RESUME
La supervision dans l’Approche Centrée sur la Personne est un outil d’apprentissage que le superviseur met à la disposition du supervisé. Peu importe s’il s’agît d’une supervision individuelle ou en groupe, « ce qui fait l’objet de la supervision dépend des besoins et des désirs du supervisé”.

Portrait de Pol Verhelst

La supervision en Psychothérapie Centrée sur la Personne

La supervision est un élément essentiel dans la formation des étudiants en psychothérapie. C’est un magnifique outil d’apprentissage. 

 

Dès le début de la «Client-Centered Therapy» (CCT dans la suite du texte), la supervision dans la psychothérapie centrée sur la personne fait partie de la formation de base et du développement continuel du thérapeute. Non pas comme une sorte d’examen ou d’évaluation, mais comme des moments d’apprentissage approfondi : « Therapist_Centred Therapy » : «La thérapie centrée sur le thérapeute»! «Le but général de la supervision est de respecter le degré de confiance et d’expertise que le candidat possède, de l’aider à clarifier ses propres attitudes, à nuancer ses pensées et sa façon de faire, pourvu que toutes ces interventions respectent sa liberté pour faire ce qu’il sent comme correct (approprié) » (CCT, p. 471). Il est clair que l’accent est mis sur l’autonomie du candidat-thérapeute. Le rôle du superviseur, de la formatrice, n’est pas d’instruire, de « former », mais de stimuler, d’accompagner l’auto-formation, l’auto-instruction de l’étudiant. Et encore plus précis: « … aucun étudiant ne peut ou ne sera formé pour devenir un thérapeute centré sur le client. Si les attitudes qu’il découvre en lui, si les hypothèses d’aide, qui selon ses expériences sont efficaces, correspondent en grande partie avec l’orientation centrée sur le client, alors cela sera des indications intéressantes de la généralité (l’universalité) de ces expériences, mais rien de plus. » (CCT, 432). Le but de la formation ACP est plutôt de former des thérapeutes compétents que des thérapeutes ACP : « il est plus important pour le thérapeute qu’il reste fidèle à sa propre expérience que de coïncider avec une quelconque approche thérapeutique connue.» (CCT 433). La supervision ACP est un outil d’apprentissage que le superviseur met à la disposition du supervisé. Peu importe s’il s’agît d’une supervision individuelle, individuelle en groupe ou une supervision mutuelle en groupe : « Ce qui fait l’objet de la supervision, dépend des besoins et des désirs du supervisé”.

Parfois l’étudiant peut avoir des questions sur les différents aspects de ce qu’il fait, et sa relation avec l’instructeur est essentiellement une relation thérapeutique, dans laquelle il peut exprimer ses soucis et réorienter ses attitudes professionnelles. » (CCT p. 471). Le superviseur et les collègues sont à la disposition du supervisé. Ils essayent de créer un cadre qui corresponde aux conditions de base ACP, et assurent ainsi la sécurité de base. Mais l’étudiant-thérapeute garde la responsabilité de son propre processus d’apprentissage.

A. LES TRIPES NE SE LAISSENT PAS TROMPER !

La thérapie centrée sur le client est plus qu’ une méthode ou une technique que le thérapeute apprend et qu’ensuite il « applique ». C’est avant tout un engagement : le thérapeute s’engage envers son client à créer une base de sécurité qui permettra à ce dernier de laisser tomber, au fur et mesure, ses défenses et de rencontrer et accepter de plus en plus la personne qu’il est vraiment. En un mot: c’est le thérapeute qui offre le cadre mais c’est à son client de faire sa thérapie.(*) Ce cadre est nécessaire et surtout, il est expérientiel : « La sécurité de base n’est pas une chose que le client croît parce qu’on le lui a dit, ni une chose dont il s’est logiquement convaincu lui-même, non, c’est quelque chose dont il fait l’expérience avec son propre équipement sensoriel et viscéral. » (CCT p.209). Avec ces mots, Rogers réfère à la quatrième condition de la relation thérapeutique ACP: la perception des conditions thérapeutique par le client. Il est très précis : cette perception doit se faire au niveau « sensoriel et viscéral » non pas au niveau rationnel ou intellectuel ! La thérapie centrée sur la personne est plus qu’une « thérapie verbale » : les sens et les sensations physiques y sont impliquées et elles sont même plus importantes que les paroles, parce qu’elles sont « expérientielles» ! Le fait que Rogers mette l’accent sur l’« expérientiel» a de lourdes conséquences pour le thérapeute ACP. Les expériences, les sensations physiques et émotionnelles, ne se laissent pas manipuler, elles sont ce qu’elles sont! Il ne sert donc à rien que le thérapeute essaye de mentir, de « jouer de l’empathie », ou de chercher des subterfuges, les tripes de son client le dénonceront!

B. « L’ATTITUDE DE BASE DOIT ETRE AUTHENTIQUE »

Un thérapeute qui a vraiment l’intention d’installer une relation thérapeutique avec son client, doit d’abord s’assurer que : « son attitude de base est authentique. »! Ceci n’est pas évident : rationnellement elle peut agir conformément aux conditions et être convaincue qu’elle est authentique et que ses mots sont congruents avec ses pensées. Mais, il y a la dimension irrationnelle, physique, expérientielle, et c’est cette dimension qui est la vérité de son client !

Rogers et ses associés ont été des premiers à faire des recherches sur la congruence du thérapeute et l’authenticité de ses intentions et de ses interventions verbales. Leurs résultats ne sont pas rassurants : comme toute personne, les thérapeutes ont de nombreux « points aveugles ». Et les chercheurs conseillent aux thérapeutes de se questionner continuellement sur ce qu’ils font : « Est-ce-que j’agis vraiment comme je le veux ? » « Est-ce que j’accomplis (j’exécute) par mon comportement vraiment les objectifs que je verbalise ? » (CCT p.25). Mais cela ne suffit pas pour être vraiment sûr : «… le jugement subjectif par le thérapeute lui-même ne suffit pas. C’est seulement une analyse approfondie des paroles, de la voix et de l‘intonation, qui peut déterminer adéquatement les véritables objectifs qu’il a poursuivis.» (CCT p.25) et, ils terminent: « …il n’est pas rare que le thérapeute soit surpris en découvrant les véritables objectifs qu’il a poursuivis dans l’entretien avec son client. » (CCT p.25).

C. UN ENGAGEMENT A FOND

L’Approche Centrée sur la Personne demande de la part de la thérapeute un engagement à fond : profond, émotionnel, sans réciprocité, uniquement dans l’intérêt de son client. Pour Oliver Bown, cité par C. Rogers : « … le mot « amour », malgré qu’il soit facilement mal compris, est le mot qui convient le plus pour décrire l’ingrédient de base de la relation thérapeutique… ». (CCT. p.160). Bien sûr, il ne s’agit pas de l’amour érotique, mais de l’agape, l’amour inconditionnel, non-possessif, pour la personne de l’autre. Et le client doit faire l’expérience de cet amour inconditionnel que son thérapeute lui attribue. C’est la quatrième condition de base de la relation thérapeutique ACP. Pour le thérapeute, tout expérimenté qu’il soit, avoir de l’amour pour chaque client à son tour et à chaque entretien, n’est pas évident : « Il me semble que nous ne pouvons aimer une personne que si nous ne nous sentons pas menacé par elle. Que si nous comprenons ses réactions et qu‘elles sont compatibles avec nos motivations de base…» (CCT p. 160 ).

Parfois, dit l’auteur, il est même nécessaire qu’on fasse un travail sur soi-même avant qu’on puisse arriver à aimer inconditionnellement son client : « Si quelqu’un est hostile et que je ne vois rien d’autre en lui que son hostilité, je suis sûr que ma réaction sera de me défendre contre son hostilité. Mais, par contre si je peux voir son hostilité comme un élément compréhensible de sa défense contre son besoin d’intimité (closeness) avec une autre personne, alors je peux réagir avec amour envers cette personne qui veut elle aussi être aimée mais qui à ce moment doit nier ce besoin» (p.161 CCT). Mais même si la thérapeute arrive à accueillir chaque client avec bienveillance et agape, il n’est pas évident que son attitude tienne bon du début à la fin de la thérapie ou même de la session.

Une thérapie est un processus dynamique dans lequel le client et le thérapeute sont en interaction. Ils s’influencent mutuellement. Leurs attitudes changent, se développent et bien que le thérapeute soit centré sur son client, son propre vécu, ses « tripes » à lui sont là ! Même si il n’est pas conscient de leur présence, elles sont conscientes de lui et elles dirigent, au moins en partie, ses actes et son engagement. Sous ces influences inconscientes, sa condition ACP « à fond » peut évoluer vers « trop » ou « trop peu ». « Trop » veut dire qu’il se sur-engage, qu’il s’approche trop de son client, qu’il mélange ses propres besoins aux besoins de son client : qu’il cherche la satisfaction de p.e. son besoin d’appréciation, de prestige, de pouvoir, de tendresse, d’amour (sexuel) dans sa relation avec son client. Dans le sur-engagement le «… comme si on est le client », la qualité primaire de l’écoute empathique, a disparu. Le thérapeute devient son client, s’identifie avec lui, il abuse de lui. Il n’entend de plus en plus que sa propre personne , son propre ego. Son respect pour la personne de son client s’estompe. Il perd alors son autonomie , comme son client il devient dépendant et par delà, de moins en moins thérapeute. Thérapeute et client peuvent évoluer vers une relation de séduction, d’amour charnel, peut-être temporairement agréable pour le thérapeute comme pour son client, mais la thérapie s’est arrêtée. En se rapprochant trop, le thérapeute a brûlé la distance dont son client a besoin pour pouvoir s’explorer en toute liberté et en toute sécurité.

Déontologiquement et humainement il est coupable ! « Trop peu », bien sûr est le contraire : le thérapeute n’arrive pas à s’engager émotionnellement ou, dans une thérapie en cours, il n’y arrive plus. Il perd le contact avec ‘la personne’ de son client. il n’écoute plus « l’âme » de son client et n’entend que « les faits », les « actes », son « histoire ». Au lieu de chercher à comprendre comment son client a vécu ces faits, ces actes, il les interprète en faisant appel à des cadres de références externes (Théorie de personnalité, la psychopathologie, son propre vécu…). Si le thérapeute ne remarque pas à temps ce qui se passe, la session thérapeutique se relâche et devient de plus en plus un entretien « verbal » entre une autorité et un écoutant subordonné. La relation ne répond plus aux conditions ACP, la thérapie stagne et finalement elle s’éteint. Bien sûr qu’« un entretien verbal » peut avoir de la valeur pour le client mais ce n’est pas le but de la thérapie ACP.

D. LA THERAPIE ACP ET LES LIMITES.

L’hypothèse de base ACP est loin d’avoir été prouvée une fois pour toutes. Mais, comme pour les autres approches, les recherches démontrent que l’efficacité de l’approche ACP corrèle plutôt avec la personne du thérapeute qu’avec la théorie. Ergo: dans le cadre de la formation et de la pratique ACP, il vaut mieux s’occuper des limites du thérapeute dans la relation concrète avec ses clients, que de discuter les limites de l’hypothèse rogérienne ou de l’approche centrée sur la personne. Remarquons d’abord que nous ne serons jamais des thérapeutes parfaits ! Bien que nous puissions en avoir la ferme intention et la volonté, nos attitudes de base ne seront jamais parfaites. En relation avec un client, nous serons toujours: ‘un peu’, ‘beaucoup’, ‘fortement’, ‘pas du tout’: inconditionnel, empathique, congruent, authentique, mais jamais ‘ tout à fait’! Comme tout être humain, nous sommes limités.

Vue la nature dynamique du travail thérapeutique ACP, il peut y avoir des moments dramatiques ou simplement des moments confus, qui dépassent notre expérience et note compétence et qui nous confrontent à nos limites : d’empathie, de congruence, d’authenticité, d’inconditionnalité. Ces moments-là sont difficiles à vivre. Ils nous confrontent directement à nous-même : à notre impuissance, notre responsabilité, notre compétence… en un mot, à nos limites! Il y a une grande chance que notre ego blessé, essayera de se défendre p.e. en projetant les causes de notre malaise sur « les limites » de l’ACP, ou sur les « limites » de notre client : qui n’est pas vraiment motivé, qui ne veut pas regarder ses émotions en face , qui est trop rationnel… Personnellement j’ose plaider pour une réaction plus appropriée et plus ACP : au moment où nous prenons conscience de nos limites et de nos sentiments douloureux, l’authenticité nous demande d’oser les reconnaître et de les mettre en valeur : ou bien en les partageant directement avec notre client ou bien, si on est dans la confusion, en cherchant de l’aide chez un collègue ou un superviseur.

Remarquez que ces démarches sont uniquement dans l’intérêt de notre client ! Rencontrer ses limites dans une relation psychothérapeutique n’est que rarement une raison pour arrêter la thérapie, mais c’est toujours une raison pour s’occuper de «l’interactionnel », c’est à dire de ce qui se joue directement, de personne à personne, entre la personne du thérapeute et la personne de son client. Très souvent ces rencontres et ces explorations deviennent des vrais moments d’approfondissement, voire des catharsis, et elles peuvent donner au thérapeute et au client une nouvelle vision sur et à la thérapie un nouvel élan.

E. LE THERAPEUTE ACP, UN FUNAMBULE ?

Pour le psycho-analyste Otto Rank, le prototype de la relation thérapeutique était : «la dyade préverbale entre la mère et son enfant». Dans sa pratique de « psychoanalyste» cela signifiait que pour lui ce n’était pas les interprétations ou les explications verbales qui faisaient la thérapie, mais sa relation personnelle et émotionnelle avec son client. L’hypothèse de cette « thérapie relationnelle » a été reprise et développée par Carl Rogers et elle est devenue la « thérapie centrée sur le client ». Comparé aux autres approches psychothérapeutiques, pour la « CCT » ou l’« ACP » la relation clientthérapeute « est » l’agent actif de la psychothérapie et non pas « une brouette » par laquelle la thérapeute administre « les éléments thérapeutiques actifs» à son client.* Le thérapeute ACP peut se sentir frustré quand il réalise que sa relation avec son client est son unique outil de travail, qu’il ne dispose ni de techniques, ni de théories savantes ! Que, façon de parler : il doit s’approcher de son client : « rien dans les mains, rien dans les poches !».

Une fois l’image m’est venue que l’art de la psychothérapie ACP ressemble à l’art de la danse sur une corde. Comme le funambule, le thérapeute ACP ne dispose que de sa personne pour se risquer sur la mince corde d’une relation exigeante, dont il espère qu’elle sera thérapeutique pour son client. Cette relation doit être authentique, profonde et émotionnelle… mais elle est sans réciprocité : elle ne peut servir qu’aux intérêts du client et le thérapeute doit s’engager à éviter toute action d’intérêt personnel et à garder un respect absolu pour l’intégrité de son client ! Soyons franc : s’engager dans une telle relation thérapeutique est un défi continuel, qui demande de la part du thérapeute une concentration perspicace, une présence totale « ici et maintenant » et une vigilance continuelle. Tout bien intentionnée et bien motivée qu’elle soit au moment où elle commence la thérapie, elle doit rester sur le qui-vive quant aux pièges relationnels et personnels qui peuvent la faire basculer vers le sous ou le sur-engagement.

F. UN FILET DE SECURITE…

Quand je reste avec l’image du thérapeute-funambule, j’arrive spontanément à la ressemblance entre la supervision et le filet de sécurité qui empêche le funambule qui dérape, de s’écraser… Pour le thérapeute qui est conscient: – qu’il doit veiller sur l’authenticité de ses attitudes ; – qu’il a ses « points aveugles » et que son auto-jugement n’est pas toujours tout à fait correct ; – qu’il peut rencontrer à tout moment ses propres limites ; – qu’il ne connaît pas toujours ses propres intentions ; – qu’il y a une dimension irrationnelle qui joue entre lui et son client ; et enfin, qu’à tout moment, des circonstances imprévisibles peuvent gêner la relation avec son client. Offrir une relation thérapeutique à un client, n’est pas « une mission impossible », mais bien une tâche exigeante et délicate. Pour lui, la supervision n’a pas seulement été un élément important pendant sa formation et son développement personnel, mais elle reste son filet de sécurité pendant toute sa carrière de thérapeute.

CCT : Client-Centered therapy, ed. Constable, London, 1951

Pour information : Le cursus de formation d’ACP-France prévoit de la supervision dès le début de la pratique, notamment lors du cycle 3.

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L’auteur

Pol VERHELST est co-fondateur de l’Association Néerlandophone de Psychothérapie Centrée sur le Client. Il est psychologue et travailla à l’Université de Gent (clinique psychiatrique) et dans l’enseignement technique supérieur. Il est également thérapeute ACP, et a longtemps été formateur à ACP-France. D’autre part, il est sculpteur.