Le contexte de ce film, tourné en 1965, est très original. Le producteur a demandé à trois fondateurs de courants psychothérapeutiques de faire un entretien avec la même patiente, Gloria, afin de montrer les différences entre ces orientations. Ont été filmé :
– Carl Rogers, fondateur de l’Approche centrée sur la personne
– Fritz Perls, représentant de la Gestalt-thérapie
– Albert Ellis, pour la thérapie rationnelle-émotive.
Chaque entretien est précédé d’une présentation de la méthode et suivi d’un commentaire final du psychothérapeute qui exprime son point de vue sur la séance. L’entretien de Carl Rogers et Gloria a été remasterisé et mis en ligne en 2021. Le regarder ci-contre.
Le document ci-dessous est la transcription complète du film de de l’entretien de Rogers avec Gloria. Il comprend trois parties : une introduction de Carl Rogers qui présente sa méthode, l’entretien lui-même et le commentaire final de Rogers sur la séance.
Traduction: Marcel Tourrenc et Clément Haudiquet.
ENTRETIEN DE CARL ROGERS AVEC GLORIA
INTRODUCTION DE CARL ROGERS AVANT L’ENTRETIEN
Présentation de l’Approche centrée sur la personne
De mes années d’expérience thérapeutique, j’en suis venu à sentir que si je peux créer le bon climat, la bonne relation, les bonnes conditions, un processus de mouvement thérapeutique se produira presque inévitablement chez mon client. Vous vous demanderez : Quel est ce climat ? Quelles sont ces conditions ? Existeront-elles dans l’interview avec la femme (Gloria) avec qui je vais m’entretenir et que je n’ai jamais vue ? Permettez-moi d’essayer de décrire très brièvement quelles sont ces conditions telles que je les vois.
Tout d’abord, une question est : puis-je être réel dans la relation ? Cela a pris une importance croissante pour moi au fil des années. Je pense que le terme d’authenticité est une autre façon de décrire la qualité que j’aimerais avoir. J’aime le terme “congruent” qui signifie que mon expérience intérieure correspond à ce qui est présent dans ma conscience et s’exprime à travers ma communication. Dans un sens, quand j’ai cette qualité, je suis tout entier dans la relation. Il y a un autre mot qui le décrit pour moi. Je sens que dans la relation, j’aimerais être ”transparent”. Je suis tout à fait d’accord pour que mon client voit à travers moi, que je ne cache rien. Et quand je suis réel de la façon que j’essaie de décrire, alors mes propres sentiments remontent souvent à la conscience et sont exprimés, mais ils sont exprimés d’une façon qui ne s’impose pas à mon client.
Ensuite, la deuxième question est : vais-je arriver à apprécier cette personne et à prendre soin d’elle ? Si je n’apprécie pas mon client de manière persistante, je pense qu’il est préférable que je l’exprime. Mais je sais que le processus de thérapie est beaucoup plus susceptible de se produire et qu’un changement constructif est plus probable si je ressens une véritable estime spontanée pour l’individu avec qui je travaille et si j’apprécie cette personne en tant qu’individu distinct. On peut appeler cela qualité d’acceptation, attention, ou si vous préférez amour non possessif. Je pense que n’importe lequel de ces termes arrive à décrire cette condition, et je sais que la relation se révélera plus constructive si celle-ci est présente.
En ce qui concerne la troisième qualité : serais-je capable de comprendre le monde intérieur de cet individu ? Pourrais-je le voir à travers ses propres yeux ? Pourrais-je être suffisamment sensible pour me déplacer dans le monde de ses sentiments afin que je comprenne ce que cela fait d’être cette personne et afin que je puisse ressentir non seulement les significations superficielles, mais aussi certaines des significations qui se trouvent légèrement sous la surface. Je sais que si je me permets d’entrer avec sensibilité et précision dans son monde expérientiel, alors le mouvement thérapeutique et le changement sont beaucoup plus probables.
Alors, supposons que j’ai de la chance et que j’expérimente certaines de ces attitudes dans la relation, que se passera-t-il ? Eh bien, une variété de choses est susceptible de se produire. D’après mon expérience clinique et nos recherches, nous constatons que si les attitudes du genre de celles que j’ai décrites sont présentes, alors un certain nombre de choses se produisent. Le client explorera plus profondément certains de ses sentiments et attitudes. La personne est susceptible de découvrir certains aspects cachés d’elle-même dont elle n’était pas consciente auparavant. Se sentant appréciée par moi, il est fort possible qu’elle en vienne à s’apprécier davantage. En sentant que certaines de ses significations sont comprises par moi, alors elle peut peut-être plus facilement s’écouter, écouter ce qui se passe dans sa propre expérience, écouter certaines des significations qu’elle n’a pas pu saisir auparavant. Et peut-être que si elle sent la réalité en moi, elle pourra être un peu plus réelle en elle-même. Je soupçonne qu’il y aura un changement dans la manière de son expression, du moins cela a été mon expérience dans d’autres cas. D’être plutôt éloignée de son expérience, éloignée de ce qui se passe en elle, il est possible qu’elle aille vers plus d’immédiateté dans l’expression de son expérience, qu’elle soit capable de ressentir et d’explorer ce qui se passe en elle dans l’instant immédiat. De la désapprobation d’elle-même, il est tout à fait possible qu’elle évolue vers un plus grand degré d’acceptation d’elle-même.
D’une certaine peur de la relation, elle peut évoluer vers la capacité de se relier et de me rencontrer plus directement. D’une interprétation de la vie en noir et blanc et de schémas un peu rigides, elle peut évoluer vers des manières plus fluides d’interpréter son expérience et d’y percevoir des significations. D’un lieu d’évaluation extérieur à elle-même, il est tout à fait possible qu’elle aille vers la reconnaissance en elle-même d’une plus grande capacité à porter des jugements et à tirer des conclusions. Voilà donc quelques-uns des changements que nous avons eu tendance à découvrir et je pense que ce sont tous des changements caractéristiques du processus de la thérapie et de ce que nous avons nommé mouvement thérapeutique.
Si je réussis à créer ce genre de conditions, nous pourrons peut-être constater certains de ces changements chez la cliente, même si je sais que notre contact sera très bref.
TRANSCRIPTION DE L’ENTRETIEN DE ROGERS AVEC GLORIA
Rogers (R) : Bonjour. Je suis le Docteur Rogers, vous êtes Gloria sans doute ?
Gloria (G) : Oui c’est moi
R2 : Voulez-vous vous asseoir ? Bon, nous avons maintenant une demie heure à passer ensemble, et je ne sais pas vraiment ce que nous pourrons en faire, mais j’espère que nous en ferons quelque chose. Je serai heureux de savoir ce qui vous préoccupe
G2 : Eh bien, maintenant, je suis un peu nerveuse, mais je me sens plus à l’aise maintenant que vous parlez à voix basse, et je n’ai pas l’impression que vous serez brusque avec moi. Mais…
R3 : J’entends votre voix qui tremble, je sais que vous êtes… (sourire)
G3 : Bien, la principale chose dont je veux vous parler est celle-ci. Je viens juste de divorcer, j’ai déjà été en thérapie, et je me sentais bien lorsque j’en suis parti, et tout à coup maintenant, le plus grand changement consiste à m’adapter à ma vie de célibataire. Et l’une des choses qui m’embête le plus, c’est la question des hommes, le fait d’avoir des hommes à la maison et comment cela pourrait affecter les enfants. La chose la plus importante que je veux… La chose qui ne cesse de me venir en tête, ce que je veux vous dire, c’est que j’ai une fille de 9 ans qui, je l’ai senti à un moment donné, a eu beaucoup de problèmes émotionnels. J’aimerais pouvoir arrêter de trembler (rires). Je suis réellement consciente des choses qui l’affectent. Je ne veux pas qu’elle soit perturbée, je ne veux pas la choquer. Je veux tellement qu’elle m’accepte. Nous sommes vraiment très franches l’une avec l’autre, en particulier sur les questions de sexualité. L’autre jour, elle a vu une fille qui était célibataire mais enceinte, et elle m’a demandé comment il était possible que les femmes puissent être enceintes si elles étaient célibataires. Et la conversation était agréable, et je n’étais pas du tout mal à l’aise jusqu’au moment où elle m’a demandé si j’avais déjà fait l’amour avec un homme depuis que j’avais quitté son papa, et je lui menti. Et depuis ce jour-là, cela revient toujours à mon esprit, parce que je me sens tellement coupable de lui mentir, car normalement, je ne mens jamais parce que je veux qu’elle me fasse confiance. Et je voudrais, je voudrais vraiment que vous me donniez une réponse. Je voudrais que vous me disiez si je lui disais la vérité, est-ce que cela l’affecterait.
R4 : Et c’est cette préoccupation la concernant, et le fait que vous n’êtes pas vraiment à l’aise, que cette relation franche qui a toujours existé entre vous, vous avez l’impression que c’est comme si elle s’était évanouie ?
G4 : oui, je sens que je dois être sur mes gardes par rapport à ça, parce que je me souviens que lorsque j’étais une petite fille, et quand j’ai découvert pour la première fois que ma mère faisait l’amour avec mon père, j’ai trouvé que c’était sale et dégoûtant, et pendant quelque temps, je ne l’ai plus aimée. Et je ne veux pas mentir à Pammy (souvent appelée Pam par la suite) même si je ne sais pas comment faire.
R5 : J’aimerais vraiment pouvoir vous donner la réponse que vous pourriez lui faire (sourire).
G5 : J’avais peur que vous me répondiez ça (rire).
R6 : Parce que, ce que vous voulez vraiment, c’est une réponse !
G6 : Je voudrais surtout savoir si elle serait affectée si j’étais complètement ouverte et honnête avec elle, ou si au contraire, c’est le fait de lui mentir qui pourrait l’affecter. J’ai l’impression que ça va laisser une trace si je lui mens.
R7 : Hum. Vous sentez qu’elle pourrait soupçonner quelque chose ou bien qu’elle saurait que ce n’est pas tout à fait exact ?
G7 : oui, et j’ai l’impression qu’un jour elle n’aura plus confiance en moi. Et j’ai aussi pensé : « mon dieu, qu’est-ce qui se passera quand elle sera un peu plus âgée, et qu’elle se trouvera elle-même dans des situations délicates ? ». Probablement, elle ne voudra pas m’en parler si elle pense que je suis bonne et gentille. Et cependant, j’ai peur qu’elle puisse penser que je suis vraiment mauvaise. Et je voudrais tellement qu’elle m’accepte. Mais je ne sais pas ce qu’une fille de neuf ans peut encaisser.
R8 : Et cette probabilité vous préoccupe vraiment, le fait qu’elle puisse penser que vous êtes meilleure que vous ne l’êtes en réalité…
G8 : …Oui
R9 : … ou qu’elle puisse penser que vous êtes pire que ce que vous n’êtes.
G9 : Pas pire que ce que je suis (rire). Je ne sais pas si elle peut m’accepter vraiment telle que je suis. Je pense que je présente une image de moi douce et maternelle. Et en fait, j’ai un peu honte de mon côté sombre.
R10 : hum, hum… je vois. En réalité, c’est un peu plus profond. Si elle vous connaissait vraiment, voudrait-elle ou pourrait-elle vous accepter ?
G10 : C’est ce que je ne sais pas. Je ne veux pas qu’elle se détourne de moi… (légère pause) Je ne sais pas ce que je ressens par rapport à ça car il y a des fois où je me sens vraiment coupable, comme quand je fais venir un homme à la maison ; je fais toute une mise en scène afin que si jamais je me retrouve seule avec lui, les enfants ne puissent pas me surprendre dans ce genre de situation. Je fais attention à ça, et pourtant, je sais aussi que j’ai ce genre d’envies.
R11 : Cela semble clair qu’il ne s’agit pas seulement de son problème ou celui de vos rapports avec elle, que c’est également en vous.
G11 : Dans ma culpabilité. Je me sens si souvent coupable.
R12 : Comment puis-je m’accepter dans ce que je fais ? Et vous réalisez que vous mettez en place des sortes de subterfuge pour être certaine que vous ne serez pas prise sur le fait, que vous agissez à partir de la culpabilité. C’est ça ?
G12 : oui, et je n’aime pas… j’aimerais me sentir à l’aise quoi que je fasse : si je choisis de ne pas dire la vérité à Pammy, me sentir à l’aise avec l’idée qu’elle ne peut pas comprendre, mais ce n’est pas vraiment le cas. Je veux être honnête, et cependant, je sens qu’il y a des aspects que je n’accepte même pas !
R13 : Et si vous ne pouvez les accepter en vous-même, comment pourriez-vous être à l’aise en lui en parlant ?
G13 : C’est ça.
R14 : Humm Et cependant, comme vous le dites, vous avez ces envies-là et vous avez vos propres sentiments, mais vous ne vous sentez pas bien avec ça.
G14 : C’est ça… (hochements de tête et sourire). Hum, j’ai le sentiment que vous allez vous asseoir là, et me laisser mijoter là-dedans (rires) et j’en voudrais plus. Je voudrais que vous m‘aidiez à me débarrasser de ces sentiments de culpabilité. Si j’arrivais à m’en débarrasser lorsque je mens que je couche avec un homme seul, je pourrais me sentir plus à l’aise.
R15 : Et il me semble que j’aimerais vous dire : « non, je ne veux pas juste vous laisser mijoter dans vos sentiments » ; mais d’un autre côté, j’ai l’impression qui s’agit là de quelque chose de très privé pour lequel je ne peux pas donner de réponse à votre place. Mais aussi vrai que deux et deux font quatre, je suis décidé à vous aider à trouver votre propre réponse. Je ne sais pas si cela signifie quelque chose pour vous, mais c’est bien mon intention.
G15 : bon, j’apprécie ce que vous dites là (sourire ; elle enlève son bras du dossier de la chaise et utilise maintenant les deux mains pour faire des gestes). Ça ressemble à ce que voulez dire. Mais je ne sais pas dans quelle direction aller. Je ne sais pas par où commencer. Je pensais que j’avais presque réussi à surmonter mon sentiment de culpabilité, et maintenant que ça revient, je suis déçue. Je suis vraiment déçue. J’aime bien lorsque je sens que je n’ai pas de problème avec ce que je fais, même si cela va à l’encontre de ma morale ou de mon éducation, et que malgré ça, je peux me sentir bien. Mais ce n’est pas le cas maintenant. C’est comme au travail, il y a une fille qui se comporte envers moi de façon maternelle, et je pense qu’elle pense que je suis toute douce, et en effet, je ne veux pas lui montrer mon côté méchant. Je veux être gentille avec elle, et ce n’est pas facile. Tout cela me semble à nouveau présent (T : Mhm) et je suis déçue !
R16 : oui, j’entends votre déception. Il y a beaucoup de ces choses que vous pensiez avoir surmontées, et surgissent à nouveau les sentiments de culpabilité et le sentiment que seule une partie de vous est acceptable.
G16 : oui
R17 : ça revient souvent… (Gloria fronce les sourcils) Je crois que je comprends le profond embarras que vous ressentez en vous demandant : « qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire ? »
G17 : oui, et vous savez ce que je peux constater, Docteur, c’est que tout ce que je commence à faire de manière spontanée, cela me semble naturel de le dire à Pamela, qu’il s’agisse de sortir pour un rendez-vous ou autre chose, en fait, je me sens à l’aise avec ça jusqu’au moment où je me souviens de la façon dont j’ai été affectée quand j’étais enfant. Et lorsque cela émerge, alors, j’en suis toute retournée. C’est comme de vouloir être tellement une bonne mère, et j’ai impression d’être une bonne mère, mais il y a des petites exceptions. C’est comme mon sentiment de culpabilité par rapport à mon travail. J’aime bien travailler la nuit, et c’est sympa de gagner un peu plus d’argent. Mais dès que je pense que je ne suis pas une bonne mère avec les enfants et que je ne leur consacre pas assez de temps, alors, je commence à me sentir coupable. C’est comme me sentir dans – comment ils appellent ça ? – dans une situation de double lien. C’est exactement comme ça que je le ressens. Je veux faire çi ou ça, ce qui me semble juste, mais du coup, je n’agis pas en bonne mère, et en fait, je voudrais vivre les deux. Je deviens de plus en plus consciente jusqu’à quel point je suis perfectionniste. J’ai vraiment l’impression de vouloir être parfaite. Mais bon, soit je veux devenir parfaite selon mes critères, soit je ne veux plus ressentir ce besoin.
R18 : Ou plutôt, je crois que j’entends cela un peu différemment, que ce que vous voulez, c’est d’avoir l’air parfaite, mais, c’est une question d’importance pour vous d’être une bonne mère, et vous voulez avoir l’air d’être une bonne mère, même si certains de vos sentiments réels diffèrent de cela. Est-ce que j’ai bien saisi ou pas ?
G18 : Mince ! Je n’ai pas l’impression de dire ça. (R : Ah Ok). Non, ce n’est pas ce que je ressens réellement. Je veux toujours pouvoir avoir une bonne opinion de moi-même, mais mes actions ne me le permettent pas. Je veux pouvoir avoir une bonne opinion de moi.
R19 : Je réalise… voyons voir… ça résonne comme si vos actions étaient en dehors de vous. Vous voulez avoir une bonne opinion de vous, mais ce que vous faites d’une certaine manière, ne vous laisse pas cette possibilité.
G19 : C’est ça… (légère pause) Comme quand j’ai l’impression que je peux pas avoir une bonne opinion de moi-même en ce qui concerne, par exemple, ma vie sexuelle ; ça, c’est le point clé ! Si je tombais vraiment amoureuse d’un homme, que je le respectais et que je l’aimais vraiment, je ne crois pas que je me sentirais coupable de coucher avec lui, et je ne crois pas que j’aurais à inventer des excuses vis-à-vis des enfants, car ils verraient bien mon affection naturelle pour lui. Mais lorsque j’ai des désirs physiques, et que je me dis « bof, finalement, pourquoi pas les vivre ? Pourquoi pas, après tout, si ç’est ça dont j’ai envie », alors, je me sens coupable après coup. Je déteste regarder les enfants en face. Je n’aime pas me regarder en face, et je ne suis pas très contente. Ce que je veux dire, c’est que si les circonstances étaient différentes, je ne crois pas que je me sentirais aussi coupable, car je me sentirais juste avec ça.
R20 : Oui, j’ai l’impression de vous entendre dire : «si ce que je faisais lorsque je couchais avec un homme était réellement authentique, plein d’amour, de respect et de tout, je ne me sentirais pas aussi coupable vis à vis de Pam, je me sentirais vraiment plus à l’aise avec cette situation ».
G20 : Oui, c’est ce que je ressens (sourire). Et je sais que cela donne l’impression que je veux une situation parfaite, mais c’est bien comme ça que je le ressens. Et en même temps, je ne peux pas empêcher ces envies. J’ai aussi essayé ça ; j’ai essayé de me dire : « Ok, je ne m’aime pas lorsque je fais ça, donc, je ne le ferai plus ». Mais alors, j’en veux aux enfants. Je me dis : « pourquoi devraient-ils m’empêcher de faire ce que je veux, alors que ce n’est pas si terrible».
R21 : mais j’ai l’impression que je vous ai aussi entendu dire qu’il ne s’agit pas seulement des enfants, mais que vous n’aimez pas vraiment ça, lorsque ce n’est pas réellement…
G21 : Exact. Je suis sûre que… je sais que c’est ça, probablement plus que je n’en suis consciente, mais je ne le remarque jamais autant que lorsque je le vois chez les enfants. Alors, je peux aussi le voir chez moi.
R22 : et d’une manière ou d’une autre, vous avez parfois envie de les blâmer pour le sentiment que vous éprouvez. Je veux dire, pourquoi devraient-ils vous priver d’une vie sexuelle normale ?
G22 : Disons une vie sexuelle pas normale j’ai envie de dire, car il y a là quelque chose qui me dit que ce n’est pas très sain d’avoir des relations sexuelles simplement parce qu’on se sent attiré physiquement ou que c’est un simple besoin physique. Il y a quelque chose là-dedans qui me dit que ce n’est pas tout à fait ok.
R23 : Humm. Vous sentez que réellement, parfois, vous agissez d’une manière qui n’est pas en accord avec vos propres critères.
G23 : c’est ça, c’est ça.
R24 : mais vous disiez aussi il y a un instant, que vous avez l’impression de ne pas pouvoir vous en empêcher.
G24 : j’aimerais pouvoir. C’est ça, et je ne peux pas, j’ai l’impression que je ne peux pas me contrôler aussi bien qu’avant. Pour une raison ou une autre, je n’y arrive pas. Je lâche prise mais il y a trop de choses que je fais mal et qui me font sentir coupable, et je n’aime pas ça. Je voudrais vraiment que vous me donniez une réponse directe, et je vais vous poser la question, même si je n’attends pas une réponse directe, mais je veux savoir. Pensez-vous que, pour moi, la chose la plus importante est d’être ouverte et honnête, et si j’arrive à être ouverte et honnête avec mes enfants, pensez-vous que cela pourrait leur nuire ? Si par exemple, je disais à Pamela, « je me sens mal de t’avoir menti, mais maintenant je vais te dire la vérité », et si je lui dis la vérité et qu’elle est choquée ou bouleversée, est-ce que cela pourrait la troubler davantage ? Parce que je veux me débarrasser de la culpabilité, et cela m’aiderait, mais je ne veux pas non plus qu’elle en porte le poids.
R25 : c’est ça.
G25 : pensez-vous que cela pourrait la blesser ?
R26 : Oui, j’entends une véritable préoccupation. J’ai l’impression – je suis sûre que cela vous paraîtra une réponse évasive, mais il me semble que peut-être, la personne envers qui vous n’êtes pas complètement honnête, c’est vous-même… (pause). Car j’ai été frappé par le fait que vous disiez : «si je me sens bien par rapport à ce que je fais, qu’il s’agisse de coucher avec un homme ou autre chose, si je me sens ok par rapport à ça, alors je n’ai pas à me préoccuper de ce que je pourrais dire à Pam ou de ma relation avec elle ».
G26 : c’est ça, tout à fait. J’entends que vous dites… (pause). Je veux travailler sur l’acceptation de moi-même. Je veux travailler pour me sentir bien (R. : c’est un peu difficile, n’est-ce pas ?) Oui, mais cela a du sens. Que cela devienne naturel et alors, je n’aurai plus à m’inquiéter de Pammy. (T : Mhm.) Mais quand quelque chose me paraît mal, et que j’ai quand même envie de le faire, comment puis-je accepter cela ?
R27 : ce que vous aimeriez, c’est vous sentir plus acceptante envers vous-même lorsque que vous faites des choses que vous ressentez comme mal, c’est ça ?
G27 : c’est ça. Je sens que…
R28 : (Sourire) Cela ne semble être une mission difficile à remplir !
G28 : Ben oui. J’ai l’impression que vous allez me dire : « mais pourquoi pensez-vous que ce que vous faites est mal ?». Et là aussi, mes sentiments sont mélangés. Au cours de la thérapie, je pourrais dire : « voyons un peu, je sais que tout ça, c’est naturel. Les femmes l’éprouvent ; c’est sûr, on n’en parle beaucoup en société, mais toutes les femmes l’éprouvent, et c’est très naturel ». J’ai eu une vie sexuelle pendant les 11 dernières années, et bien sûr, je le souhaite encore. Mais je continue de penser que c’est mal à moins qu’on ne soit vraiment amoureuse d’un homme ; mais mon corps ne semble pas être tout à fait d’accord avec ça. Et du coup, je ne sais pas comment accepter ça.
R29 : Cela ressemble à un triangle, n’est-ce pas ? Vous avez l’impression que je, disons les thérapeutes en général, ou d’autres gens, peuvent dire : « c’est bien, c’est bien, c’est assez naturel, allez-y, continuez », et j’ai l’impression que votre corps prend ce parti-là.
Mais il y a quelque chose en vous qui dit : «je n’aime pas cette voie-là, à moins que ce ne soit vraiment juste ».
G29 : C’est ça… (longue pause ; soupire) je me sens un peu désespérée, là. Ce que je veux dire, c’est que tout cela est vrai, c’est ce que je ressens. Mais je me dis : « bon, et alors ?»
R30 : Hum. Vous sentez que le conflit est vraiment là et insoluble, et que, par conséquent, c’est sans espoir. Et vous tournez votre regard vers moi, et il semble que je ne vous apporte aucune aide.
G30 : C’est ça. Je sais bien que vous ne pouvez pas répondre à ma place et que je dois m’en sortir par moi-même, mais je voudrais que vous me guidiez ou bien que vous me montriez par où commencer, ou bien encore, me dire que tout cela n’est pas sans espoir ! Je sais que je peux continuer à vivre avec ce conflit, et je sais que les choses ne pourront peut-être pas se résoudre. Mais j’aimerais quand même être plus à l’aise avec ma manière de vivre, et ce n’est pas le cas.
R31 : Il y a une chose que je pourrais vous demander : que souhaiteriez-vous que je vous dise ?
G31 : j’aimerais que vous me disiez d’être honnête et de prendre le risque que Pammy m’accepte. Et j’ai aussi le sentiment que si je pouvais vraiment prendre ce risque avec Pammy, surtout avec elle, alors je serais capable de dire : « si cette gamine peut m’accepter, je ne suis donc pas si mauvaise ». Si elle découvre vraiment les mauvaises choses que je fais et qu’en même temps elle m’aime et m’accepte, alors il me semble que cela me conduirait à m’accepter plus moi-même, comme si finalement, ce n’était pas si terrible que ça. Je veux que vous me disiez d’y aller et d’être honnête, mais je ne veux pas prendre la responsabilité de la perturber. C’est une responsabilité que je ne veux pas assumer.
R32 : Donc, vous savez très bien ce que vous aimeriez faire dans cette relation. Vous aimeriez être vous-même, vous aimeriez qu’elle sache que vous n’êtes pas parfaite, qu’il vous arrive même de faire des choses qu’elle n’approuverait peut-être pas, et que vous-même, vous désapprouvez dans une certaine mesure, mais qu’elle vous aime de toute façon et vous accepte comme une personne imparfaite.
G32 : oui. Je me demande si ma mère avait été plus franche avec moi, peut-être je n’aurais pas une vision aussi rigide sur la question sexuelle. Si j’avais pensé qu’elle pouvait être, vous savez, sexy ou désagréable, méchante aussi, ou que ce n’était pas une mère si douce, mais elle n’en a pas parlé. (Elle secoue la tête) (T : Hum) C’est peut-être de là que me vient mon image. Je ne sais pas, mais je veux que Pammy me voit comme une femme à part entière, mais aussi qu’elle m’accepte.
R33 : vous n’avez pas l’air tellement hésitante.
G33 : je n’en ai pas l’air ? Que voulez-vous dire ?
R34 : ce que je veux dire, c’est que vous êtes assise là, en train de me dire exactement ce que vous voudriez faire dans votre relation avec Pam.
G34 : C’est ce que je voudrais, mais je ne veux pas en prendre le risque, à moins qu’une autorité ne me dise que…
R35 : je crois qu’il y a quelque chose que je ressens très fort, qu’il est terriblement risqué de vivre… (pause). Ou prendre le risque d’affecter votre relation avec elle, ou prendre le risque de lui laisser voir qui vous êtes réellement.
G35 : oui, et si je ne prends pas le risque et que cependant je me sens aimée et acceptée par elle, je ne me sentirais pas bien non plus.
R36 : si son amour pour vous et son acceptation sont basés sur une fausse image de vous-même, à quoi ça sert ? C’est bien cela que vous voulez dire ?
(…) Il reste 8 pages à lire.
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L’auteur
Carl Rogers est un psychologue nord-américain, fondateur de la Psychothérapie Centrée sur le Client et de l’Approche Centrée sur la Personne (Person-Centered Approach). Il a passé sa vie à explorer les processus de changement chez les individus vers le développement, la maturité et la plénitude. Pour en savoir plus sur l’auteur.