L’étude clinique présentée ici montrera, à travers plusieurs extraits d’une séance de thérapie avec une jeune cliente de 24 ans, la manière dont se construisent les impressions intégratives du thérapeute, concept heuristique emprunté à Maria Villas-Boas Bowen. Il s’agira de suivre l’assemblage et la genèse progressive des «insights» en provenance de la cliente en réponse aux niveaux de compréhension et d’intégration du thérapeute et d’observer ici comment la personne explore et donne sens à son expérience.

 

Etude clinique de l’élargissement de l’expérience relatée par la cliente,

en relation avec la compréhension intégrative du thérapeute

 

« Nous, les thérapeutes, agissons comme des collecteurs d’informations dans lesquelles nous saisissons les bribes d’expérience déconnectées et fragmentées du client, pour les assembler en une impression intégrative. Nous retournons au client cette expérience intégrative, soit de la forme de réflexion du ressenti, de métaphores, d’énoncés de thèmes sous-jacents ou de suggestions d’expérience.

Les clients utilisent alors ces impressions intégratives en tant que catalyseurs pour organiser leur expérience à un autre niveau de conscience (…). Il y a une différence entre une rencontre de soutien, qui est sensée aider le client à se sentir mieux et la psychothérapie. Dans une rencontre de soutien, une écoute active est la seule méthode requise. Dans la psychothérapie, le thérapeute introduit ses propres impressions intégratives qui servent de catalyseurs au processus de développement du client. »

Maria Villas-Boas Bowen
La spiritualité dans l’Approche centrée sur la personne (lire son article ici). 

 

I  – Position du problème : la compréhension intégrative du thérapeute

La compréhension empathique que le thérapeute manifeste envers sa cliente ouvre un espace d’intégration concernant plusieurs niveaux d’expérience : environnementaux, sensoriels, cognitifs, émotifs et relationnels. Il s’agira ici de suivre pas à pas, au travers d’extraits de verbalisations significatives, l’évolution corrélée des impressions intégratives du thérapeute et l’élargissement progressif de l’exploration par la cliente des niveaux de son expérience.

II  – Processus thérapeutique et réorganisation du regard posé sur l’expérience

La dynamique relationnelle entre la cliente et le thérapeute s’enracine dans un tissu de relations, de sens partagés, d’échanges affectifs et de cognitions co-élaborés dans le creuset que promeuvent les 6 conditions théorisées par Rogers (Rogers 1957 puis 1959). Elles constituent la gamme sur laquelle s’appuient le client et le thérapeute pour compo- ser le duo d’une rencontre basée sur l’interaction empathique.

Selon Alan Schou : « La psychothérapie vise à réorganiser les modèles internes de représentations mal assurés jusqu’à ce qu’ils deviennent des modèles sûrs qui permettent des modes plus complexes d’organisation intrapsychiques et de conduite interpersonnelle, de même qu’un développement progressif de la capacité, dans une variété de contextes familiers et nouveaux, à maintenir un sens unifié de soi cohérent et continu. » 1

Cette orientation, que je considère comme un premier outil cohérent pour mon questionnement, rejoint un autre concept utile pour l’avancée de mon propos, celui de « selfobject » de Kohut (1982) que rapporte en ces termes Margaret Warner : « Par fonction « selfobject », j’entends une fonction nécessaire au maintien de la cohérence et de la stabilité de l’expérience d’un individu. Cette fonction est réalisée par deux personnes dans une relation de partenariat avant d’être intériorisée comme une capacité relative-ment indépendante. » (M. Warner. 1994. p. 5 in “Empathie et Guérison”).

Cette réorganisation, qui consiste en une exploration structurante d’une implicite déjà là, ne peut se faire qu’au cœur d’une relation où les attitudes du thérapeute, tant au plan comportemental, cognitif qu’affectif, se font réceptable d’un mouvement de conscientisation libérateur. Ce moment du mouvement, selon l’expression de Rogers, vient ponctuer les strates d’une expression allant de la sensorialité, au corporel, jusqu’à la subtilité d’une réflexivité innovante et imaginative.

Pour la cliente et le thérapeute, il s’agit d’une expérience d’une complexité partagée : « Le lien de confiance se développe à travers une présence empathique et séparée, une écoute vivante et des miroirs justes. » (André Duchesne et Ginette Lépine. op. Cité, p. 135. 2009).

Il s’agira de montrer que la dimension expérientielle comporte une aspect évolutif en relation avec les attitudes du thérapeute. Celles-ci constituent une espace d’intégration aux expressions de la cliente.

La correspondance entre les niveaux d’exploration de l’expérience et la manifestation de la compréhension intégrative du thérapeute constitue le noyau de cette présente recher- che.

III – La rencontre progressive entre le thérapeute et le cliente : l’étincelle du processus

L’étude de l’aspect évolutif de l’expérience du client, en relation avec les attitudes du thérapeute est une orientation de recherche ouverte depuis les apports de Rogers dans le chapitre V de son ouvrage « Le développement de la Personne » (in Rogers. p.p. 86, Ed. 1968), ainsi, écrit-il : « Pour essayer de saisir et de conceptualiser le processus de changement, j’ai commencé par chercher les éléments susceptibles de caractériser le changement lui-même (…). Ce qui m’est apparu graduellement, à mesure  que  j’affrontais  la  matière  brute  du  changement,  est  un « continuum » différent de celui que j’avais perçu auparavant. Je commençais à comprendre que les individus n’évoluent pas à partir d’un point fixe et « homéostatique » vers un nouveau point fixe, bien que ce genre de processus soit possible. Au contraire, le continuum le plus significatif se développe à partir d’un point fixe vers le changement, à partir d’une structure rigide vers une fluidité, à partir d’un état de stabilité vers un processus évolutif. » (Rogers. op. Cité. p. 93).

J’ajouterai que ce continuum a une dimension verticale, une épaisseur ayant la texture d’une mémoire. Car, depuis ces premières études, il est établi que le nombre et la qualité des « insights » est corrélé avec la nature des attitudes, la présence à soi et à autrui du thérapeute : « A partir des théories issues des systèmes dynamiques, nous avons émis l’hypothèse que des processus d’émergences ou de formation de patterns apparaissent au cours de l’évolution des psychothérapies et sont jusqu’à un certain point associés aux résultats de l’intervention (c’est moi qui souligne). » (in W. Tschacher, C. Scheir, K. Grawe et V. Pomini in Revue Francophone de clinique comportementale et cognitive. Septembre 2002. Vol. VII. n°3. p. 23).

Cependant, cette corrélation de mesures reste ici, à bien des égards, quantitative : questionnaire d’anxiété sociale , inventaire du bien-être émotionnel, évaluation de l’image de soi, liste des symptômes (Symptom Checklist), croyances de contrôle, mesurent ici l’ordre du système thérapeutique. Mais qu’en est-il de la mouvance même de l’expérience qu’explore la cliente ? En quoi ma compréhension empathique, mon degré d’accord interne et d’acceptation vont favoriser la nouvelle configuration de l’expérience et surtout…

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L’auteur:

Gérard Mercier est Docteur en psychologie et psychothérapeute dans l’Approche Centrée sur la Personne.

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