Entretien entre Carl Rogers (thérapeute) et Louise (la cliente). Il a eu lieu devant un groupe, en 1986, soit un an avant la mort de Carl Rogers. Il est donc intéressant de comparer son style d’intervention à la fin de sa vie avec celui des premières transcriptions des années 40 et 50. Le verbatim de l’entretien est suivi de commentaires de la cliente et de Rogers le thérapeute.

Peggy Natiello considère que cet entretien, avec celui de Mary, donne des arguments à faveur du principe de l’autodétermination du client (In The Psychotherapy of Carl Rogers, Cases and Commentary“, The Guilford Press, 1996).

Traduction de l’anglais au français : Valérie Diez (2023)

ENTRETIEN DE CARL ROGERS AVEC LOUISE (1986)

T (Carl Rogers) : J’apprécie que vous ayez accepté d’être le client, et je ne sais pas de quoi vous pourriez vouloir parler.

C1 (Louise) :    Hum moi non plus. Un petit moment, hum. Je crois que j’aimerais dire ce que je ressens là tout de suite… (T : hum, hum.) hum, qui est, hum, qui est un peu…Je pense que je vais parler de l’anxiété. Hier, je me souviens avoir dit : “J’ai les paumes qui transpirent.” (T : Hum, hum.) Et, hum, quand N. m’a demandé et que nous faisions… juste après avoir fait la danse, j’ai soudainement pris conscience que je ne portais pas grand-chose et, et j’ai pensé, “Eh bien, c’est comme ça que je me sens. Je me sens vulnérable.” (T : Hum, hum.) Et, et un peu nue, oui. (T : Hmm, hmm) hmm…

T1:       Les deux à la fois. En même temps, anxieuse et exposée.

C2:      Oui

T2:       hmm, hmm.

C3:      D’une certaine manière, c’est un bon sentiment et cela… et cela vient de ce que nous venons de faire dans notre petit groupe, hum, similaire au travail que nous avons fait ce matin avec trois dessins. Et à la fin, je me suis sentie… enfin, en y repensant, en particulier à deux des dessins, j’ai pris conscience de mon… j’ai été assez bouleversée par ce que j’ai… par ce qui est ressorti de ces dessins. (T : hum, hum.) Um… leur, leur beauté, et c’est ce que je peux voir les yeux fermés. (T : Uhm, hmm.) Donc c’était bon de… Je suppose que c’était bon d’être consciente et en contact avec ma beauté intérieure et de m’en réjouir. (T : Uhm, hmm.) Um… c’est donc la suite du processus de ce matin.

T3:       Cela ne fait pas partie de mon mode de fonctionnement habituel. Si vous le souhaitez, aimeriez-vous avoir les dessins ici pour en parler ou non ?

C4:      Um, oui, j’aimerais vous les montrer.

T4:       D’accord, je ne sais pas. (Inaudible) que quelqu’un d’autre les amène.

C5:      Voilà. Eh bien, cette partie, la partie orange, oui. D’accord. C’en est une. Ouais, les trois, les trois, le jaune, non… oui. (Pause.) Ce sont les deux qui m’ont impressionné. (T : Uhm, hmm.) hum… c’était celui-là, c’était… c’est le premier. (T : Hum, hum.) Je ne me souviens plus lequel… Je crois que c’est celui-là. Et j’ai remarqué que ce n’était pas nouveau pour moi, ces formes, ces couleurs. C’est comme quelque chose qui se fait depuis longtemps et que je viens juste de remarquer vraiment. (T : Uhm, hmm.) Ouais.

T5:       Et vous voulez dire quelque chose sur chacun d’entre eux ? (Pause.) Vous dites que celui-ci est le premier, hein ?

C6:      Oui. Eh bien, ce que C. nous suggérait, c’était de prendre deux, nous prenions deux, euh… quelque chose qui nous tracassait ou quelque chose qui était en nous et les deux extr-… les deux faces de cela. (T : Uhm, hmm.) Et quelque chose qui, hum, quelque chose qui vient de me venir à l’esprit, tout le monde va rire, mais de toute façon, la, hum, quelqu’un qui ramassait les feuilles et qui était dans le jardin cette semaine et à qui je disais bonjour m’a soudainement demandé un rendez-vous juste avant que je vienne au petit groupe. (T : Uhm, hmm. Uhm, hmm.) Et, uh, j’aime bien lui parler, mais quand il m’a demandé de sortir avec lui, j’étais terrifiée. Et, euh, c’est… j’ai réalisé que je n’étais pas obligée de sortir avec lui, qu’il n’y avait pas le temps. Alors (Inaudible) je le lui ai dit et, euh, et je suis venue ici. Mais cela m’a fait penser à ces polarités dans ma vie, au fait que je veux un compagnon et que en même temps, j’en ai peur. (T : Uhm, hmm.) Ouais.

T6:       Il s’agissait peut-être d’un évènement tout à fait mineur mais qui symbolisait quelque chose pour vous.

C7:      C’est exact.

T7:       A la fois le désir et la peur.

C8:      C’est tout à fait ça, oui.

T8:       Uhm, hum

C9:      Donc ça c’est  le premier dessin. (T : Uhm, hmm.) Ce que j’ai retenu, c’est exactement ça, le désir, et la peur, et c’était, c’était le désir. (T : Uhm, hmm.) Et ce que j’allais dessiner ensuite, c’était la peur et je pensais que ce qui allait en sortir serait une autre image sombre d’une sorte ou d’une autre, et au lieu de cela, eh bien, je crois que c’est ma joie et ma beauté qui sont apparues. (T : Uhm, hmm.) Ce qui, euh, semblait d’une certaine manière être une extension de ce dessin, (T : Uhm, hmm.) plutôt que, (T : Uhm, hmm.) plutôt que l’opposé.

T9:       Ils semblent en apparence aller ensemble et pourtant ils sont ressortis plutôt différents.

C10:    Oui, oui

T10:     Et l’un, si je comprends bien, est en quelque sorte polarisé.  L’autre est vraiment joyeux.

C11:    C’est exact. Oui. D’une certaine manière, ils semblent être une progression plutôt que des contraires. (T : Uhm, hmm. Uhm, hmm.) (25 secondes de pause) Quelque chose, hum, qui m’est venu à l’esprit à propos de ce que j’ai écrit ce matin, quand j’étais, hum, en train de ressentir l’échec de mon père. Et, euh, je ne sais pas. C’est juste une recherche intérieure et quelque chose qui est ressorti, mais (T : Uhm, hmm.) je me suis demandée si, euh, comment ma relation avec lui affecte ma relation en général avec les hommes. (T : Uhm, hmm. Uhm, hmm.) Le fait que je sois beaucoup plus proche de ma mère (T : Uhm, hmm.) J’ai parfois l’impression de ne pas le connaître du tout. Et, euh, la tristesse de ça ressortait ainsi que le fait de ressentir sa… toute la tristesse de le voir échouer dans les choses qu’il veut faire, et aussi la tristesse de ne pas le connaître aussi bien que je le voudrais.

T11:     Uhm, hum. C’est donc de la tristesse pour lui dans sa situation, mais aussi de la tristesse pour vous de ne pas le connaître.

C12:    Oui. Oui.

T12:     Et je ne suis pas sûr, vous avez parlé d’échec. Je ne sais pas, est-ce que vous parlez du sien ou du vôtre à ses yeux ?

C13:    Je pense que j’ai ressenti son, euh… oui, je suppose qu’il dirait, qu’il reconnaîtrait son échec.  Je suppose que je l’ai senti très fort puisqu’il avait une très bonne situation chez R. Je m’occupais du dehors, du monde extérieur, mais c’est ce qui me préoccupait à l’époque. (T : Uhm, hmm.) Et puis nous sommes revenus et il avait quarante ans et il a dû accepter un très… un travail très inférieur à ses capacités et c’est comme ça que ça a été vraiment, et il a maintenant 65 ans. (T : Uhm, hmm. Uhm, hmm.) Hum… eh bien, je pense juste à mon propre échec qui est allé de pair avec le sien, vraiment, que je n’ai pas fait aussi bien que ce que les gens attendaient de moi à l’école et que ce que j’attendais de moi-même, je suppose. (T : Uhm, hmm.) Parce que mes parents ne m’ont certainement pas imposé quoi que ce soit de lourd.

T13:     Hm?

C14:    Mes parents ne m’ont pas imposé de contraintes sur ce que je devais faire. (T : Uhm, hmm. Uhm, hmm.) Et cela a continué jusqu’à ce que je sois… pendant les dix années suivantes, plus ou moins. J’ai échoué au diplôme que je préparais à l’université. Hum… alors j’ai tâtonné en essayant de savoir ce que j’allais faire. Finalement, je suis retournée à l’université et j’ai obtenu ce diplôme. Et j’ai eu cette mauvaise expérience avec ce tuteur, (T : Uhm, hmm.) um, qui, plus ou moins, m’a dit que j’étais un mauvais professeur, vous savez. Je pense qu’au fond de moi, intérieurement, je n’y croyais pas, mais il m’a fallu du temps pour m’en libérer. (T : Uhm, hmm.) Ouais

T14:     Donc, aux yeux de votre père, aux yeux de votre tuteur, parfois même à vos propres yeux, vous avez souvent été en échec, même si, en ce qui concerne le tuteur, vous avez le sentiment que “j’ai raison et qu’il a tort. Je ne suis pas nulle”.

C15:    Oui. Dans ma tête.

T15:     Hmm?

C16:    Dans ma tête, je peux me dire ça facilement. (T : Uhm, hmm.) Mais dans mon cœur, (T : Uhm, hmm.), c’est encore en cours d’acceptation.

T16:     Votre cœur dit “Il a peut-être raison. lI a peut-être raison.”

C17:    Oui, c’est vrai.

T17:     “Peut-être que je suis une ratée.”

C18:    Oui, c’est ça. Eh bien, je crois que le fait de faire ça a commencé à changer les choses. Je veux dire que juste hier soir, j’ai été beaucoup plus en contact avec cela. (T : Uhm, hmm.) Et, et même simplement en faisant ça, cet après-midi, en reconnaissant ma propre force et tout ce côté positif.

T18:     Et je remarque que vous n’avez pas mentionné la troisième image.

C19:    Uhm, hmm. Celle-ci ?

T19:     Je suppose.

C20:    Et bien, j’ai eu le sentiment que c’était une continuation de, du jaune.

T20:     Oui.

C21:    Et, euh, quand C. a suggéré que nous allions vers ça ou que nous l’exprimions en mouvement, je me suis vue, euh, debout sur une falaise, euh, en quelque sorte… euh, c’est intéressant, accueillant le lever du soleil.

T21:     Uhm, hmm. Voilà qui est fait.

C22:    Voilà qui est fait. Oui.

T22:     Uhm, hmm. Il semble que ce soit le plus fort des trois.

C23:    Oui.

T23:     Donc, dans vos sentiments, c’est vous qui accueillez le lever du soleil et qui vous tenez sur une falaise.

C24:    Oui. (Pause) Je pensais à la métaphore, et j’avais compris ça avant, je pensais à la métaphore du lever de soleil comme si c’était moi, (T : Uhm, hmm.) hum, me reconnaissant.

T24:     Que vous êtes le lever du soleil.

C25:    C’est ça. Oui.

T25:     En train de sortir de l’obscurité.

C26:    Oui.

T26:     Uhm, hmm.

(Fin de la cassette face A)

C27:    Une bonne sensation.

T27:     Il me semble, il me semble que c’était en train d’être intégré.

C28:    Oui.

T28:     Uhm, hmm.

C29:    Oui.

T29:     Une sensation très agréable.

C30:    J’aimerais vous lire ce que j’ai écrit. Est-ce que ça vous irait ?

T30:     D’accord. Uhm, hmm.

C31:    Hum, (Inaudible) Je suis surprise. Je suis émerveillée. C’est moi. Des sentiments et des images de beauté qui sont venues de moi. En dépit de cette imposante femme noire et sombre, assise là et qui condamne. Malgré cela. Malgré sa présence. Malgré tout. Malgré tout cela, je suis en train d’écrire de la poésie. Formidable. Carrément merveilleux. (Pause.) Je me sentais vraiment bien.

T31:     Carrément merveilleux est tout à fait juste. Votre tuteur était-elle une femme ?

C32:    Oui.

T32:     Oh, c’est drôle, j’avais visualisé qu’il s’agissait d’un homme.

C33:    Un homme, oui.

T33:     Je vois. Uhm, hmm Uhm, hmm.

C34:    Il m’est donc arrivé…

T34:     Voilà donc une autre version du lever de soleil.

C35:    Oui, oui.   (Pause)

T35:     Hum, hum. Et tout à fait merveilleux, hmm? (Rire)

C36:    (Rires) (Pauses) Hum. Je pensais justement à cette femme sombre. Hier soir, quand je travaillais avec S., elle a suggéré que nous travaillions en Gestalt. J’ai travaillé avec la femme (inaudible) qui lui parlait. Et grâce à ça, j’ai réalisé que, euh… c’est là que j’ai été en contact avec cette partie de moi-même qui se condamne qu’elle… que j’ai comme intériorisé. (T : hum, hum.) Et, euh, eh bien, j’ai juste l’impression qu’elle a beaucoup moins de pouvoir maintenant. Je veux dire, (T : Hum, hum.) j’ai l’impression que ce côté critique de moi-même est toujours là, mais c’est un côté beaucoup plus positif, plus sain.

T36:     On dirait un peu que la femme sombre qui est en vous a été déplacée à l’extérieur. Ce n’est peut-être pas juste.

C37:    hum, hum. Et bien, c’est drôle, je pensais presque qu’elle n’était plus là.

T37:     D’accord

C38:    Et puis j’ai pensé à ce que D. avait dit, qu’il était utile d’avoir une personne critique à ses côtés. Et je me suis dit : “Oui, il y a probablement quelque chose là-dedans.” Comme quoi je pense qu’elle fait presque partie de tout ça. (T : Hum, hum.) Ouais.

T38:     Peut-être qu’il y a une autre forme de force à trouver là ?

C39:    Oui.

T39:     Uhm, hmm.

C40:    Cette partie qui peut-être auto-critique de manière plus saine… (T: ­ Uhm, hmm.) mais pas écrasante. Uhm, hmm.

T40:     Peut-être pouvez-vous garder certaines parties saines d’elle, mais pas la partie qui condamne.

C41:    Oui, oui (20 secondes de pause) (T: Uhm, hmm.) Hum. Elle m’attire vraiment (Rire).

T41:     Oui, je vois ça. Uhm, hmm. On dirait que vous la regardez et que vous vous dites : “Ça, c’est vraiment moi “

C42:    Ouai. Ouai. Hmm. Je me disais qu’il était étrange, d’une certaine manière, d’avoir mis autant de temps à en arriver là. (Longue pause) (T : Uhm, hmm.) Et puis j’ai pensé, “Non, c’est Ok.” (T : Uhm, hmm.) Ok. (T : Uhm, hmm.) Et je pense qu’avant la femme sombre aurait dit, “Louise, honnêtement, ça a pris si longtemps pour en arriver à ce stade.”

T42:     Uhm, hmm Uhm, hmm. “Pourquoi avez-vous été si lente, pour l’amour du ciel ?”

C43:    “Tout cet argent dépensé en workshops.”

T43:     “Je sais. Terrible.”

C44:    Hmm. C’est un véritable aimant ! Hum. (Rires) (Pause) J’ai eu l’impression quand, euh… après que N. m’ait demandé de faire ça, que j’étais arrivé à un très bon endroit et que je n’avais plus rien à ajouter. Vous savez, comme si j’avais immédiatement voulu faire ça et pourtant je pensais que mon processus était en quelque sorte terminé.

T44:     Vous vous êtes dit : “Je suis bien là, alors qu’est-ce que j’ai de plus à dire ?”

C45:    Yeah, yeah.

T45:     Et j’ai l’impression que c’est une forme de célébration.

C46:    Oui, c’est vrai. Oui, c’est certainement le cas.

T46:     Elle vous attire ! (Rires)

C47:    C’est vrai. C’est comme si je me sentais coupable maintenant, comme si je devrais plutôt tourner mon attention vers vous !

T47:     Je connais ce sentiment. Impossible de détacher les yeux de votre chef-d’œuvre ! (Rire)

C48:    (Rires) Est-ce que c’était comme ça pour vous avec votre (Inaudible)?­

T48:     Pardon?

C49:    Quand vous avez fait votre, euh, peinture que vous avez vraiment aimée ?

T49:     Oui, Oui j’aime bien la regarder. Uhm, hmm.

C50:    Hmm.  (Pause.)

T50:     Mmm. On dirait que vous l’appréciez vraiment et que vous vous appréciez vous-même.

C51:    Oui. Oui. Oui. Je trouve toujours étrange de ne pas avoir eu ce sentiment d’admiration plus tôt mais (T : Uhm, hmm. Uhm, hmm.) tout à coup, cela a émergé en moi.

T51:     Uhm, hmm. Un sentiment d’émerveillement et un sentiment de “Vraiment ?”.

C52:    Oui.

T52:     “J’ai donné naissance à ça.”

C53:    Oui. C’est exactement ça. Justement je pensais à une naissance.

T53:     Mmm. ” J’ai l’impression que je pourrais vraiment accomplir quelque chose “. Uhm, hmm.

C54:    Oui.

T54:     Une telle personne pourrait accomplir quelque chose.

C55:    Oui. Pourrait accomplir quelque chose, oui.

T55:     Uhm, hmm.

C56:    Hier soir, l’une des choses qui m’ont surpris, c’est le truc de la Gestalt avec C., avec, um…. Je parlais à ce tuteur, mon professeur, (T : Uhm, hmm.) et, hum, et une des choses que je, je voulais qu’elle reconnaisse, c’est que j’avais du potentiel et, hum… de la créativité et que je pouvais être une véritable leader dans mon domaine. Et c’était, j’étais un peu timide à l’idée de lui dire ça. Mais, mais je voulais aussi le dire et, euh, et ça… Je pensais justement à ça à ce moment-là. (T : Uhm, hmm.) Ouais.

T56:     Je ne suis pas certain de ce que vous voulez dire. Vous vouliez reconnaître cela en vous-même ou vous vouliez qu’elle reconnaisse cela dans ce que, dans ce que vous avez fait hier soir ?

C57:    Et bien, je suppose que ça revient au même. Oui.

T57:     Ok. Ok. Oui.

C58:    Oui.

T58:     Vous vouliez que la femme sombre en vous le reconnaisse.

C59:    Une reconnaissance, oui.  (Pause)

T59:     Je crois que vous pouvez considérer qu’elle l’a reconnu.

C60:    Oui. Je n’y avais pas pensé. (Pause.) Oui. Je me disais, euh, si cela signifie que j’accepte davantage mon propre échec et (inaudible) comme appartenant au passé, et que maintenant je peux vraiment avancer. (T : Uhm, hmm.) Je me disais que je pourrais peut-être aider mon père à faire de même. (T : Uhm, hmm.) Um, je sais que, je sais que l’une des raisons pour lesquelles je ne suis pas proche de lui est que, dans une certaine mesure, je me détourne de sa, de sa douleur, qu’il cache très… très bien. Euh, l’une des choses les plus difficiles avec lui, c’est qu’il, il parle et parle de…, enfin, de, de ce qui me semble être… rien, de politique et de, euh… enfin, surtout de politique. (Soupirs) Hum, mais c’est… quand je suis vraiment en mesure d’écouter, j’entends que c’est une défense contre tout ce qui se passe derrière, mais souvent je ne suis pas capable de le supporter, j’ai envie de m’enfuir.

T60:     Uhm, hmm. Uhm, hmm. Vous ne supportez vraiment pas ce discours à cause des sentiments que vous percevez derrière ?

C61:    Derrière eux, oui.

T61:     Et pourtant, vous vous demandez maintenant : “Peut-être pourrais-je me rapprocher de lui, peut-être pourrais-je même l’aider ?”

C62:    Oui, c’est vrai. Oui. Comme si j’y retournais et que je me rassurais en me disant que cette personne était capable de faire ça. (Rires.)

T62:     Uhm, hmm. Uhm, hmm. Si vous pouvez ramener cela avec vous à l’intérieur, pourquoi… mmm.  Je suppose que la façon dont vous l’avez dit, vous n’êtes pas tout à fait sûre, mais c’est ce que vous aimeriez.

C63:    C’est ça (20 secondes de pause)

T63:     Je ne peux m’empêcher de dire que cette image restera gravée dans votre cerveau. N’est-ce pas ?

C64:    (Rires). Je me disais qu’il allait bientôt prendre sa retraite.

T64:     Hum?

C65:    Mon père va bientôt prendre sa retraite, donc il aura beaucoup plus de temps pour lui.

T65:     Oh.

C66:    Mhm, hmm.

T66:     Mhm, hmm.

C67:    Eh bien, voyons voir, oui. (Pause) Je me sens différente quand je pense à lui. J’ai l’impression d’être, je ne suis pas comme si j’étais rayonnante avec le soleil, je me sens triste.

T67:     Uhm, hmm. Uhm, hmm. Penser à lui fait fuir les rayons du soleil, en quelque sorte. Vous ressentez, vous ressentez quelque chose pour lui. On dirait qu’il est très présent dans vos pensées et vos sentiments.

C68:    Je suppose que cela me donne l’impression d’avoir eu toutes ces opportunités et que, lui, il s’est retrouvé coincé si tôt et qu’il est resté dans cette impasse.

T68:     Uhm, hmm. Uhm, hmm.

C69:    (Pleurs) Il a participé à un workshop et, euh, il est beaucoup plus ouvert aux possibilités de changement maintenant. (T : Uhm, hmm.) Il a cassé un tél…, il a cassé un téléphone après, c’était un repli (inaudible)… Je pense que vous étiez là en fait. Il a cassé un téléphone quand il est revenu parce qu’il ne pouvait pas faire le grand saut (inaudible). Il était en colère contre le monde après cette merveilleuse expérience qu’il avait vécue. Je pense que c’est ce qui l’a poussé à cesser toute exploration.

T69:     Sa liberté d’expression s’est donc arrêtée au téléphone? (Rire)

C70:    C’est ça.

T70:     Mais vous avez l’impression qu’il y a goûté.

C71:    C’est vrai. Maintenant, j’ai l’impression qu’avec moi, il essaie vraiment de… ce qu’il fait si ma mère est là, c’est que si j’appelle, il me parle brièvement et puis il dit : ” Bon, ta mère est là “, comme s’il n’avait rien à me donner. Mais si elle n’est pas là et que j’appelle et que j’ai des problèmes, que j’ai besoin d’un soutien quelconque, il essaiera vraiment. (Pause) Hum, ça me rappelle une fois où il s’est levé pour danser et, euh, il s’est arrêté parce qu’il se sentait comme Pinocchio. Et j’ai l’impression que, d’une certaine façon, son (Inaudible) besoin de soutien se manifeste de cette façon. Il a vraiment besoin de se lâcher un peu et… (La voix faiblit)… d’avoir davantage confiance en lui-même.

T71:     Vous voulez vraiment que lui aussi puisse connaître le même genre de processus que vous.

(Longue Pause)

C72:    Oui. Oui. Je suppose que je veux qu’il soit plus conscient de sa valeur.  (Pause) Qu’il est une belle personne.

T72:     Hmm?

C73:    Qu’il est une belle personne.

T73:     Oui Vous aimeriez vraiment qu’il puisse peindre un tel tableau.

C74:    Oui. (T : Uhm, hmm. Uhm, hmm.) Il est très critique envers lui-même. Et il le manifeste parfois et c’est Thatcher qu’il attaque, ou Reagan, ou une figure politique comme Khadafy. Mais, euh, cela est lié aux attaques qu’il se fait à lui-même, j’ai l’impression.

T74:     Mmm. Vous sentez qu’il a un juge sombre en lui.

C75:    Oui, très sombre.

T75:     Cela me semble très court, mais on me dit que notre temps est bientôt écoulé.

C76:    D’accord. C’est incroyable. Ça m’a semblé durer dix minutes.

T76:     (Rires) Mhm, hmm.

C77:    Et bien, je n’ai certainement pas, n’avais pas pris la pleine mesure du poids de cette image.

T77:     Vous avez vraiment puisé dans cette image, n’est-ce pas ?

C78:    Oui.

T78:     Mhm, hmm.

C79:    J’avais l’impression que ça ne faisait pas partie de ce que je devais faire ici. Puisque j’étais avec vous, je devais vous parler, et c’était comme si, comme si elle continuait à m’attirer.

T79:     Mhm, hmm. Elle avait vraiment un pouvoir magnétique.

C80:    Oui.

T80:     Mhm, hmm. Pouvons-nous en rester là, avec vous en train de regarder votre peinture ?

C81:    Bien sûr. (Rires)

T81:     Ok.

C82:    Merci, Carl.

(Fin de la séance) 

COMMENTAIRES POST-SÉANCE

T1 (Carl Rogers) : C’est très bien. Encore une fois, si vous le souhaitez, vous pouvez dire un peu comment l’expérience s’est déroulée pour vous puis je ferai de même.

C1 (Louise) : Bien sûr. Au début, j’ai eu l’impression en quelque sorte que je n’avais rien à dire. (T : Mhm, hmm.) Hum, et puis quand je vous l’ai fait savoir, j’ai été certaine que vous l’acceptiez. C’était ok juste d’être ici. Hum, cela m’a permis de me sentir plus à l’aise. Hum, c’était un mélange étrange pour moi de, euh, sentir que peut-être je ne faisais pas tout à fait ce qu’il fallait et pourtant le faire quand même en dépit de, en dépit de moi-même, ou en dépit de cet aspect jugeant.

T2: Mhm, hmm. Aucune femme sombre ne peut vous dire si c’est juste ou non.

C2: C’est vrai. J’ai juste pensé : “Au diable !” et je l’ai fait. Mais tout de même, c’était rassurant ce que je ressentais quand c’était ok pour vous d’être continuellement aspirée par ça. Oui. Et, euh, je suppose que c’était un peu mystérieux pour moi comment, bien que je puisse voir comment c’est arrivé, mais stupéfiant serait le mot que j’utiliserais, quand j’ai fait le lien. Je veux dire, tout semblait… Je pouvais parler de tant de choses dans ma relation avec les hommes, mon propre échec, l’échec de mon père, mon sentiment de joie, euh, et en quelque sorte… comment ils se sont rejoints, euh, en particulier avec mon père et en sentant la façon dont cela s’est relié à lui, euh. Alors, cela a été très utile de voir cela. (T : Mhm, hmm.) Et, et d’être consciente de son côté sombre, oui. (T : Mhm, hmm.) Je pense aussi que je ne me suis pas sentie, je ne me suis pas sentie complètement détendue tout du long, mais d’une certaine manière, c’était ok. Hum, je veux dire que c’est, ça alors… Je suis, je suis, je vois juste le peu de pouvoir qu’a ce critique parce que je pense, vous savez, c’est la même chose ; “Louise, tu n’étais pas détendue !” (inaudible) et j’ai en quelque sorte… c’était ok. Je n’ai pas…

T3: Vous ne parliez pas des problèmes, vous n’étiez pas assez détendu, toutes sortes de choses n’allaient pas.

C3: oui, c’est ça.

T4: Mais ce n’étais pas le cas.

C4: Et pourtant, je n’ai pas eu l’impression qu’elles étaient trop pesantes. (T: Mhm, hmm.) Oui.

T5: Mmm, pas habillé correctement! (rires)

C5: Oh, mon Dieu, pas étonnant que j’aie les épaules douloureuses !

T6: Mhm, hmm.

C6: Ah.

T7: Mmm. C’était une expérience inhabituelle pour moi, euh, parce que d’habitude les gens viennent parce qu’ils ont un problème. Et, euh, c’était vraiment très rafraîchissant d’avoir, je ne sais pas, d’être en quelque sorte présente à l’émergence de cette nouvelle femme. C’est (inaudible). Mhm. Mhm. Et, euh, c’est un peu bizarre qu’ici nous fassions usage de toutes les méthodes de la thérapie expressive ! (Rires)

C7: Alors peut-être que c’est OK après tout !

T8: Alors peut-être que c’est OK après tout, c’est tout à fait ça. Vraiment.

C8: Oui. J’ai apprécié que vous disiez que ce n’était pas votre façon habituelle de travailler, mais que nous pouvions le faire.

T9: C’est vrai. C’est, euh, un des aspects pour moi. Si cela avait été… eh bien, je me souviens d’une fois où, en Allemagne, devant un public assez critique, une femme s’est portée volontaire pour ce rôle de cliente et il s’est avéré qu’elle voulait simplement avoir la satisfaction d’être avec moi. Et, euh, je l’ai ressenti un peu différemment.

C9: Oui.

T10: Mais, euh, bien que même à partir de là, il y a eu des découvertes très profondes. De toute façon, cette fois-ci, je n’ai pas eu l’impression… J’ai ressenti, euh, ce que vous viviez, et que ce qui se passait, serait acceptable pour le groupe, alors je me suis sentie détendue aussi. Je me suis sentie détendue et j’ai ressenti une pointe d’amusement. Je ne sais pas vraiment… Je ne veux pas être mal compris, mais, oui, je pouvais, je pouvais être un peu léger à ce sujet, comme admirer votre chef-d’œuvre et des choses comme ça.

C10: Oui. Oui.

T11: Euh, et aussi parce que, euh, j’étais sûr que ça vous irait ou quelque chose comme ça. Euh, euh. Donc c’était, euh, plaisant et différent et, euh, et je me suis certainement sentie très proche de vous, euh. Et, je suppose, c’est intéressant, c’est le même genre de proximité si la personne souffre ou si… (inaudible) quand je suis arrivé ici il y a environ une semaine, euh, vous auriez pu être mal et, euh, et pourtant c’est tout à fait ok que vous vous sentiez, que vous vous sentiez bien avec vous-même et….

C11: Oui. Oui.

T12: Mmm, et que je pouvais m’identifier à cela et aussi facilement que si vous étiez en souffrance et que, euh, cela m’a apporté une satisfaction personnelle. Mmm. Allons-nous voir ce qu’ils en pensent ?

C12: Bien sûr.

T13: (En se dirigeant au groupe) Avez-vous des questions ou des commentaires ?

(La discussion qui s’ensuit n’est pas retranscrite sur le document original)

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L’auteur
Carl Rogers est un psychologue nord-américain, fondateur de la Psychothérapie Centrée sur le Client et de l’Approche Centrée sur la Personne (Person-Centered Approach). Il a passé sa vie à explorer les processus de changement chez les individus vers le développement, la maturité et la plénitude. Pour en savoir plus sur l’auteur