimension holistique du monde dans lequel nous vivons, comme nos clients d’ailleurs. Voici une sélection de quelques méthodologies qui figurent dans cette  littérature :

  • Une ouverture chez le thérapeute qui accueille avec empathie toutes les expressions du client, y compris celles qui relèvent du monde de la nature, de la métaphysique et de l’animal. (Hall, 2014 ; Rust, 2014)
  • Accepter et être conscient des manifestations relationnelles profondes de la part des animaux (de compagnie, par exemple) envers des humains en détresse, qui témoignent d’une sensibilité aux changements d’humeur et sont prodiguées de façon inconditionnelle et délicate. (Hall, 2014)
  • Accepter la présence d’animaux, comme par exemple celle d’un chien, dans le cabinet du thérapeute.
  • Equi-thérapies assistées.
  • Approches thérapeutiques par l’aventure et dans la nature. Nager avec les dauphins.
  • Entretiens « tout en marchant » : l’écoute ne se fait pas obligatoirement dans le cabinet du thérapeute !
  • Une reconnaissance accrue des approches corporelles « incarnées », comme la danse-thérapie. (Frizell, 2014)
  • Dans le domaine de l’Approche centrée sur la personne, un numéro spécial du Journal de l’association mondiale de l’ACP fut consacré à l’Écologie et les psychothérapies PCE (psychothérapies expérientielles centrées sur la personne), avec comme rédactrice invitée Suzanne Keys (2013).

Quelques réflexions en guise de conclusion 

Carl Rogers disait que nous traitons les problématiques psychologiques les plus lourdes à travers le déni et/ou la déformation. Certes, ces stratégies peuvent être utiles (provisoirement) dans la gestion des difficultés que nous n’arrivons pas à affronter directement, mais cependant, le malaise émotionnel qui est généré par ces dénis et par la transformation de l’expérience interne, provoque des angoisses et des dépressions. Selon Rogers, ce sont précisément ces forces émotionnelles qui finissent par nous pousser à affronter plus directement les problèmes que nous évitions jusqu’alors.

Ce résumé sommaire de la vision de Rogers concernant la souffrance morale suffira à nous aider à mesurer l’étendue importante du déni de « l’angoisse écologique profonde » qui affecte de nombreuses personnes.

Deux auteurs britanniques, en particulier dans le milieu de l’éco-psychologie et de la psychothérapie, faisaient remarquer récemment que « puisque les principaux problèmes mondiaux sont tous interdépendants il faudrait les aborder sous cet angle » (Keys, 2014,[2]). D’ailleurs la pensée écosystémique nous apprend à nous méfier de toute description qui se voudrait « complète », puisque chaque système s’intègre dans un système plus vaste, et qu’aucune énumération linéaire ne saurait couvrir de manière exhaustive le réseau d’interactions et de liens réciproques. (Totton, 2014, p. 6)

Ces affirmations font écho à Rogers, qui observe qu’au fur et à mesure que la tendance formative de l’univers se déploie, chaque nouveau paradigme qui se développe dégage de nouvelles complexités.

Il ne fait aucun doute qu’en tant qu’espèce il va nous falloir faire preuve d’une grande résilience dans un avenir très proche. Gunnestad (2006) a étudié le développement de la résilience et propose trois facteurs qui la favorisent :

  1. Nous avons besoin d’être reliés aux autres par des réseaux ;
  2. Il nous faut des capacités et des compétences individuelles ;
  3. Il doit y avoir dans notre vie du sens, des valeurs et de la confiance, le tout dans un contexte de soutien existentiel.

Une chose fort utile que nous pouvons faire – si nous en avons le courage – est d’échanger au sujet de nos préoccupations et de nos angoisses, et d’y faire face directement.

Il me semble que des groupes de parole (chose que nous connaissons depuis longtemps au sein de l’Approche centrée sur la personne), offriront un contexte adéquat pour aborder et affronter nos peurs, nos inquiétudes et nos difficultés face à ces préoccupations accablantes. C’est précisément au sein de ces « espaces sacrés » (Brazier, 2014), de ces cercles de discussion, que nous pouvons créer du potentiel bien plus vaste qu’une seule personne – la possibilité de nous sensibiliser davantage au contexte dans lequel nous vivons, à nos relations et à la complexité elle-même.

A cet égard, j’espère que des opportunités comme les séminaires expérientiels organisés par ACP-France ou les ateliers de Going Global (« Vers la mondialisation ») (voir références ci-dessous), nous permettront de mieux explorer en profondeur ces questions et de nous exprimer pleinement, car ce n’est qu’en y voyant plus clair que nous pourrons faire tout ce qui est en notre pouvoir.

« Ne mettez jamais en doute le fait qu’un petit groupe de citoyens réfléchis et décidés est capable de changer le monde. En fait, l’histoire nous montre que c’est le seul moyen d’y parvenir» (Margaret Mead, cité par Suzanne Keys, 2014).

Bibliographie et références

Abram, D. (1997) The Spell of the Sensuous: Perceptions and Language in a more-than-human world. New York: Vintage Books – Random House.

Brazier, C. (2014) ‘Walking in Sacred Space’. In Totton, N. (2014) (Guest Editor: Special theme symposium on Ecopsychology.) Self and Society. (An International Journal for Humanistic Psychology) Vol. 41, No. 4, Summer. 38-43.

Buber, M. (1958). I and Thou. Translated by Gregor Smith, R. (2nd edition). New York: Charles Scribner’s Sons.

Christakis, N., & Fowler, J. (2010). Connected: The Amazing Power of Social Networks and How They Shape Our Lives. London: HarperPress.

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Totton, N. (2014) (Guest Editor: Special theme symposium on Ecopsychology.) Self and Society. (An International Journal for Humanistic Psychology.) Vol. 41, No. 4, Summer.

L’auteur:
Désormais retraité, Colin Lago vit en Grande-Bretagne. Il a été responsable du service de Counselling des étudiants à l’Université de Sheffield. Il a exercé en libéral comme counsellor. Il est intervenu comme formateur, superviseur et consultant pour différents instituts dont ACP-France.