Voici un bref panorama de la situation de l’Approche centrée sur la personne au Mexique. Ce texte a été rédigé par Clément Haudiquet à la demande de la revue Trait d’Union. Clément a vécu au Mexique durant une vingtaine d’années, entre 1996 et 2017. Il pratiquait la psychothérapie centrée sur le client en cabinet libéral à Cuernavaca et à Mexico. Il a également enseigné l’ACP durant de nombreuses années.
Pour citer cet article:
Haudiquet, X.C. (2016). Carte postale: l’ACP au Mexique. In Le Trait d’Union, n° 36 de décembre 2016.
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Bref panorama de l’Approche centrée sur la personne au Mexique
Pour de nombreux nord-américains, le Mexique est une destination de villégiature prisée car de proximité. Carl Rogers n’a pas fait exception. Il s’est rendu au Mexique à plusieurs reprises, d’abord pour y passer des vacances où il prenait grand plaisir à l’un de ses passe-temps favoris, la photo en couleur (il est vrai que le Mexique est très photogénique !). Puis plus tard, alors qu’il habitait en Californie, il y est venu pour faciliter des workshops (groupes de rencontre) dans l’Approche Centrée sur la Personne (ACP).
La tradition rogérienne s’est alors ancrée au Mexique, notamment sous l’influence du professeur jésuite Juan Lafarga (1) qui a fondé et dirigé pendant plus de 40 ans le département de Psychologie Humaniste de l’Université Iberoamericana située à Mexico. J. Lafarga, qui connaissait bien Carl Rogers, a joué un rôle fondamental dans le développement de l’ACP au Mexique. De nombreux thérapeutes centrés sur la personne de la deuxième génération ont été formés sur les bancs de sa salle de cours.
Le relais a ensuite été repris par Alberto Segrera, également professeur d’ACP à l’Université Iberoamericana. Alberto a notamment créé une immense base de données qui compile toutes les publications sur l’Approche Centrée sur la Personne en plusieurs langues (plus de 20 000 références en sept langues). Il est aussi l’initiateur et l’animateur sur Facebook de l’International Forum For the Person Centered Approach (IFPCA) qui compte aujourd’hui plus de 4220 membres de tous les pays du monde. Il faut aussi mentionner Myriam Muñoz qui s’est formé à l’ACP à l’université Iberomaricana et a fondé ensuite à Mexico un institut de formation à la psychothérapie humaniste (IHPG) où est enseigné l’ACP et la Gestalt-thérapie. C’est sur ce modèle, qui associe les deux courants cousins, que j’ai créé à Cuernavaca au milieu des années 2000 l’Institut Mareotis (2).
Comme dans d’autres pays, l’influence de Carl Rogers au Mexique souffre d’un paradoxe. Il n’existe pas actuellement d’association nationale de l’ACP, ni même d’institut de formation à la Psychothérapie centrée sur le client, et la relève des actuels thérapeutes rogériens s’avère d’ailleurs préoccupante (3). Cependant, les idées de Rogers ont profondément pénétré les milieux de la psychologie et aussi — c’est important de le souligner — de la pédagogie : l’enseignement au Mexique, qui est en grande partie privé, est beaucoup moins encadré qu’en France, et il existe de nombreuses écoles de différents courants comme Montessori, Steiner, Waldorf… Personne n’y trouve rien à redire. Il faut aussi souligner que de nombreuses écoles portent fièrement le nom de Carl Rogers même si elles ne pratiquent pas un strict enseignement centré sur l’élève. De toute façon, l’enseignement au Mexique est naturellement centré sur l’étudiant et soucieux du processus d’apprentissage; l’éducation scolaire est particulièrement bienveillante. Je me souviens encore de la stupéfaction de mes étudiants, alors que récent expatrié au Mexique et que je donnais des cours de français pour survivre, j’appliquais le système de notation à la française en mettant des 10 ou 12 sur 20 qui me paraissaient des notes très correctes. Eux, ils ne comprenaient tout simplement pas pourquoi je ne mettais pas des 18 ou des 19. J’ai dû faire tout un travail de déconstruction de mes conditionnements pour comprendre que la note n’a aucun intérêt et qu’il était plus important de les soutenir en me centrant sur les éventuels blocages dans le processus d’apprentissage des élèves.
Tous les ouvrages de Carl Rogers ont été traduits en espagnol, on y trouve donc des livres non traduits en français. En fait, l’œuvre de Rogers domine et nourrit largement le courant de la psychologie humaniste qui est très présente au Mexique, même dans les universités où la psychanalyse est en nette désuétude. Même si l’enseignement des idées de Rogers reste parfois superficiel, cela a le mérite de diffuser largement la pensée de Carl Rogers auprès des enseignants, des professionnels de la relation d’aide et de la psychothérapie.
Il est vrai que le Mexique a une tradition intellectuelle de la psychologie humaniste ancienne et toujours vivace. Mentionnons par exemple la présence d’Erich Fromm au Mexique dans les années 50 où il enseigna à l’Université Nationale Autonome de Mexico (UNAM), celle du penseur humaniste Ivan Illich qui fonda en 1961 à Cuernavaca le Centre pour la formation interculturelle qui deviendra le fameux Centro Intercultural de Documentación (CIDOC), qui fonctionnera à Cuernavaca jusqu’en 1976. Le CIDOC, surnommé aussi “centre de subversion” (!) recevra de nombreuses personnalités intellectuelles de la contre-culture comme l’anarchiste poète et gestaltiste Paul Goodman, le grand pédagogue brésilien Paulo Freire ou encore Everett Reimer, l’un des plus importants penseurs du mouvement de la “société sans école”, du nom de l’ouvrage d’Ivan Illich : “deschooling society” (une société sans école).
Mais où sont passées toutes ces idées qui imaginaient une nouvelle société ?
Xavier (Clément) Haudiquet
Notes:
1- Juan Lafarga, décédé en 2015, a aussi été le fondateur et l’éditeur de la revue Prometeo, revue mexicaine de Psychologie humaniste et du développement personnel.
2- Mareotis est le nom d’une zone sur le delta du Nil où s’est installée la première communauté de “thérapeutes” à l’époque de Philon d’Alexandrie, quelques années avant J.-C.
3- Le Mexique n’a reçu qu’une seule fois (à Aguacalientes en 1996) les rencontres rogériennes d’Amérique latine (Encuentros latinoamericanos del Enfoque Centrado en la Persona) alors qu’elles ont été organisées à plusieurs reprises au Brésil et en Argentine.