Fondements de l’Approche centrée sur la personne : ce texte est la traduction d’un chapitre du dernier ouvrage de Carl Rogers publié en 1980 sous le titre : A way of being (Une manière d’être). Cet ouvrage est en quelque sorte le leg moral de Carl Rogers publié sept ans avant sa mort en 1987. Non traduit en français à ce jour (2023).

Note de la traductrice Françoise Ducroux-Biass (1988) : “La langue de Carl Rogers est à l’image de sa pensée, pragmatique, empirique, progressive, globalisante, ouverte, dynamique. Il est difficile de la traduire, de l’intérieur, en français, langue de l’abstraction, partant de la réduction. Il me semble que c’est la raison pour laquelle le message profond de Rogers n’a pas toujours été saisi en France. Dans ce texte ici, j’ai essayé, souvent au prix de certaines douleurs, de rester près de la lettre, pour éviter de trahir l’esprit. Cette traduction n’est qu’une première esquisse que je soumets au lecteur. Je sollicite de celui-ci, à la fois sa compréhension et son aide. Je remercie d’avance ceux qui voudront bien me faire parvenir leurs critiques tant sur le plan linguistique que sur celui du style. J’autorise la reproduction de cette traduction dans les cercles restreints, à condition que cette note figure en avertissement au début de chaque exemplaire.

Carl Rogers, fondateur de l'Approche centrée sur la personne
Carl Rogers

FONDEMENTS DE L’APPROCHE CENTRÉE SUR LA PERSONNE

Carl Rogers

Ce chapitre est fondamental car il définit les fondements de l’Approche centrée sur la personne. Il trouve ses racines à la fois dans le passé et dans le présent. Pour l’écrire, j’ai utilisé un article datant de 1963 qui a marqué la clarification importante qui s’est opérée dans ma manière de penser à cette époque là. On peut en retracer l’origine dans la graine de pensée qui a commencé de germer lors d’une conférence sur la Théorie de la Psychologie Humaniste au début des années 1970 pour aboutir en 1978 à l’article intitulé « The Formative Tendency » . Cet article faisait état de l’influence qu’avait exercé sur moi Lancelot Whyte, historien britannique des idées. Mais je fus surpris de découvrir, plus tard, que des idées presque identiques se trouvaient déjà exposées dans un ouvrage très antérieur (1926), œuvre de Jan Christian Smuts, Sud-Africain légendaire, à la fois soldat, érudit et Premier Ministre. A l’issue d’une défaite politique qui mit un terme à son premier mandat de Premier Ministre, il écrivit un livre sur le thème «Rendre entier, la tendance holistique… considérée à tous les stades de l’existence…quelque chose de fondamental dans l’univers». Par la suite, (en 1933), Aldred Adler a utilisé le concept de la tendance holistique de Smuts pour appuyer sa propre théorie suivant laquelle il n’y a aucun doute sur le fait que ce que nous appelons un corps tend clairement à devenir un entier. (Je remercie le Dr. Heinz Ansbacker, professeur à l’université de Vermont et adepte de la Théorie Adlérienne, d’avoir attiré mon attention sur ces travaux). Il me fût précieux de découvrir que la force holistique – pratiquement ignorée des scientifiques – était depuis longtemps connue de ces prédécesseurs.

Finalement, je dois encore citer trois hommes dont l’œuvre se situe sur l’extrême tranchant de la pensée scientifique actuelle. Il s’agit de Fritjof Capra, physicien en physique théorique, Magohah Murayama, philosophe des sciences et Ilya Prigogine, prix Nobel de chimie et philosophe.

C’est ainsi que cet article provient de sources multiples et qu’il a intégré toutes ces idées, les vieilles comme les nouvelles, dans la structure d’une manière d’être centrée sur la Personne. Ce que j’ai essayé de faire maintenant, c’est de traduire en langage simple quelques concepts profonds qui m’ont été en partie insufflés par d’autres et dont l’inspiration trouve son origine aussi bien dans le passé que dans le présent immédiat.

Je tiens à faire état de deux tendances étroitement liées qui ont acquis une place de plus en plus importante dans ma manière de penser au cours des temps.
Il s’agit d’une part de la tendance actualisante, caractéristique de la vie organique, et de la tendance formative dans l’univers considéré comme un tout (a whole). Ensemble, ces deux tendances constituent les piliers de l’Approche centrée sur la personne.

CARACTERISTIQUES DE L’APPROCHE CENTREE SUR LA PERSONNE

Quels sont les fondements de l’Approche centrée sur la personne ? C’est l’expression du thème de toute ma vie professionnelle qui s’est clarifié au cours de mon expérience, de mes interactions avec les autres, au cours de ma recherche. Je souris en repensant aux diverses étiquettes que je lui ai données au cours de ma carrière : Orientation non directif, Thérapie centrée sur le client, Enseignement centré sur l’élève, Leadership centré sur le groupe. Du fait que les champs d’application se sont multipliés et diversifiés, l’étiquette d’APPROCHE CENTREE SUR LA PERSONNE me semble être la plus descriptive.

L’Hypothèse centrale de cette approche peut être résumée ici brièvement (pour une plus ample description, se référer à Rogers 1959). L’individu possède en lui-même des ressources considérables pour se comprendre, se percevoir différemment, changer ses attitudes fondamentales et son comportement vis-à-vis de lui-même. Mais seul, un climat bien définissable, fait d’attitudes psychologiquement facilitatrices, peut lui permettre d’accéder à ces ressources.

Pour créer un climat favorable au développement personnel, trois conditions doivent être nécessairement présentes ; et ceci qu’il s’agisse d’une relation Client-thérapeute, Parent-Enfant, Leader-Groupe, Enseignant-Enseigné, Administrateur-Administrés. En fait, ces conditions sont applicables partout où le développement des personnes est en jeu. Je les ai décrites dans des ouvrages antérieurs. Je n’en donnerai ici qu’un bref aperçu circonscrit à la psychothérapie ; mais il s’applique à toutes les relations mentionnées plus haut.

A la première, on peut donner le nom d’authenticité, de réel ou de congruence. Plus le thérapeute est lui-même dans la relation, sans masque professionnel ni façade personnelle, plus il est probable qu’un changement interviendra et que le client évoluera de manière constructive. Cela signifie que le thérapeute est ouvertement les sentiments et les attitudes qui circulent en lui au moment présent. Le terme « transparent » décrit la saveur de cette condition. Le thérapeute se fait transparent pour le client. Le ou la cliente peut voir jusqu’au bout ce qu’est le thérapeute au cours de la relation ; il n’y a dans le thérapeute aucune retenue que le client pourrait ressentir. Par ailleurs, ce dont le thérapeute fait l’expérience s’offre à sa propre connaissance, il peut le vivre dans la relation et le communiquer s’il le juge opportun. Il y a donc une grande unité ou congruence, entre ce qui est ressenti au niveau viscéral, ce qui est présent à la connaissance et ce qui est exprimé au client.

La seconde attitude qui est essentielle pour créer un climat de changement c’est l’acceptation, l’intérêt, l’estime que j’ai appelé « le regard positif inconditionnel ». Si le thérapeute vit l’expérience d’une attitude positive, acceptante face à ce que le client EST à ce moment là, peut importe ce qu’il est, il est probable qu’il se produira un mouvement ou un changement thérapeutique. Le thérapeute accepte que le client soit le sentiment qu’il éprouve au moment même qu’il s’agisse de confusion, de ressentiment, de crainte, de colère, de courage, d’amour ou d’orgueil. L’intérêt du thérapeute n’est pas possessif. L’estime qu’il a pour son client es totale et inconditionnelle.

Le troisième aspect facilitant la relation est la compréhension empathique. Cela signifie que le thérapeute sent nettement les sentiments vécus par le client et que celui-ci veut dire au moment même, et qu’il communique cette compréhension au client. Quand il est au mieux de son fonctionnement, le thérapeute est tellement à l’intérieur du monde de l’autre que, non seulement il peut clarifier les significations de ce dont le client a connaissance, mais aussi celles qui sont juste au dessous du niveau de la connaissance. Ce type d’écoute sensible et active est très peu répandu. Nous pensons écouter, mais notre écoute est rarement assortie d’une compréhension réelle, d’une véritable empathie. Pourtant une écoute, de ce type très particulier, est l’une des plus puissantes forces de changement que je connaisse.

Comment le climat que je viens de décrire peut-il être facteur de changement ? En bref, je dirais que dans la mesure où les personnes se sentent acceptées et reconnues, elles commencent à prendre de l’intérêt pour elles mêmes. En étant entendues avec empathie, il leur devient possible d’écouter avec plus de précision le flux de leurs expériences intérieures. Et lorsqu’une personne se comprend et s’estime, elle devient plus congruente avec ses propres expériences. Cette personne devient plus réelle, plus authentique. Ces tendances réciproques des attitudes du thérapeute permettent à la personne d’intensifier pour elle-même son développement personnel d’une manière plus efficace. Il y a une très grande liberté à être la vraie, la personne toute entière (Rogers 1962).

PREUVES A L’APPUI DE L’APPROCHE CENTREE SUR LA PERSONNE

La recherche fournit des preuves de plus en plus évidentes en faveur de laquelle des changements dans la personnalité et le comportement se produisent réellement lorsque ces conditions facilitatrices sont présentes. Cette recherche, débutée en 1949, se poursuit encore actuellement. Les études ont été effectuées à partir de psychothérapies centrées sur la personne avec des individus manifestant des troubles mentaux et avec des schizophrènes, à partir aussi de la facilitation dans les écoles et de l’amélioration des relations interpersonnelles dans diverses situations. Une recherche excellente, bien que peu connue, a été menée par Aspy en 1972, Aspy et Roesbuck en 1976 ; d’autres recherches ont été faites dans le contexte de l’éducation. Il faut encore mentionner celles qui ont été effectuées en Allemagne par Tausch et ses collègues dans des domaines aussi nombreux que variés (Tausch 1978, sommaire).

PROCESSUS DIRECTIONNEL DANS LA VIE

La pratique, la théorie et la recherche mettent en évidence que l’ACP repose sur une confiance fondamentale dans les êtres humains et dans tous les organismes. Les recherches effectuées dans bien des disciplines nous permettent d’élargir ce constat. On peut dire que dans chaque organisme, à quelque niveau que ce soit, il existe un mouvement en profondeur qui pousse cet organisme vers l’accomplissement constructif de ses capacités inhérentes. Dans les êtres humains également, on trouve cette tendance vers un développement plus complexe et plus complet. L’expression la plus couramment utilisée pour désigner ce phénomène est la « tendance actualisante ». Elle est présente dans tous les organismes vivants.

Que nous parlions d’une fleur ou d’un chêne, d’un vers de terre ou d’un oiseau merveilleux, d’un singe ou d’une personne, je crois qu’il est important de reconnaître que la vie est un processus actif et non passif. Que le stimulus provienne de l’intérieur ou de l’extérieur, que l’environnement soit ou ne soit pas favorable, les comportements d’un organisme vont toujours dans le sens du maintien, de l’intensification, de la reproduction. Ceci, c’est la nature même du processus que nous appelons la vie. Cette tendance est opérante à tous les instants. C’est, en effet, la présence ou l’absence de ce processus qui nous permet de dire si un organisme donné est vivant ou mort.

La tendance actualisante peut, bien sûr, être contrecarrée ou fauchée, mais elle ne peut être détruite sans détruire l’organisme. Je me souviens que dans mon enfance, le bac dans lequel nous conservions notre réserve de pommes de terre pour l’hiver se trouvait dans la cave, à plusieurs pieds en dessous d’une petite fenêtre. Les conditions n’étaient pas favorables, mais les pommes de terre commençaient à germer, des petits germes d’un blanc pâle, tellement différents des pousses vertes et saines qui sortaient de la terre dans laquelle elles étaient plantées au printemps. Cependant, ces germes tristes et rachitiques arrivaient à pousser des deux ou trois pieds qui leur étaient nécessaires pour atteindre la lointaine lumière de la fenêtre. Ces germes étaient dans leur croissance bizarre et futile, comme l’expression désespérée de la tendance actualisante que je viens de décrire. Ils ne deviendraient jamais des plantes, ils n’arriveraient jamais à maturité. Ils n’atteindraient jamais leur potentiel réel. Toutefois, dans les conditions les plus adverses, ils se débattaient pour devenir. La vie n’abandonne pas même si elle ne peut pas s’épanouir. Lorsqu’au cours de mon travail avec des hommes et des femmes des « salles de fond » des Hôpitaux d’Etat, je m’occupe de clients dont les vies ont été si horriblement faussées, j’ai souvent une pensée pour ces germes de pommes de terre. Ces gens se sont développés dans des conditions tellement défavorables, que leurs vies semblent anormales, tordues, à peine humaines. Et pourtant on peut faire confiance à leur tendance directionnelle. Pour comprendre leur comportement, il suffit de voir qu’ils se débattent sur les seuls chemins qu’ils perçoivent comme susceptible de les conduire vers la croissance, vers un devenir. Aux yeux des gens en bonne santé, les résultats peuvent paraître bizarres et futiles, mais cela correspond à la tentative désespérée de la vie qui cherche à devenir elle-même. Cette tendance puissante et constructive constitue l’une des bases sur lesquelles repose l’ACP.

QUELQUES EXEMPLES A L’APPUI DE LA THESE DU PROCESSUS DIRECTIONNEL

Je ne suis pas le seul à voir dans la tendance actualisante la réponse fondamentale à la question : qu’est-ce qui fait fonctionner un organisme ? GOLDSTEIN (1947), MASLOW (1954), ANGYAL (1941, 1965), SZENT-GYOERGYI (1974) et d’autres encore ont déployé des thèses semblables qui ont influencé ma propre pensée. En 1963, j’ai fait remarquer que cette tendance implique un développement vers la différenciation des organes ou des fonctions ; elle implique aussi l’intensification par la reproduction. SZENT-GYOERGYI dit qu’il ne peut pas expliquer les mystères du développement biologique autrement qu’en supposant qu’il existe dans la matière vivante une « drive » (force directionnelle, impulsion, élan) innée qui la pousse à se perfectionner (p.17). Dans ces conditions normales, l’organisme se meut vers son plein accomplissement, vers son autonomie et son indépendance vis-à-vis des influences extérieures.

Cette supposition trouve t’elle confirmation ailleurs ? Le concept de la tendance actualisante se trouve corroboré par des résultats obtenus en biologie. Ainsi en est-il de la vieille expérience de Hans Driesch sur des oursins, expérience qui fut reproduite sur différentes espèces. Driesch est arrivé à séparer deux cellules qui se forment après la première division de l’œuf fertilisé. Si elles avaient pu se développer normalement, il est clair que chacune de ces deux cellules serait devenue une portion de larve d’oursin, et que l’une comme l’autre auraient été nécessaires à la formation d’une créature toute entière. Il semble également normal, qu’après avoir été soigneusement séparées, chacune de ces deux cellules, si elles arrivent à se développer ne donne qu’une portion d’oursin. Mais c’est sans tenir compte de la tendance actualisante caractéristique de toute croissance organique. Il a, en effet, été mis en évidence que chaque cellule, lorsqu’elle peut être conservée vivante, produit une larve d’oursin entière, un peu plus petite que les autres, mais normale et complète.

Si j’ai choisi cet exemple, c’est qu’il ressemble de très près à l’expérience que je fais avec des individus dans la relation thérapeutique, face à face, en facilitant des groupes intensifs, ou en fournissant « la liberté pour apprendre » aux élèves d’une classe. Dans chacune de ces situations, ce qui me frappe le plus, c’est le fait que chaque être humain possède une tendance directionnelle vers l’entièreté, vers l’actualisation de ses propres potentialités. Je n’ai jamais trouvé qu’une psychothérapie ou une expérience de groupe fût efficace lorsque j’essayais de créer dans l’autre quelque chose qui ne s’y trouvait pas déjà ; par contre, lorsque je peux procurer les conditions qui sont favorables à la croissance, c’est alors que cette tendance directionnelle et positive provoque des résultats constructifs. Le scientifique de l’œuf d’oursin se trouvait dans la même situation. Il ne pouvait pas faire que la cellule se développât d’une manière ou d’une autre ; mais dès qu’il pût fournir les conditions nécessaires à la survie et à la croissance de la cellule, la tendance pour la croissance et la direction de la croissance devinrent évidentes, elles venaient de l’intérieur même de l’organisme. Je ne trouve pas de meilleure analogie pour la thérapie ou l’expérience de groupe car, lorsque je suis à même de fournir un fluide amniotique psychologique, c’est à ce moment que se produit un mouvement en avant de manière constructive.

J’aimerais ajouter un élément de clarification. Dans la bouche de certains, cette tendance à la croissance semble parfois signifier qu’elle implique le développement de toutes les potentialités de l’organisme. Il est clair que ça n’est pas vrai. Ainsi que l’a fait remarquer l’un de mes collègues, l’organisme ne tend pas à développer sa capacité pour la nausée, il n’actualise pas davantage sa potentialité d’auto destruction, ni sa capacité de souffrir. Ce n’est pas dans des circonstances inhabituelles et perverses que ces potentialités sont actualisées. Il est bien clair que la tendance actualisante est sélective ou directionnelle ou, si vous le voulez, constructive.

APPORT DE LA THEORIE MODERNE ET DE L’EXPERIENCE

Pentony, dans un manuscrit non publié, datant de 1928, note avec force que ceux qui se réclament du concept de la tendance actualisante n’ont pas à être inhibés par l’idée que celui-ci pourrait se trouver en conflit avec la science ou les théories de la connaissance modernes (p.20). Il fait la description des épistémologies récentes et, en particulier celle de Murayama (1977). Il est maintenant clairement établi que le « code génétique » ne contient pas toutes les informations requises pour procéder à la spécification des caractéristiques de l’organisme en pleine maturité. Par contre, il contient un ensemble de règles qui déterminent les interactions des cellules entre elles durant la division cellulaire. Il faut beaucoup moins d’informations pour codifier les règles que pour guider chaque aspect du développement de maturation. C’est ainsi que l’information peut être générée à l’intérieur même de l’organisme – que l’information peut croitre (Pentony, p. 9, souligné par C.Rogers). A partir de là, on ne peut que constater que les cellules d’oursins suivent les règles codées et que de ce fait, elles peuvent se développer d’une manière originale non préétablie, ni rigide.

Ceci va à l’encontre de l’épistémologie des sciences sociales actuelles (mais peut-être bien déjà dépassée) selon laquelle une « cause » est suivie d’un « effet » dans une seule direction. Murayama, quant à lui, et d’autres avec lui, pense qu’il existe des interactions cause-effet ‘mutuelles’ qui amplifient les déviations et permettent à de nouvelles informations et à de nouvelles formes de se développer. Cette « épistémologie morphogénétique » semble être essentielle à la compréhension de tous les systèmes vivants de même qu’à celle des processus de croissance dans les organismes. Murayama fait remarquer que pour comprendre la biologie, “il faut reconnaître que les processus biologiques sont des processus de cause à effet réciproques, non des processus dus au hasard”. D’autre part, comme il le dit lui-même ailleurs, la compréhension de la biologie ‘n’émerge ‘pas’ d’une épistémologie qui reposerait sur des systèmes cause-effet unidirectionnels. Il est donc grand temps de repenser les concepts stimulus – réponse, cause-effet, sur lesquels s’appuient la plus part des sciences sociales.

Le travail effectué dans le domaine de la privation sensorielle tend à démontrer combien est forte la tendance organismique à amplifier les diversités, à créer des informations nouvelles et de nouvelles formes. Certainement, la réduction de tension ou l’absence de stimulation n’est, de loin, pas l’état désiré de l’organisme. Freud ne pouvait pas avoir plus tort lorsqu’il déclarait dans son postulat de 1953, que « le système nerveux est un appareil qui se maintiendrait en état même si, en admettant que ce soit possible, il se trouvait dans une condition entièrement non stimulée » (p.63). Or, au contraire, privé de stimuli externes, l’organisme humain produit un flot de stimuli qui peuvent être parfois, assez bizarres. Lilly en 1972, fût l’un des premiers à faire part des expériences qu’il fit dans un caisson insonorisé, suspendu en apesanteur. Il parle d’état de transe, d’expériences mystiques, de l’impression d’avoir été connecté sur des réseaux de communication que la conscience ordinaire ne peut percevoir, et même d’autres expériences qu’on ne peut qualifier autrement que d’hallucinations. Il est très clair que lorsqu’une personne ne reçoit qu’un minimum absolu de stimuli externes, elle est soumise à un flot expérientiel dont le niveau est très loin du champ expérientiel quotidien. L’individu ne tombe pas en homéostasie, en équilibre passif. Cet état est réservé aux organismes malades.

FONDEMENTS QUI INSPIRENT CONFIANCE

Il est donc très significatif pour moi, de pouvoir dire que le substrat de toute motivation réside dans la tendance organismique vers l’accomplissement. Cette tendance peut prendre la forme de comportements très divers en réponse à une très grande variété de besoins. Une chose est certaine, c’est que certains besoins devront être satisfaits, au moins partiellement, avant que d’autres ne se manifestent de façon urgente. En conséquence, il est possible que la tendance de l’organisme à s’actualiser puisse prendre l’allure d’une quête alimentaire ou sexuelle et là encore, à moins que ces besoins ne soient particulièrement accablants, cette satisfaction sera recherchée de manière à rehausser l’estime de soi et non la diminuer. Et l’organisme cherchera également d’autres moyens de s’accomplir dans ses transactions avec l’environnement. Le besoin d’explorer et de produire des modifications dans l’environnement, le besoin de jeu et de l’auto exploration et encore bien d’autres comportements sont fondamentalement des expressions de la tendance actualisante.

En bref, les organismes sont toujours en train de chercher, en train de commencer, « sur le point de faire quelque chose ». Il y a une source centrale d’énergie dans l’organisme humain. Cette source est une fonction du système tout entier, plutôt que l’une de ses parties, sur laquelle on peut compter. On peut facilement la conceptualiser sous les termes de tendance vers l’accomplissement, vers l’actualisation, qui concerne non seulement le maintien de l’organisme mais, aussi, sa mise en valeur.

APERÇU ÉLARGI DE LA TENDANCE FORMATIVE

Beaucoup critiquent ce point de vue. Ils le trouvent trop optimiste. D’après eux, il fait fi des éléments négatifs, du diable, du côté noir qui existe dans les êtres humains. C’est pour cela que je voudrais placer cette tendance formative dans un contexte plus large. Ce faisant, je puiserai profondément dans l’œuvre et la pensée de personnes qui sont issues de disciplines autres que la mienne. Ce que je connais, je l’ai appris des travaux des nombreux hommes de science, mais je désire mentionner particulièrement ici, tout ce que je dois à Albert Szent-Gyöergyi (1974) prix Nobel de Biologie et à Lancelot Whyte, historien des idées.

Ma thèse principale est celle-ci : Il semble qu’il y ait dans l’univers, une tendance formative à tous les niveaux. Cette tendance a fait l’objet de bien moins d’attention qu’elle ne le mérite. Jusqu’ici, les scientifiques se sont centrés sur « l’entropie », cette tendance à la détérioration, au désordre. Ils en connaissent long à ce sujet. En étudiant les systèmes fermés, ils peuvent en donner une claire description mathématique. Ils savent que l’ordre tend à s’effilocher, chaque stade étant moins organisé que le dernier.

Nous connaissons également la détérioration de la vie organique. Le système, qu’il s’agisse d’une plante, d’un animal ou d’un être humain, se dégrade petit à petit ; l’organisation fonctionnelle est de moins en moins opérante jusqu’à ce que le déclic atteigne le stade de stase. En fait, c’est cet aspect qui fait la raison d’être de la médecine, c’est-à-dire tout ce qui concerne le mauvais fonctionnement ou la détérioration d’un organe ou d’un organisme tout entier. Le processus de la mort est de mieux en mieux compris.

De ce fait, on connaît assez bien la tendance universelle qu’ont les systèmes, à tous les niveaux, à se détériorer pour tomber dans un désordre de plus en plus grand, dans une errance toujours plus accentuée. Quand ce système fonctionne, c’est une vue à sens unique : le monde apparaît comme une grande machine qui dévale la pente et s’épuise.

Mais on est loin d’avoir autant discouru, autant insisté sur la tendance formative. Or, celle-ci est encore plus importante et tout aussi observable à tous les stades de l’univers. Après tout, chaque forme que nous rencontrons, que nous connaissons, provient d’une forme plus simple, moins complexe. C’est un phénomène pour le moins aussi significatif que l’entropie. On pourrait tirer des exemples de chaque forme d’être : tant inorganique qu’organique. Je ne m’en tiendrai qu’à quelques uns. Chaque galaxie, chaque étoile, chaque planète, la nôtre comprise, apparaît comme issue d’une tornade de particules moins organisée. Parmi les objets stellaires, beaucoup d’entre eux sont formatifs. Dans l’atmosphère de notre propre soleil, des noyaux d’hydrogène entrent en collision pour former des molécules d’hélium, de nature beaucoup plus complexe. On émet l’hypothèse que dans d’autres étoiles, de telles interactions aboutissent à des molécules encore plus lourdes.

Je comprends que, lorsque de simples matériaux de l’atmosphère terrestre, tels l’oxygène, l’hydrogène ou l’azote, qui n’étaient présents avant l’apparition de la vie que sous forme d’eau et d’ammoniaque sont soumis à des décharges électriques ou à des radiations, des molécules plus lourdes commencent à se former, suivies d’acides aminés bien plus complexes de nature. Il n’y a qu’un pas qui nous sépare de la formation des virus et même d’organismes vivants plus complexes. Nous sommes au cœur d’un système créatif et non « désintégratif ».

Un autre exemple fascinant est celui de la formation des cristaux. Dans chaque cas, c’est d’une manière fluide moins ordonnée et moins symétrique qu’émerge la forme cristalline, étonnante dans son unicité, ordonnée, symétrique et souvent belle. Nous avons tous admiré la perfection et la complexité d’un flocon de neige. Pourtant, il naît d’une vapeur sans forme.

Prenons encore la seule cellule vivante. Nous découvrons qu’elle forme souvent des colonies plus complexes. C’est le cas, par exemple, des récifs de corail. L’image devient de plus en plus ordonnée au fur et à mesure que la cellule s’intègre à un organisme constitué de beaucoup d’autres cellules et possédant une fonction spécialisée.

Il n’est pas nécessaire de faire le portrait de tout le processus graduel de l’évolution organique. Nous savons tous que la complexité des organismes s’accroît toujours de manière régulière. La capacité d’adaptation de ces mêmes organismes à l’environnement en évolution, n’est pas toujours évidente ; ce qui l’est toujours, par contre, c’est leur tendance à la complexité.

Pour la plupart d’entre nous, c’est peut- être le développement de l’œuf humain qui nous fait le mieux comprendre le processus de l’évolution organique : un seul œuf humain fertilisé, en passant par des phases simples de la division cellulaire puis par le stade aquatique et bronchial, atteint l’état considérablement complexe, hautement organisé, d’un bébé humain. Comme l’a dit Jonas Salk : dans l’évolution, l’ordre est évident et va toujours croissant.

C’est pour cela que, sans négliger la tendance à la détérioration, nous devons reconnaître pleinement ce que Albert Szent-Gyöergyi nomme « syntropie » et ce que Whyte appelle « la tendance morphique » à savoir, le mouvement toujours opérant, vers un ordre et, par voie de conséquence, vers une complexité grandissante, évident au niveau organique comme au niveau inorganique. L’univers est toujours entrain de construire et de créer de même que de se détériorer. On peut également constater ce processus chez l’être humain.

FONCTION DE LA CONSCIENCE CHEZ LES ETRES HUMAINS

Quel est le rôle de notre perception dans cette fonction formative ? Pour moi, la conscience n’a qu’un petit rôle, mais celui-ci est très important. La capacité de pouvoir focaliser une attention consciente semble être un des derniers développements dans l’évolution de nos espèces. On peut décrire cette capacité comme une toute petite pointe de perception, l’aptitude à symboliser, située au sommet d’une vaste pyramide de fonctionnement organique non conscient. Pour mieux décrire le changement qui s’opère continuellement, on pourrait voir cette pyramide sous la forme d’une fontaine de même forme, qui, à son extrémité ultime, serait éclairée par les spots intermittents de la conscience, mais dont le jaillissement vital incessant continuerait à se produire dans le noir de manière consciente. Il semble que l’organisme humain ait pris la direction du développement le plus complet de la perception. C’est à ce niveau que sont inventées de nouvelles formes, peut-être même de nouvelles directions, pour l’espèce humaine. C’est là que la relation réciproque entre la cause et l’effet atteint de manière démontrable son maximum d’évidence. C’est là que les choix s’opèrent, que de nouvelles formes sont créées. Nous sommes probablement en présence de la fonction humaine la plus élevée.

Certains de nos confrères prétendent que le choix organique, le choix non verbal, subconscient d’une manière d’être, est guidé par le flux évolutionnaire. Non seulement j’adhère à cette proposition mais j’irai plus loin. En psychothérapie, nous avons appris à reconnaître les conditions psychologiques qui sont le plus à même de conduire à l’accroissement de cette conscience de soi dont l’importance est essentielle. C’est par une plus grande conscience de soi que des choix mieux informés sont rendus possibles, des choix libres de toute introjection, des choix ‘conscients’ qui s’accordent encore davantage avec le flux de l’évolution. Une personne en thérapie augmente son potentiel de perception non seulement vis-à-vis des stimuli qui proviennent du monde extérieur, mais aussi de ses propres idées et rêves, et encore du flot continu de sentiments, d’émotions, de réactions physiologiques qu’elle ressent de l’intérieur. Plus cette perception est accrue, plus on peut être sûr que la personne flottera à l’unisson du flux directionnel de l’évolution.

Lorsqu’une personne fonctionne de cette manière, cela ne signifie pas qu’elle perçoive consciemment tout ce qui se passe à l’intérieur d’elle-même, comme le myriapode dont les mouvements furent paralysés lorsqu’il devint conscient de ses pattes. Au contraire, une telle personne est aussi libre de vivre subjectivement un sentiment que d’en prendre conscience. L’individu peut faire l’expérience de l’amour, de la peine, de la crainte ou simplement vivre ces expériences subjectivement ; ou bien il peut abstraire le moi de cette subjectivité et se dire, en toute évidence, « j’ai de la peine », « j’ai peur », « j’aime ». Mais lorsqu’une personne fonctionne pleinement, elle atteint un point décisif à partir duquel il n’y a plus de barrière, plus d’inhibition qui puissent l’empêcher de faire l’expérience totale de tout ce qui est organismiquement présent. Cette personne se meut en direction de « l’entièreté » de l’intégration d’une vie unifiée. La conscience participe à cette tendance formative élargie et créative.

ETATS ALTÉRÉS DE CONSCIENCE

Il y en a qui vont encore plus loin dans leurs théories. Des chercheurs tels que Grof (1977) et Lilly (1978) pensent que certaines personnes peuvent aller au-delà du niveau de conscience ordinaire. D’après leurs études, il ressort que, dans les états altérés de conscience, des individus sentent qu’ils sont en prise avec ce flux évolutionnaire, qu’ils en saisissent le sens. L’expérience qu’ils en ont ressemble à celle d’une tension vers l’expérience transcendante de l’unité. Ils dépeignent le moi individuel comme étant dissous dans toute une zone de valeurs exaltées, de beauté particulière, d’harmonie, d’amour. La personne fait un avec le cosmos. Des recherches moins excentriques semblent confirmer l’expérience mystique avec l’universel.

En ce qui me concerne, ce point de vue est confirmé par mes récentes expériences avec des clients, en particulier dans les groupes intensifs. J’ai déjà décrit les caractéristiques de la relation, facteur de croissance, qui ont fait l’objet d’études et de recherche. Mais, récemment, mon point de vue s’est élargi dans une zone qui ne peut pas encore être étudiée empiriquement.

Quand je suis au mieux de ma forme, en tant que facilitateur ou thérapeute, je découvre une autre caractéristique. Quand je touche profondément à mon moi intuitif, quand je suis d’une certaine manière en contact avec l’inconnu en moi, quand je suis peut-être dans un état légèrement altéré, peu importe ce que je fais, car ce que je fais semble empreint d’une profonde puissance curative. Ma seule « présence » semble alors apaisante et aidante pour l’autre. Je ne peux pas provoquer cette expérience, mais lorsque je me détends et que je touche au cœur de la transcendance qui est en moi, c’est alors que, dans la relation, je peux me comporter d’une manière étrange et impulsive que je ne peux pas justifier rationnellement, qui n’a rien à voir avec les processus de la pensée. Mais d’une manière bizarre, ces comportements se trouvent être « justes » : il semble que mon esprit intérieur se soit penché sur l’esprit intérieur de l’autre et qu’il l’ait touché. Notre relation est transcendée et devient une partie de quelque chose de plus large. Croissance, puissance de guérison et énergie profonde sont présentes.

Il est certain que cette sorte de phénomène transcendantal a parfois été vécu dans des groupes avec lesquels j’ai travaillé et qu’il a changé la vie de quelques participants. L’un d’entre eux le dit de manière éloquente : « pour moi, ce fut une expérience spirituelle profonde. J’ai senti l’unité d’esprit de la communauté. Nous respirions ensemble, nous sentions ensemble, nous parlions même l’un pour l’autre. J’ai senti le transcendant, l’indescriptible, le spirituel ». Je dois reconnaître que, moi comme beaucoup d’autres j’ai sous estimé l’importance de la dimension mystique et spirituelle.

SCIENCE ET MYSTIQUE

Ici, bien des lecteurs vont me fausser compagnie. Qu’est-il advenu, demanderont-ils, de la logique, de la science, de l’esprit pratique ? Mais, avant qu’ils ne me quittent, je voudrais leur fournir des arguments en faveur de cette thèse dont la provenance est pour le moins inattendue.

F. Capra, le célèbre physicien de physique théorique, a démontré, en 1975, comment la physique a de nos jours, aboli complètement tous les concepts solidement ancrés dans notre monde, à l’exception de celui de l’énergie. En se résumant, il dit notamment : « En physique moderne, l’univers est ressenti comme un tout dynamique, inséparable, qui inclut toujours et de manière essentielle, l’observateur. Dans cette expérience, les concepts traditionnels d’espace et de temps, d’objets isolés, de cause et d’effet perdent leur sens. Pourtant, cette expérience ressemble beaucoup à celle des mystiques orientaux. Il trace ensuite des parallèles étonnants avec le Zen, le Taoïsme, le Bouddhisme, et d’autres religions orientales. A mon avis, la physique et le mysticisme oriental sont des routes séparées mais complémentaires vers une même connaissance qui se renforcent l’une l’autre par l’apport d’une compréhension de l’univers toujours plus approfondie.

Plus récemment, le travail du chimiste et philosophe Prigogine (Ferguson, 1979) ouvre une nouvelle perspective qui jette une lumière nouvelle sur le sujet que je viens d’exposer. S’étant attaqué à la question de savoir comment l’ordre et la complexité émergent du processus d’entropie, il a mis en place un système théorique entièrement nouveau. Il a établi des formules mathématiques et des preuves qui indiquent que le monde de la nature vivante revêt un caractère davantage probabiliste que seulement déterministe. Ce système s’applique à tous les systèmes ouverts au sein desquels l’énergie est échangée avec l’environnement. L’organisme humain en fait évidemment partie.

En résumé, plus complexe est la structure, qu’il s’agisse d’un corps chimique ou d’un corps humain, plus elle dépense de l’énergie pour maintenir de sa complexité. Par exemple, le cerveau humain ne représente que deux pour cent du poids du corps, mais il consomme vingt pour cent de l’oxygène utilisable. Un tel système est instable. Il a des fluctuations ou des « perturbations » comme Prigogine les appellent. Lorsqu’elles augmentent, ces fluctuations sont amplifiées par les nombreuses connexions du système – que se soit un composé chimique ou un individu humain – et passent à un nouvel état, un état altéré, plus ordonné et cohérent que le précédent. Ce nouvel état possède une complexité encore plus grande ; de ce fait, son potentiel de création de changement s’en trouve accru.

La transformation d’un état à l’autre est un déplacement brutal, un événement non linéaire, dans lequel beaucoup de facteurs agissent à la fois, les uns sur les autres. Il est particulièrement intéressant, de remarquer que ce phénomène avait déjà été mis en évidence par Don (1977-1978) au cours de son étude sur le concept de « l’experiencing » (le fait d’expériencier) en psychothérapie (Gendlin, 1978). Lorsque dans la relation thérapeutique, on fait complètement et de manière acceptante l’expérience de prendre conscience d’un sentiment jusqu’ici refoulé, ce n’est pas seulement un changement psychologique qui est définitivement ressenti, mais c’est aussi un changement physiologique qui est perçu au fur et à mesure que le nouvel état de connaissance prend forme.

La théorie de Prigogine jette un éclairage sur les techniques de médiation et de relaxation ainsi que sur les états altérés de conscience, dans lesquels les fluctuations sont augmentées par des procédés divers. Elle fait ressortir l’importance que revêt le fait de reconnaître et d’exprimer ses propres sentiments – positifs ou négatifs – permettant ainsi la perturbation complète du système.

Prigogine reconnaît qu’il existe une forte ressemblance entre sa « science de la complexité » et les idées des sages et mystiques orientaux d’une part, et les philosophies d’Alfred North Whitehead et d’Henri Bergson d’autre part. Ses vues tendent, d’après lui, vers une « vision collective profonde ». Il est étonnant de noter que son dernier livres s’intitule « From being to becoming » (L’être en devenir) (1979), étrange étiquette de la part d’un chimiste philosophe. Sa conclusion peut être brièvement résumée en ces termes : «plus un système est complexe, plus grand est son potentiel à l’auto-transcendance : ses parties contribuent à la réorganiser». (Ferguson, 1979)

C’est donc de la physique théorique et de la chimie que viennent quelques confirmations de la validité de certaines expériences qui sont transcendantes, indescriptibles, inattendues, transformationnelles. Cette sorte de phénomène que moi-même et mes collègues nous avons observée et nous avons ressentie comme étant concomitante de l’Approche centrée sur la personne.

UNE HYPOTHESE POUR LE FUTUR

Si je considère la finalité des différents thèmes que j’ai évoqués, et certaines des thèses qui semblent leur fournir un appui, j’en arrive à formuler une hypothèse très vaste. Dans mon esprit, cette hypothèse n’est encore qu’à l’état d’esquisse mais, pour être plus clair, je la formulerai en des termes définis.

J’émets donc l’hypothèse qu’il y a, dans l’univers, une tendance directionnelle que l’on peut retracer et observer aussi bien dans l’espace stellaire, que dans les cristaux, dans les micro-organismes plus complexes et dans les êtres humains. Il s’agit d’une tendance évolutionnaire vers un ordre plus grand, une complexité plus grande, un état d’interactions plus grand.

Dans l’espèce humaine, cette tendance apparaît dans le mouvement qui s’établit à partir de la cellule unique, origine de l’individu, jusqu’au fonctionnement organique complexe, à la connaissance et à la sensibilité en deçà du niveau de conscience, à la connaissance consciente de l’organisme et du monde extérieur, à la connaissance transcendante de l’harmonie et de l’unité du système cosmique, qui englobe le genre humain.

Il me semble donc juste possible que cette hypothèse puisse servir de base à l’élaboration d’une psychologie humaniste. En tous les cas, elle constitue une basse certaine pour l’Approche centrée sur la personne.

CONCLUSIONS

Ce que j’ai essayé de dire, c’est que, dans notre travail de thérapeutes et de facilitateurs centrés sur la personne, nous avons découvert les qualités d’attitudes, dont on a prouvé l’efficacité dans la formation de changements constructifs, facteurs de croissance de la personnalité et du comportement des individus. Les personnes qui se trouvent dans un climat empreint de ces attitudes ont tendance à mieux se comprendre, à avoir plus de confiance en elles, à être mieux capables de choisir leurs comportements. Elles apprennent avec plus d’efficacité, elles ont plus de liberté pour être et devenir.

Dans ce climat plein de ressources vitales l’individu est libre de choisir n’importe quelle direction, mais de fait, il sélectionne les voies positives et constructives. La tendance actualisante est à l’œuvre dans l’être humain.

Ce qui vient encore confirmer nos idées, c’est que cette tendance ne se trouve pas seulement dans les être vivants, mais qu’elle fait également partie de la tendance formative qui est évidente à tous les niveaux de notre univers.

Par cela même, nous pouvons dire que, lorsqu’on fournit un climat qui permet aux personnes d’être, qu’ils soient clients, étudiants, travailleurs, ou participants d’un groupe, on n’est pas livré au hasard. Nous puisons dans une tendance qui infuse chaque partie de la vie organique, une tendance à devenir toute la complexité dont l’organisme est capable. A une plus grande échelle je crois que nous nous mettons à l’unisson d’une tendance créative puissante qui a formé notre univers depuis les plus petits flocons de neige jusqu’à la plus large des galaxies, depuis la modeste amibe jusqu’à la personne la plus sensible et la plus douée. Et peut-être, touchons-nous le bord de la capacité à nous transcender, à créer des directions nouvelles et plus spirituelles de notre évolution humaine.

Cette sorte de formulation, c’est pour moi la base philosophique d’une approche centrée sur la personne. Elle me justifie de m’être engagé dans une manière d’être qui prenne résolument le parti de la Vie.

Carl Rogers

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