Théorie de la personnalité et du comportement dans l’ACP: les 19 propositions de Carl Rogers

Voici, en 19 propositions, les prémisses de la théorie de la personnalité dans le cadre de l’Approche Centrée sur la Personne (ACP). Il s’agit de la traduction du chapitre XI de l’ouvrage fondateur de Rogers : Client-Centered Therapy” (publié en 1951) un livre qui n’a jamais été traduit en français.

Traduction de l’anglais au français:
Jacques Périé, ancien étudiant d’ACP-France. 

Pour citer ce texte:
Rogers, C.R. (2015). A Theory of Personnality and Behavior (chap.11, pp. 481-533). In: Client-Centered Therapy. London: Robinson.

 

Théorie de la personnalité et du comportement-Rogers

THÉORIE DE LA PERSONNALITÉ ET DU COMPORTEMENT

Les 19 propositions de Carl Rogers

 

Avertissement du traducteur :

Après une petite introduction de Rogers, ce dernier développe ses 19 propositions. Chaque proposition est indiquée en bleu et en gras : elle est traduite dans son intégralité. En revanche, le commentaire qui lui suite est résumé (parfois retranscrit intégralement lorsqu’il y avait un risque de trahison de la pensée de Rogers).

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1° proposition : Chaque être existe dans un champ d’expérience continuellement changeant dont il est le centre.

Ce monde privé peut être appelé “champ phénoménologique” ou champ perceptuel” (phenomenal field). A cette idée, Rogers rajoute le commentaire selon lequel  la personne est la seule à avoir la possibilité de connaître de manière véritable et complète ce champ d’expérience; potentiellement, ajoute-t-il; car en effet, de nombreuses expériences, sensations etc. que nous recevons ne sont accessibles à la conscience que sous certaines conditions.

2° proposition : L’organisme réagit à son champ d’expérience tel qu’il est vécu et perçu. Ce champ de perception est, pour la personne, ce qu’elle nomme réalité.

Chacun réagit à la « réalité » telle qu’il la perçoit. sachant que ce que je nomme « réalité » n’est qu’une représentation, comme une carte peut l’être du territoire qu’elle représente. Importance de cette donnée en thérapie : il est fréquemment constaté que lorsque la perception change, la réaction de la personne change également. Par exemple aussi longtemps qu’un parent est perçu comme un dominant, la personne réagit à cette « réalité ». Mais si le parent devient perçu comme un individu plutôt pathétique cherchant à préserver un statut, alors la réaction à cette nouvelle « réalité » peut être bien différente.

 3° proposition : L’organisme réagit en tant qu’ensemble organisé dans un champ d’expérience donné.

L’une des caractéristiques les plus fondamentales de la vie organique est sa tendance à trouver des solutions globales orientées vers des objectifs donnés. Ceci est vrai aussi bien dans le domaine physiologique (par exemple la régulation du système d’hydratation de notre organisme, de la glande pituitaire au rein, orientée dans l’objectif de nous maintenir en vie), que du domaine psychologique, où nous sommes aussi un système organisé, global. Rogers cite plusieurs exemples dont celui de cet homme menacé dans sa sécurité professionnelle et qui développe un ulcère. Une altération dans une partie entraîne un changement dans une autre.

4° proposition : L’organisme a une forte tendance l’incitant à rendre effectif, à maintenir et à faire croître son organisme, en dynamique d’expérience.

Tous nos besoins organiques et psychologiques pourraient bien être décrits comme étant des aspects partiels de ce besoin fondamental. Selon Rogers, cette force directionnelle de la vie organique, considérée comme fondamentale par de nombreux auteurs scientifiques, n’a pas été très bien  décrite en termes évaluables.

Il s’agit de la tendance de l’organisme à se mouvoir en direction d’une plus grande maturation, ce qui implique la « self-actualization » (tendance à l’actualisation de soi) : c’est le fait de rendre effectives ses propres potentialités; l’être tend également en direction d’une plus grande autonomie et responsabilité, y compris dans la dimension sociale (socialized maturity).

Ceci est vrai, qu’il s ‘agisse de fonctions physiologiques (par exemple la régulation de la température de notre corps) ou de fonctions humaines et intellectuelles, par exemple le choix de nos objectifs de vie. Ce concept peut également être appliqué à l’évolution des espèces. Rogers cite à ce propos de nombreux autres auteurs qui ont développé des concepts similaires à la « self actualization ».

5° proposition : Le comportement correspond fondamentalement à l’effort de l’organisme pour répondre aux besoins qu’il éprouve, ceci dans le champ d’expérience tel qu’il le perçoit.

Cette proposition semble pour Rogers s’appliquer à tous les organismes en général et aussi à l’humain au stade de l’enfance, c’est à dire avant que le soi ne joue un rôle important dans la régulation du comportement. Ces besoins trouvent leur origine dans la tendance actualisante et correspondent à différents niveaux de conscience (par exemple la perception de la faim ou le besoin de relation).

C’est la perception de la réalité, non la réalité elle-même, qui est cruciale dans la détermination d’un comportement. Rogers cite l’exemple de cet homme assoiffé dans un désert qui luttera aussi durement pour atteindre le « lac » qu’il voit en fait en mirage qu’un vrai trou avec de l’eau ; ou encore ce cheval qui périt dans un haras en flammes parce qu’il lutte pour se maintenir dans la stalle qui correspond à sa réalité de sécurité.

Enfin, les tensions et les besoins présents sont les seuls que l’organisme prenne en compte pour les réduire ou les satisfaire, non ceux du passé ; ceux du passé servent à ajuster la signification qui sera donnée à l’expérience présente.

6° proposition : L’émotion accompagne et en général facilite un tel comportement dirigé vers un but, le type d’émotion pouvant être relié à une stimulation (littéralement, une claque) par opposition à la réponse à un besoin ; et l’intensité de l’émotion est reliée à la signification perçue du comportement dirigé vers la conservation et le grandissement de l’organisme.

Nous sommes soumis à deux types d’émotions : celles déplaisantes et agitées et celles au contraire satisfaisantes et calmes.

Les premières accompagnent l’effort vers le mieux de l’organisme, intègrent et concentrent le comportement vers le but à atteindre (et n’ont pas cet effet de désintégration que certains psychologues ont souligné). De manière un peu excessive, on peut dire que par exemple la peur accélère l’organisation de l’individu pour qu’il échappe au danger ou encore que la jalousie de la compétition incite l’individu à se surpasser.

L’intensité de l’émotion semble varier selon la relation perçue entre comportement  et conservation et développement : ainsi, si mon écart dans un virage pour échapper à une voiture arrivant en sens inverse est perçue comme faisant la différence entre la vie et la mort, il s’accompagnera d’une grande émotion.

Les deux dernières propositions sont discutées en termes de relation entre comportement et conservation et développement de l’individu. Comme le montrera ce qui suit, le développement du soi va introduire un certain nombre de modifications puisque le comportement sera progressivement décrit comme répondant aux besoins du soi plutôt qu’à ceux de conservation et développement.

7° proposition : La position la plus adaptée pour la compréhension du comportement est de procéder à partir du cadre de référence interne de la personne elle-même.

Comme on l’a vu à propos de la proposition nº1, c’est la personne qui seule peut connaître pleinement son champ d’expérience. Or, le comportement est une réaction au champ d’expérience tel qu’il est perçu. Et donc ce comportement sera d’autant mieux compris que l’on se placera, autant que faire se peut, du point de vue du cadre de référence de la personne elle-même ; c’est à dire à considérer le champ d’expérience autant que possible, à travers le regard de cette personne. C’est se mettre à  l’opposé de ce qu’a fait la psychologie pour comprendre l’homme, à savoir observer des sociétés primitives à partir de son cadre de référence à elle. Et nous continuons à agir ainsi en psychologie lorsque nous parlons de comportement établi par essai/erreur, ou en qualifiant  d’illusion, ou de comportement anormal etc. telle ou telle attitude.

Nous devons essayer de comprendre le monde de l’autre comme il le perçoit lui-même, exactement selon la façon dont nous essayons de comprendre une autre culture. Si nous faisons cela, ce que nous appelons comportement étrange apparaît comme une activité pleine de sens et dirigée vers un but.

Si nous pouvions faire avec empathie l’expérience de toutes les perceptions sensorielles et viscérales de la personne, si nous pouvions faire l’expérience de tout son champ phénoménologique, y compris à la fois les éléments conscients ainsi que les expériences non encore conduites à un niveau conscient, alors nous aurions la base parfaite de la compréhension de signification profonde de son comportement et éventuellement pour comprendre son futur comportement. Ceci est un idéal non atteignable.

C’est en raison de ces limites que l’on fonctionne à partir d’un cadre externe de référence ; en cela, la compréhension de la signification profonde donne lieu à projection et ceci, d’autant plus que la part d’expérience non encore amenée à la conscience est plus grande. De plus, la connaissance du cadre de référence de la personne dépend d’une communication, avec elle-même ses limites.

On peut résumer la situation globale ainsi :

Il est possible dans une certaine mesure d’accéder au cadre de référence de l’autre personne parce que de nombreux éléments de perception – le soi, les parents, les enseignants, employés etc.- ont leur contrepartie dans notre propre champ de perception et pratiquement toutes les attitudes vis à vis de ces  objets perçus tels que colère, ennui, amour, jalousie, satisfaction ont été présentes dans notre propre champ d’expérience.

Et si la communication avec la personne est faite d’une expression libre, non perturbée par un besoin ou un désir d’être défensif, plus adéquate sera la communication de son  champ d’expérience.

C’est probablement pour les raisons ci-dessus que l’Approche centrée sur la personne s’est avérée être une méthode valable pour considérer le comportement d’une personne, en visant à le faire à partir de son propre cadre de référence à elle.

8° proposition : Une part de la totalité du champ de perception devient progressivement différenciée en tant que « moi ».

Quand l’enfant se développe, une partie de la totalité de son monde privé devient identifié en tant que « moi » (self), un « je », « moi-même ». Il demeure de nombreuses questions relatives au concept émergent du « moi ». Se développe-t-il par les interactions avec les autres ? Le moi est-il le produit d’un processus de symbolisation ? Est-ce le fait que les expériences ne sont pas directement intégrées mais symbolisées et traitées par la pensée qui rend le soi possible ? Est-ce que le moi correspond à la partie symbolisée de l’expérience ? D’autres travaux seront nécessaires pour répondre. Mais de même qu’il est difficile de fixer une limite précise entre l’organisme et son environnement, de même il est difficile de la fixer entre le moi et le monde extérieur.

Le fait de savoir si un objet ou une expérience peut être considéré comme une partie du moi dépend du fait de savoir s’il est ou pas sous le contrôle du moi. Par exemple, l’engourdissement d’un membre par manque de circulation fait qu’il devient plutôt un « objet » qu’une part de soi. Peut-être est-ce le gain progressif d’autonomie qui donne à l’enfant la conscience de lui-même lorsqu’il prend conscience pour la première fois d’un certain contrôle sur son monde d’expérience.

Même si certains auteurs utilisent le moi comme synonyme d’organisme, il est utilisé ici dans un sens plus restreint, à savoir le fait d’être conscient d’être et de fonctionner.

9° proposition : En tant que résultat de l’interaction avec l’environnement et particulièrement des interactions qui nous permettent de nous évaluer par rapport aux autres, la structure du moi est formée d’un ensemble conceptuel, organisé, fluide mais cohérent, constitué de perceptions, de caractéristiques et de relations du « je » ou du « moi », en lien avec les valeurs attachées à ces concepts.

10° proposition : Les valeurs attachées aux expériences et les valeurs qui font partie de la structure du moi sont dans certains cas des valeurs dont l’organisme fait l’expérience, dans d’autres cas, ces valeurs sont assimilées ou empruntées à d’autres mais sont perçues d’une façon déformée, comme si l’expérience en avait été faite directement.

Rogers se propose de discuter de ces deux propositions conjointement. Par ses interactions avec son environnement, l’enfant élabore progressivement des concepts à propos de lui-même et de cet environnement, concepts non verbaux qui lui servent de guides pour son comportement, sans aucune barrière. Cela s’accompagne d’une valorisation globale de ses expériences qui le font grandir ou d’une dépréciation de celles qui constituent une menace. Bientôt se rajoute à cela l’évaluation du soi par les autres (« Tu es un bon enfant », etc.), des évaluations de lui-même et de son comportement qui en viennent à former une part significative de son champ de perception d’enfant, auxquelles se rajoutent ses expériences sociales et les évaluations correspondantes.

C’est à ce stade que peut émerger la symbolisation distordue et le déni des expériences qui contribuent à sa prise de conscience ; cela a beaucoup de conséquences dans le développement ultérieur d’inadaptation psychologique. Rogers pose cela en termes généraux et schématiques pour le clarifier : l’une des premières et plus importante expérience du moi de l’enfant ordinaire est qu’il est aimé de ses parents. Il se perçoit lui-même comme digne d’amour et le méritant. Ceci est l’élément central dans la structure du soi tel qu’il commence à se former. Parallèlement à cela, il fait l’expérience de valeurs sensorielles positives et celle de sa propre croissance. Puis vient une sérieuse menace pour le moi, l’expérience de mots et d’actions de ses parents par rapport à ses comportements insatisfaisants, avec par exemple des mots tels que : « Tu es mauvais lorsque tu te comportes de cette façon ». Apparaît alors un dilemme entre son sentiment de conscience de satisfaction et le désaveu de l’environnement. Il y répond soit par le déni de son propre sentiment de satisfaction soit par la déformation de la symbolisation de l’expérience que lui renvoient ses parents.

La symbolisation correcte serait : « Je perçois mes parents comme faisant l’expérience d’un comportement qui ne les satisfait pas ». La symbolisation distordue devient : « Je perçois mon comportement comme étant insatisfaisant ».

De sorte que les attitudes des parents sont non seulement intégrées en tant qu’attitudes d’autrui mais, par effet de distorsion, le sont comme si elles étaient basées sur les perceptions de l’enfant lui-même. Ainsi, à travers une symbolisation déformée, l’expérience de la colère en vient à être éprouvée comme mauvaise, même si une symbolisation plus adaptée serait que cette colère puisse être perçue comme satisfaisante. La meilleure représentation n’est donc pas celle qui parvient à la conscience, si elle y accède ; l’enfant est anxieux en raison de l’incohérence qui s’agite en lui. Il accepte les valeurs imposées par son environnement au même titre que celles qui sont liées à son expérience directe. Le « moi » se forme en partie sur la base de cette distorsion des expériences sensorielles et viscérales directes. Cela constitue le début de ce qui conduira plus tard au « Je ne me connais pas moi-même réellement ».

Il semblerait que la définition la plus utile du concept de moi, de la structure du moi résulte de ces deux sources : expériences directes de la personne et symbolisation déformée de ses réactions sensorielles résultant de l’intégration de valeurs et concepts comme si l’expérience directe en avait été faite.

Il serait intéressant de considérer un instant la voie par laquelle la structure du moi pourrait se former sans les éléments de déni et de distorsion d’expériences, celle qui serait défaite de germes de difficultés psychologiques ultérieures.

Le début en serait le même que celui qui a été décrit plus haut : l’enfant fait ses expériences et les évalue comme étant positives ou négatives. L’un des éléments les plus fondamentaux est sa perception de lui-même comme personne aimée. Et comme dans la première description, il a une expérience satisfaisante de tous ses comportements, y compris par exemple celle de frapper son frère bébé. A ce point apparaît une différence cruciale. Le parent qui est capable, 1/ d’accepter authentiquement ce sentiment de satisfaction éprouvé par l’enfant, 2/ d’accepter pleinement l’enfant qui en fait l’expérience et 3/ en même temps accepter son propre sentiment qu’un tel comportement est acceptable dans la famille, créé pour l’enfant une situation très différente de celle habituellement rencontrée. Et l’enfant fait l’expérience de la non menace au concept qu’il a de lui-même d’être une personne aimée. Il peut faire pleinement l’expérience d’accepter, comme partie intégrante de lui-même, de ressentir aussi des sentiments agressifs. Ce qu’il fait ensuite dépend de l’équilibre conscient qu’il établit entre éléments de la situation : la force de son sentiment d’agression, la satisfaction qu’il gagnerait en frappant le frère bébé et la satisfaction qu’il gagnerait en étant plaisant à ses parents. Le comportement qui en résulterait serait sans doute parfois social, parfois agressif. Ce serait le comportement adaptatif d’une personne indépendante, unique, conduisant ses actes elle-même. Son grand avantage, du point de vue de la santé psychique, est qu’il serait réaliste, basé sur une symbolisation exacte de tout ce qui serait perçu à un niveau sensoriel et viscéral.

Cette description pourrait sembler assez peu différente de l’autre, mais en fait l’écart est extrêmement important. En raison du fait que la structure bourgeonnante du moi n’est pas menacée de perte d’amour, par le fait que ses sentiments sont acceptables pour ses parents, l’enfant n’a pas à dénier ou à distordre la conscience de satisfaction qu’il tire de tous les éléments pertinents issus de ses expériences ; il développe ainsi une structure d’un moi solide.

11° proposition : Au fur et à mesure que les expériences se produisent dans la vie de la personne, celles-ci sont soit : a/ symbolisées, perçues et organisées en relation avec le soi, b/ ignorées parce qu’il n’y a pas de relation perçue avec la structure du soi, c/ soumises à un refus de symbolisation ou bien celle-ci est déformée parce que l’expérience n’est pas en accord avec la structure du moi.

Rogers cite un exemple d’expérience ignorée parce que non pertinente pour la structure du soi : un bruit au loin. Sauf s’il m’est utile dans l’instant pour illustrer quelque chose, je n’y prête pas d’attention particulière. Il existe dans le fond de mon champ phénoménologique mais il ne contredit ni ne renforce le concept du moi, pas plus qu’il ne correspond à un besoin : il est donc ignoré. Ou encore : je marche dans une rue, ignorant la plupart des sensations dont je fais l’expérience. Mais aujourd’hui, j’ai besoin d’un magasin particulier et je me souviens en avoir vu un dans cette rue, même si je n’ai pas trop prêté attention auparavant. Et donc, à l’instant où cette expérience rencontre un besoin du moi, elle peut être alors tirée d’un fonds de représentations. Il en est de même pour la majorité de nos expériences sensorielles ainsi ignorées, jamais amenées à un niveau de symbolisation consciente et existant seulement comme sensations organiques sans avoir jamais été reliées de quelconque façon au concept du moi ou au concept du moi en relation avec l’environnement.

Par contre, un groupe plus important d’expériences correspond à celles qui sont conscientisées et organisées en relation avec la structure du moi, soit parce qu’elles correspondent à un besoin du moi, soit parce qu’elles sont en accord avec la structure du moi et le renforcent.

Le client qui a un concept du moi tel que « Je ne ressens pas que je puisse prendre ma place dans la société comme tout le monde », perçoit par exemple qu’il n’a pas suffisamment appris de son travail scolaire ou qu’il échoue dans ses actions ou bien encore qu’il ne réagit pas normalement etc. Il ne retiendra donc de ses expériences sensorielles que celles qui sont en accord avec sa perception de lui-même (mais ultérieurement, quand sa perception du moi changera, il pourra percevoir qu’il a entrepris avec succès de nouveaux projets, qu’il est suffisamment normal pour qu’on soit en relation avec lui etc.).

Ainsi un grand nombre d’expériences sont symbolisées parce qu’elles correspondent aux besoins du moi : je repère par exemple ce livre parce qu’il traite d’un sujet sur lequel je souhaite m’informer.

C’est le troisième groupe d’expériences sensorielles et viscérales, celles qui semblent empêchées d’accéder à notre conscience, qui demandent notre plus grande attention, parce ce que c’est dans ce domaine que se trouvent de nombreux phénomènes du comportement humain que les psychologues se sont efforcés d’expliquer. Dans certains cas, le refus de la perception est plutôt conscient. Le client cité plus haut, dont la perception du moi est négative dit : « Que les gens disent que je suis intelligent, je ne le crois pas. Je suppose que je ne veux pas le croire. Je ne sais pas pourquoi je ne veux pas le croire. Cela devrait me donner confiance mais ce n’est pas le cas. Je pense que les gens ne savent pas vraiment ». Cette personne perçoit et n’accepte qu’une dépréciation d’elle-même parce que cela est en accord avec son concept du moi ; des appréciations opposées sont donc niées, la personne choisissant de donner de l’importance à d’autres perceptions. Ce type de refus plus ou moins conscient de perception a certainement lieu pour chacun d’entre nous.

Il y a cependant un autre type de refus que les freudiens appellent le refoulement. Dans ce cas, il y a expérience organique mais il n’y a pas symbolisation de cette expérience ou alors seulement une symbolisation déformée (parce qu’une représentation consciente adéquate serait totalement en désaccord avec le concept du moi). Par exemple une femme dont le concept du moi a été profondément influencé par une éducation morale et religieuse très stricte, dit faire l’expérience de désirs organiques forts pour parvenir à la satisfaction sexuelle. La symbolisation de ces désirs les fait apparaître à la conscience comme source de contradiction traumatisante pour le concept du moi. L’expérience organique est un fait. Mais la symbolisation des désirs, pour qu’ils deviennent partie de la conscience, est quelque chose que la conscience peut empêcher, et elle le fait. Ainsi, l’organisation fluide mais cohérente qu’est la structure du moi ou le concept du moi, ne permet pas l’intrusion d’une perception qui serait en désaccord avec cette structure du moi, comme le ferait un système cellulaire s’opposant à la pénétration d’un corps étranger.

Il faut bien noter que les perceptions sont exclues parce qu’elles sont contradictoires, non parce qu’elles sont dérogatoires. Il semble presque aussi difficile d’accepter une perception qui altèrerait le concept du moi dans une direction favorable que d’accepter une expérience qui altèrerait ce moi de façon réductrice. Le client cité plus haut, en manque de confiance, a autant de difficulté à accepter son intelligence qu’une personne ayant le concept d’un moi supérieur n’en aurait en acceptant les expériences signifiant la médiocrité.

De nombreuses questions troublantes sont liées à la question : comment s’effectue le refus, le déni ? « Percevoir sans percevoir ? ». Le sujet pré-perçoit-il ? Rogers cite de nombreux travaux sur ces questions et propose l’hypothèse que la personne apparaît comme étant capable de faire la distinction entre stimuli menaçants et non menaçants et de réagir en conséquence, même si elle est incapable de reconnaître de façon consciente le stimulus auquel elle réagit.

Lazarus, qui selon Rogers est celui qui a le mieux étudié cette question, la définit en termes de « subception », c’est à dire la perception qui permet de définir un comportement même si la conscience explicite n’en est pas présente. Ceci est mis en évidence par exemple par la mesure enregistrable d’une réaction cutanée à un mot associé à une menace, alors que le temps d’exposition à l’évocation de la menace et très court et donc celle-ci n’est pas pleinement conscientisée.

Ce type de constante donne sens à notre hypothèse clinique et théorique, dit Rogers, selon laquelle la personne peut refuser des expériences au niveau de sa conscience sans en avoir elle-même conscience. Ceci est au minimum un processus de « subception », une réponse à l’expérience physiologique globale et évaluative, qui pourrait précéder la perception consciente d’une telle expérience. Ceci fournit aussi une possible description de la façon par laquelle une symbolisation exacte d’une expérience menaçante pour le soi peut être empêchée.

Ici également, nous avons peut-être une base pour décrire l’anxiété qui accompagne de nombreuses perceptions conscientes d’une telle expérience. L’anxiété pourrait être la tension manifestée par le concept organisé du moi quand ces « subceptions » indiquent que la symbolisation de certaines expériences pourrait être destructrice pour l’organisation du moi. Si ce travail expérimental est confirmé par des recherches ultérieures, il pourrait fournir le lien nécessaire pour décrire la façon par laquelle se produit le refoulement ou l’impossibilité pour l’expérience d’émerger à la conscience.

Cliniquement, il semblerait qu’un tel processus, comme signifié par le mot « subception » soit nécessaire pour rendre compte des phénomènes observés.

12° proposition : La plupart des façons de se comporter qui sont adoptées par l’organisme sont celles qui sont en accord avec le concept du moi.

Bien qu’il y ait des exceptions à cette déclaration (discutées dans la proposition suivante), il est à noter que dans la plupart des exemples, la forme de l’effort est dictée par le concept du moi. Lorsque l’organisme lutte pour répondre à ses besoins dans le monde tel qu’il est expérimenté, la forme de cette lutte doit être en accord avec le concept du moi. Par exemple, la personne qui a certaines valeurs liées à l’honnêteté ne peut pas chercher à lutter pour une forme d’accomplissement par des moyens qui lui semblent malhonnêtes. Ou encore, la personne qui se considère comme n’ayant aucun sentiment agressif ne peut pas satisfaire un besoin d’agression d’une façon directe. Les seules voies possibles sont celles qui sont en accord avec le concept organisé du moi.

Dans la plupart des cas, la canalisation n’implique pas la déformation du besoin à satisfaire. Parmi les différents moyens de satisfaire un besoin de nourriture ou d’affection, la personne choisit seulement ceux qui sont en accord avec le concept qu’elle a d’elle-même. Il existe aussi cependant des occasions lors desquelles le refus d’expérience évoqué plus haut joue un rôle dans le processus. Par exemple, un pilote qui se vit comme étant courageux et relativement sans peur et à qui est commandé une mission à haut risque. Physiologiquement, il fait l’expérience de la peur et du besoin d’échapper au danger. Ses réactions ne peuvent pas être symbolisées au niveau de la conscience car elles seraient trop contradictoires avec l’image qu’il a de lui-même. Le besoin organique cependant persiste. Le pilote peut percevoir alors que « le moteur ne tourne pas tout à fait normalement » ou bien il peut se dire : « je suis malade car j’ai un dérangement intestinal », et sur ces bases, il peux s’excuser  de ne pas pouvoir remplir cette mission.

Dans cet exemple comme dans de nombreux autres, le besoin organique existe mais il ne peut pas être admis au niveau de la conscience ; le comportement adopté est tel qu’il satisfait le besoin organique, mais selon des voies qui sont en accord avec le concept du moi.

La plupart des comportements névrotiques sont de ce type. Dans la névrose classique, l’organisme satisfait un besoin qui n’est pas reconnu par la conscience, ceci par des moyens comportementaux qui sont en accord avec le concept du moi et qui peuvent donc être acceptés par la conscience.

Dans la plupart des comportements d’un type relativement neutre, la régulation de la forme de comportement par concept de soi, n’est pas observable et pourrait même ne pas exister. Le contrôle devient évident d’un coup cependant, quand le comportement est incohérent avec le soi. Ainsi, un comportement tel que le sommeil, né du besoin de réduire les tensions musculaires liées à la fatigue est dans la plupart des cas un comportement neutre en ce qui concerne le concept du soi. Mais la personne qui se considère comme individu conscient et responsable se réveille de son sommeil très tôt le matin quand ses responsabilités lui demandent de le faire, ceci sans considération pour son besoin organique de sommeil mais en accord avec le concept du moi.

13° proposition : Un comportement pourrait dans certains cas être la conséquence d’expériences organiques et de besoins qui n’ont pas été symbolisés. Un tel comportement pourrait être en désaccord avec la structure du moi, mais dans de telles situations, le comportement n’est plus « la propriété » de la personne.

Dans des moments de grand danger ou d’urgence, la personne peut se comporter avec efficacité et astuce pour répondre à une demande de sécurité par exemple, mais sans amener de telles situations où le comportement requis à une symbolisation consciente. Dans de telles situations, la personne dit : « Je ne savais pas ce que j’étais en train de faire » ou encore, «  Je n’étais pas réellement responsable de ce qui se passait ». Le moi conscient ne ressent pas de contrôle sur les actions qui ont lieu. On pourrait dire la même chose d’un dormeur ronflant : le moi n’a pas de contrôle et le comportement ne peut pas être considéré comme une part du moi.

Un autre exemple vient de situations ou de besoins dont la personne a fait l’expérience organique et qui sont refusés par la conscience parce qu’en désaccord avec le concept du moi. La pression du besoin organique devient si forte que l’organisme déclenche un comportement en satisfaisant son besoin sans aucune référence au concept du moi. Rogers cite l’exemple de cet adolescent que son éducation avait conduit à un concept du moi empreint de chasteté, mais qui soulevait les jupes des filles. Confondu par un témoin, il déclara : « Je n’étais pas moi-même ». La curiosité associée à la pulsion d’un puissant besoin organique, n’avait pas trouvé une voie de satisfaction en accord avec le concept de soi. Le comportement correspondant était dissocié du concept du moi, échappait à un contrôle conscient.

Dans de nombreux cas d’inadaptations psychologiques, un élément de préoccupation vient du fait que certains types de comportement ont lieu sans contrôle ou sans possibilité de contrôle, Avec des remarques de type : « Je ne suis pas moi-même lorsque je me comporte de cette façon » ou « Je n’ai pas le contrôle de mes réactions ».

Dans chaque cas, la référence est un comportement qui est organiquement déterminé sur la base d’expériences non menées à une symbolisation correcte et qui est ainsi effectué sans mise en accord avec le concept du moi.

14° proposition : Une inadaptation psychologique apparaît lorsque l’organisme refuse d’admettre à la conscience des expériences sensorielles et viscérales signifiantes, qui par voie de conséquence ne seront pas symbolisées ni organisées dans la construction de la structure du moi. Quand cette situation existe, il se créé une tension psychologique réelle ou potentielle.

Si nous considérons le moi comme le résultat d’une élaboration symbolique d’une partie du monde expérientiel de l’organisme, nous pouvons concevoir que lorsque la plus grande part de ce monde privé n’est pas symbolisé, certaines tensions de base en résultent. Nous voyons ainsi qu’il existe une réelle disharmonie entre l’organisme en expérience tel qu’il vit et le concept du moi qui exerce une réelle influence pour guider le comportement. Le moi devient ainsi très inadéquatement représentatif de l’expérience de l’organisme. Le contrôle de la conscience devient plus difficile et l’organisme lutte pour satisfaire les besoins qui ne sont pas admis à la conscience et pour réagir aux expériences qui sont refusées par le moi conscient.

La tension est réelle et la personne devient consciente à un certain niveau de cette tension ou désaccord, elle se sent anxieuse, sent qu’elle perd son unité et qu’elle est désorientée.

Des déclarations comme « Je ne sais pas ce dont j’ai peur » ou « Je ne sais pas ce que je veux ; je ne peux rien décider, je n’ai pas d’objectif précis », sont très fréquemment rencontrées dans des situations de thérapie et révèlent la perte de toute orientation vers un but. Pour illustrer rapidement la nature d’un tel disfonctionnement, considérons l’exemple classique de la mère qu’un diagnostic qualifierait de « rejetante » : pourtant, son concept de soi lui fait dire : « Je suis une bonne et aimante mère ».

Cette conceptualisation du moi, comme indiquée dans la proposition 10, est basée en partie sur une conceptualisation précise de l’expérience et en partie sur une symbolisation déformée des valeurs appartenant à d’autres mais qui ont été faites siennes, comme si elles appartenaient à sa propre expérience. Avec ce concept du moi, la personne peut accepter et assimiler les sensations organiques d’affection qu’elle ressent pour son enfant. Mais les expériences organiques de désagrément ou de haine vis-à-vis de lui seront niées par la conscience du moi. L’expérience est là, mais elle n’est pas symbolisée correctement. Le besoin organique d’actes agressifs répondrait à ses perceptions et satisferait la tension qu’elle ressent.

L’organisme lutte pour la résolution de cette tension, mais il ne peut le faire que par les voies qui sont en accord avec l’image d’être une bonne mère. Puisque la bonne mère peut être agressive vis-à-vis de son enfant seulement si celui-ci mérite une punition, elle percevra donc l’essentiel du comportement de son enfant comme étant mauvais et méritant une punition. Ainsi, les actes agressifs peuvent avoir lieu sans qu’ils entrent en contradiction avec les valeurs telles présentes dans l’image du moi. Dans un grand stress, cette mère pourrait dire à son enfant : « Je te hais », mais expliquerait ensuite rapidement : « Je n’étais pas moi-même » ou que ce comportement a échappé à son contrôle : « Je ne sais pas ce qui m’a amené à dire cela, parce que bien sûr, ce n’est pas ce que je veux dire. »

Cela constitue un bon exemple du décalage dans lequel l’organisme lutte pour obtenir certaines satisfactions dans le domaine de l’expérience organique alors que le concept du moi est contraint de ne pas accepter de nombreuses expériences vécues.

D’un point de vue clinique, deux degrés de tension quelque peu différents sont observés. Le premier est celui illustré ci-dessus.

Le second correspond à la personne qui ressent, lorsqu’elle explore son inadaptation, qu’elle n’a pas de moi, qu’elle est un zéro, que son seul moi est celui qui s’efforce de se comporter de la façon dont les autres pensent qu’elle devrait le faire. En d’autres termes, le concept du moi est basé dans ce cas là presque entièrement sur les validations des expériences empruntées aux autres et qui contiennent un minimum de symbolisation précise d’expérience et un minimum de valorisation organismique directe de cette expérience.

Puisque les valeurs portées par les autres n’ont pas forcement de relation avec les expériences organiques réelles qui ont lieu chez la personne, l’écart entre la structure du moi et le monde de l’expérience en vient progressivement à s’exprimer en termes de tension et de détresse. Rogers cite l’exemple de cette jeune femme, qui après qu’elle ait accepté lentement que ses propres expériences parviennent à sa conscience et forment la base de son concept du moi, formula de manière à la fois concise et précise cette remarque : « J’ai toujours essayé d’être ce que les autres pensaient que je devais être, mais maintenant je me demande si je ne devrais pas seulement considérer que je suis ce que je suis. »

15° proposition : Une cohérence psychologique est établie quand le concept du moi est tel que toutes les expériences sensorielles et viscérales de l’organisme sont, ou pourraient être, assimilées à un niveau symbolique, en une relation harmonieuse avec le concept du moi.

On peut dire que la liberté venant de la résolution d’une tension intérieure ou d’un ajustement psychologique existe lorsque le concept du moi est au moins grossièrement en accord avec toute l’expérience de l’organisme. Pour utiliser une des illustrations qui précèdent, la femme qui perçoit et accepte ses propres désirs sexuels et en même temps perçoit et accepte comme partie de sa réalité les valeurs culturelles associées à la maîtrise de ces désirs, acceptera et assimilera tous les éléments sensoriels dont l’organisme fait l’expérience. Cela sera possible seulement si le concept du moi, dans ce domaine, est suffisamment ouvert pour inclure à la fois ses désirs sexuels et son désir de vivre une certaine harmonie avec sa culture. La mère qui « rejette » son enfant peut se défaire de ses tensions intérieures associées à lui si elle a un concept du moi qui lui permet d’accepter ses sentiments de déplaisir vis-à-vis de l’enfant aussi bien que ses sentiments d’affection et d’agrément. Le sentiment de réduction de tension intérieure est quelque chose que les clients expérimentent pour progresser dans le « être réellement soi-même » ou encore dans le développement « d’un nouveau sentiment à propos de moi-même ».

Une cliente, après qu’elle ait progressivement abandonné la notion selon laquelle l’essentiel de son comportement était de « ne pas agir comme elle-même » et acceptant le fait que son moi pouvait inclure ses expériences et comportements précédemment exclus, exprimait ses sentiments par ces mots : « Je peux me souvenir d’un sentiment organique de relaxation. Je n’avais pas à maintenir en moi la lutte pour dissimuler la personne honteuse.» Le coût du maintien d’une telle structure de veille, de défense (pour empêcher diverses expériences d’être symbolisées dans la conscience) est de toute évidente important.

La meilleure définition de ce qui constitue l’intégration apparaît être ce constat que toutes les expériences sensorielles et viscérales sont admissibles à la conscience par l’intermédiaire d’une symbolisation précise et organisable en un système interne cohérent et qui est apparenté à la structure du moi.

Quand la structure du moi est capable d’accepter et de prendre en compte dans la conscience les expériences organiques, quand le système d’organisation est suffisamment expansible pour les contenir, alors une claire intégration et une orientation bien dirigée sont réalisées ; et la personne ressent que son énergie peut être dirigée vers l’objectif clair de l’actualisation et le grandissement de l’organisme unifié.

Un aspect de cette proposition, appuyé sur des travaux de recherche qui pourraient être complétés, est que l’acceptation consciente de perceptions et d’impulsions augmente fortement la possibilité de contrôle conscient. C’est pour cette raison que la personne qui en est venue à accepter ses propres expériences acquiert également le sentiment d’être sous le contrôle d’elle-même. Une explication à propos de perception consciente et contrôle conscient : je conduis ma voiture sur une route gelée. Je contrôle sa direction (comme le moi a le sentiment de contrôler l’organisme). Je désire tourner à gauche pour suivre la courbe de la route. A ce point, la voiture, que je ne connais pas, répond aux lois physiques (l’analogue des tensions physiologiques) glisse en ligne droite plutôt que de suivre le virage. La tension et la panique que je ressens ne sont pas différentes de la tension de la personne qui trouve « qu’elle fait des choses qui ne sont pas elle-même, qu’elle ne peut pas contrôler ».

La thérapie rencontre des situations similaires. Si j’ai la perception consciente et suis disposé à accepter toutes mes expériences sensorielles, je perçois le moment d’inertie de la voiture dirigé vers l’avant, je ne le refuse pas et je tourne les roues dans la direction de la glissade jusqu’à ce que la voiture soit à nouveau sous contrôle. Alors je deviens capable de tourner à gauche, plus lentement.

En d’autres termes, je n’ai pas immédiatement conscience de mon objectif, mais en acceptant tous les éléments de l’expérience et en les organisant en un système de perceptions intégré, j’acquiers le contrôle par lequel des objectifs conscients peuvent être atteints. Ceci est très parallèle au sentiment qu’éprouve la personne qui a terminé sa thérapie. Elle peut l’avoir trouvée nécessaire pour modifier ses objectifs, mais toute déception par rapport à cela est plus que compensé par le gain en intégration et du contrôle qui s’ensuit. Il n’y a plus d’aspects de son comportement qu’elle ne peut plus contrôler. Le sens de l’autonomie, du pouvoir sur soi va avec le fait d’avoir rendu toutes les expériences disponibles à la conscience.

Le terme « disponible à la conscience » est choisi délibérément : ce qui est important, c’est le fait que les expériences, les impulsions et les sensations soient disponibles à la conscience, et pas nécessairement le fait qu’elles soient présentes à la conscience. C’est l’organisation du concept du moi contre la symbolisation de certaines expériences contradictoires avec lui, qui est le fait négatif significatif.

En fait, quand toutes les expériences ont été assimilées en relation avec le moi et transformées en une partie de la structure du moi, alors il tend à être moins que ce qui est appelé « conscience du moi ». Le comportement devient plus spontané, l’expression des attitudes est moins surveillée parce que le moi peut accepter de telles attitudes et un tel comportement comme faisant partie de lui-même. Fréquemment, en début de thérapie, s’exprime une peur réelle que les autres découvrent le moi réel du client : « Dès que je commence à réfléchir à ce que je suis, j’ai un terrible conflit par rapport à ce que je suis et cela me rend odieux ; j’ai une telle dépréciation de moi, que j’espère que personne d’autre ne s’en rendra compte. J’ai peur d’agir de manière naturelle parce que je ne me sens pas tel que je m’aime ».

Dans ce schéma de pensée, le comportement doit toujours être surveillé, précautionneux, sous contrôle. Mais lorsque le même client en vient à s’accepter profondément (« Je suis ce que je suis »), il peut alors devenir spontané et peut relâcher la conscience du moi.

16° proposition : Toute expérience qui est en désaccord avec l’organisation ou la structure du moi, peut être perçue comme une menace et plus ce type de perception est présent, plus la structure du moi est organisée de manière rigide pour se maintenir.

Cette proposition est une tentative de formulation de certains faits cliniques. Si la mère rejetante précédemment mentionnée est déclarée telle par différents observateurs, le résultat inévitable est que, dans l’instant, elle exclura toute assimilation de cette expérience. Elle peut remettre en cause les conditions de l’observation, la formation ou la compétence des observateurs, le degré de compréhension qu’elle possède et ainsi de suite. Elle organisera la défense de son propre concept de soi en tant que mère aimante et bonne et sera capable de donner substance à ce concept avec un flot d’arguments. Elle percevra le jugement de la mère rejettante comme une menace et elle organisera donc la défense de son propre concept d’autonomie.

Le même phénomène se produirait pour cette fille, qui, se considérant comme manquant d’aptitudes, atteindrait un score élevé dans un test d’intelligence. Elle se défendra contre cette incohérence. En effet, si le moi ne peut pas se défendre contre de fortes menaces, le résultat en serait un effondrement psychologique catastrophique et une désintégration.

Une formulation utile et concise des éléments essentiels en termes de menace et de défense tels qu’ils s’appliquent à la personnalité a été élaborée par Hogan. Dans son résumé, il mentionne huit affirmations qui décrivent la façon dont le comportement défensif se construit :

  1. La menace existe dès que les expériences sont perçues ou prévues comme en désaccord avec la structure du moi.
  2. L’anxiété est la réponse affective à la menace.
  3. La défense est la suite du comportement en réponse à la menace, le but étant le maintien de la structure.
  4. La défense met en jeu le refus ou la déformation de l’expérience perçue de manière à réduire le désaccord entre expérience et structure du moi.
  5. La conscience de la menace, mais non la menace elle-même, est réduite par le comportement défensif.
  6. Le comportement défensif augmente la susceptibilité à la menace, en ce sens que les expériences refusées ou déformées pourraient être elles-mêmes menacées par des perceptions récurrentes.
  7. La menace et la défense ont tendance à se renouveler en séquences ; avec la progression de cette séquence, l’attention s’éloigne de plus en plus de la menace initiale mais d’avantage d’expérience est déformée et devient à son tour susceptible de menace.
  8. Cette séquence défensive est limitée par la nécessité d’admettre la réalité.

La théorie de Hogan aide à comprendre comment s’étend le comportement défensif de la personne en soulignant le fait que plus l’expérience sensorielle et viscérale est refusée à la symbolisation ou donne lieu à une symbolisation déformée, plus grande est la possibilité selon laquelle toute nouvelle expérience sera perçue comme menaçante car il y a une structure erronée étendue à maintenir.

17° proposition : Dans certaines conditions, notamment l’absence de toute menace pour la structure du moi, les expériences qui sont a priori en désaccord avec le moi peuvent être perçues et examinées par la personne et la structure du moi reconsidérée, dans le but d’assimiler et d’inclure de telles expériences.

Ceci est un fait clinique important, confirmé par de nombreuses situations thérapeutiques ; il  est difficile à formuler sous une forme généralisée précise. Il est clair que le concept du moi change dans le développement normal ainsi que dans la thérapie. La proposition précédente formule des faits à propos de la défense du moi. La 17ème proposition s’efforce de définir la façon par laquelle le changement peut se produire.

Prenons des exemples clairement tranchés et d’autres qui le sont moins. Dans la thérapie centrée sur le client, à travers la relation et la façon dont le thérapeute la gère, le client est progressivement assuré d’être accepté tel qu’il est car toute nouvelle facette de lui-même qu’il révèle est aussitôt acceptée. Lorsque les expériences qui ont été refusées auparavant sont symbolisées, elles sont transposées très progressivement sous une forme consciente. Et une fois qu’elles sont conscientes, le concept du moi s’élargit de sorte que ces expériences peuvent être inclues comme faisant partie d’un tout cohérent.

Dans une telle atmosphère (celle de l’ACP par exemple, nda), la mère rejettante est tout d’abord capable d’admettre la perception de son comportement : « Je suppose qu’il doit parfois lui sembler que je ne l’aime pas ». Puis ensuite, elle peut admettre la possibilité d’une expérience en désaccord avec son moi : « Je suppose que parfois, je ne l’aime pas ». Et progressivement, la formulation d’un concept plus large du moi se modifie : « Je peux admettre que je ne l’aime pas et que nous pouvons nous entendre de manière satisfaisante ».

Ou bien cette femme qui hait sa mère (et qui justifie le schéma du moi qui inclue une telle haine) en vient tout d’abord à reconnaître qu’il y a autre chose qu’un comportement haineux : « Je continue à nettoyer ma maison quand elle vient, comme si je lui montrais combien je suis bonne et comme si j’essayais de gagner ses faveurs ». Puis elle admet des expériences en contradiction à son concept du moi : « Je sens une réelle chaleur vis à vis d’elle, un sentiment global d’affection » ; progressivement, elle essaye de vivre avec un concept reconsidéré de son moi dans cette relation et en vient à élargir cette image d’elle-même à tel point que la tension se réduit : « Je m’entends très bien avec elle. C’est la chose la plus agréable que de constater que j’ai retiré ma mère de mon système. Je peux la prendre ou la quitter sans trop de tension ».

Si nous essayons d’analyser les éléments qui rendent possibles cette réorganisation de la structure du moi, il apparaît deux facteurs possibles. L’un est l’appréhension générée par un élément nouveau. L’exploration de l’expérience est rendue possible par le thérapeute et puisque le moi est acceptée à chaque étape de cette exploration (ainsi qu’est accepté tout changement qu’il pourrait révéler), il apparaît graduellement possible d’explorer des domaines nouveaux à vitesse sûre et ainsi les expériences refusées sont lentement et avec hésitation acceptées ; exactement comme un jeune enfant devient lentement et avec hésitation coutumier d’un objet effrayant.

Un autre facteur qui peut intervenir est que le thérapeute accepte toutes les expériences, attitudes et perceptions ; cette attitude peut être au moins temporairement et de façon partielle une étape vis à vis de l’expérience du client de devenir acceptable pour les autres.

Une question qui est parfois soulevée est que, si l’absence de menace pour le concept du moi était seulement nécessaire, la personne, lorsqu’elle est seule, devrait alors face à ses expériences incohérentes. Nous savons que ceci se produit dans des certaines circonstances. Un homme peut être critiqué pour son échec durable. A cet instant, il refuse d’admettre cette expérience comme valable parce qu’elle est trop menaçante pour l’organisation de son moi. Il nie son défaut et rationalise la critique. Mais plus tard, quand il est seul, il peut reconsidérer la question et accepter la critique comme étant juste ; il révise alors l’image de son moi et par suite son comportement.

Pour donner un exemple plus simple, considérons l’enfant qui sent qu’il n’a pas le pouvoir de réaliser une certaine tâche (construire une tour ou réparer une bicyclette). Il peut pourtant considérer, alors qu’il travaille sans espoir à cette tâche, qu’il réussit bien finalement. Cette expérience étant en désaccord avec le concept qu’il a de lui-même, elle ne peut pas être intégrée d’un coup. Mais si l’enfant est laissé à lui-même, il assimilera progressivement, de sa propre initiative, une révision du concept de son moi, et alors qu’il est généralement faible et sans pouvoir, il a de ce point de vue une certaine capacité. Ceci est le chemin normal par lequel, en l’absence de menace, sont assimilées de nouvelles perceptions. Mais si le même enfant s’entend répéter par ses parents qu’il est compétent pour réaliser cette tâche, il va alors prouver par son comportement qu’il en est incapable. En effet, l’intrusion de cette notion de compétence constitue une menace pour son moi, il va alors y résister avec force.

Il est clair qu’une analyse plus fine est requise pour définir les conditions exactes qui sont nécessaires pour permettre une réorganisation du concept du moi et l’assimilation d’expériences contradictoires. Nous connaissons certes une façon par laquelle cette réorganisation peut être réalisée, mais les conditions cruciales pour ce type d’expériences ne sont pas suffisamment définies.

Il est évident que ce qui est décrit ici est un processus d’apprentissage, peut être le plus important de ceux dont la personne est capable, précisément l’apprentissage de soi. On peut espérer que ceux dont la spécialité est la théorie de l’apprentissage commencent à utiliser leurs connaissances pour aider à décrire le chemin par lequel la personne apprend une nouvelle configuration de soi.

18° proposition : Quand une personne perçoit et accepte dans un système cohérent et intégré toutes ses expériences sensorielles et viscérales, alors il est nécessairement plus compréhensif vis-à-vis des autres et plus acceptant d’autrui en tant que personne distincte.

Cette proposition, réalité de notre travail thérapeutique, est maintenant renforcée par les travaux de Sheerer. C’est l’une des découvertes inattendues qui est issue de l’Approche centrée sur la personne.

Pour quelqu’un qui n’est pas familier de l’expérience thérapeutique, il peut apparaître comme relevant du souhait que d’affirmer que la personne qui s’accepte elle-même aura de meilleures relations interpersonnelles avec les autres du fait de sa propre acceptation. Mais d’un point de vue clinique, nous constatons cependant que la personne qui termine une thérapie est plus relaxée lorsqu’elle est elle-même, plus sûre d’elle-même, plus réaliste dans ses relations avec les autres et développe de manière notable de meilleures relations interpersonnelles.

Une cliente, discutant des résultats que la thérapie avait eus sur elle déclarait quelque chose de cet ordre : « Je suis moi-même et je suis différente des autres. Je deviens plus heureuse en étant moi-même et je me trouve de plus en plus capable de laisser les autres assumer la responsabilité d’être eux-mêmes ».

Si nous essayons de comprendre la base théorique de cela, elle semble être ainsi :

  • La personne qui refuse certaines expériences doit continuellement se défendre contre la symbolisation de cette expérience.
  • Par voie de conséquence, toutes les expériences sont perçues de manière défensive et comme de possibles menaces, bien plus que ce qu’elles sont en réalité.
  • Ainsi, les relations interpersonnelles, les mots ou les comportements sont expérimentés et perçus comme menaçants alors qu’ils ne le sont pas.
  • De même, les mots et les expériences des autres sont attaqués parce qu’ils représentent ou ressemblent à des expériences ayant généré la peur.
  • Il n’y a pas de réelle compréhension de l’autre en tant que personne distincte car celle-ci n’est perçue qu’en termes de menace (ou de non menace) pour le moi.
  • Mais lorsque toutes les expériences sont présentes à la conscience et sont intégrées, alors l’attitude défensive se réduit. Quand il n’y a pas besoin de défense, il n’y a pas d’attaque.
  • Quand il n’y a pas besoin d’attaque, l’autre personne est perçue pour ce qu’elle est réellement, une personne distincte, opérant en termes de sa propre signification, se basant sur son propre champ de perception.

Ceci peut paraître compliqué, mais c’est un fait confirmé par l’expérience quotidienne aussi bien que par l’expérience clinique. Quelles sont les personnes dans notre environnement ou dans tout groupe qui inspirent des relations de confiance, qui semblent capables de comprendre les autres ? Ce sont des personnes avec un haut degré d’acceptation de tous les aspects du soi. Dans l’expérience clinique, comment émergent les meilleures relations interpersonnelles ? C’est sur la même base. La mère rejettante qui accepte ses propres attitudes négatives vis à vis de son enfant trouve que cette acceptation, qui lui a initialement fait peur, la rend plus détendue vis-à-vis de son enfant.

Elle est capable de l’observer tel qu’il est et non simplement à travers l’écran de ses réactions défensives. En se conduisant ainsi, elle perçoit que son enfant est une personne intéressante, avec de mauvais traits mais aussi de bons vis-à-vis desquels elle perçoit parfois de l’hostilité et parfois de l’affection. Sur cette base confortable, réaliste et spontanée, une relation vraie se développe à partir d’une expérience vraie et satisfaisante pour les deux. Elle peut ne pas être faite seulement de douceur et de lumière, mais elle est de loin plus satisfaisante que toute relation artificielle. Elle est en premier lieu basée sur le fait de son acceptation du fait que son enfant est une personne distincte.

La femme qui hait sa mère en vient, après avoir accepté ses sentiments d’affection aussi bien que de haine, à voir sa mère comme une personne avec une variété de caractéristiques intéressantes, bonnes, vulgaires et mauvaises. Avec cette perception beaucoup plus précise, elle comprend sa mère, l’accepte pour ce qu’elle est et construit une relation vraie plutôt que d’être défensive vis à vis d’elle.

Les implications des aspects de cette théorie sont telles qu’elles stimulent notre imagination. Il y a là la base théorique pour des relations solides dans les domaines interpersonnels, dans les groupes aussi bien que les rencontres internationales. Posée en termes de psychologie sociale, cette proposition devient l’affirmation selon laquelle la personne (ou les personnes ou le groupe) qui s’accepte elle-même en profondeur, améliorera nécessairement ses relations avec ceux avec lesquels elle a des contacts personnels, en raison de sa plus grande compréhension et acceptation d’eux.

Cette atmosphère de compréhension et d’acceptation est le climat le plus apte à créer une expérience thérapeutique, et par voie de conséquence de créer les conditions de l’acceptation de soi.

Nous avons là une réaction en chaîne psychologique qui semble avoir d’extraordinaires potentialités pour la gestion des problèmes de relations sociales.

19° proposition : Au fur et à mesure que la personne perçoit et accepte ses expériences organiques et les intègre à la structure du moi, elle découvre qu’elle repositionne son système de valeurs du moment, lui-même largement basé sur des projections qui ont été symbolisées de manière déformée, ceci dans un processus d’estime de soi continu et organismique.

En thérapie, tandis que la personne explore son champ phénoménologique, elle en vient à examiner les valeurs qu’elle a introjectées et qu’elle a utilisées comme si elles reposaient sur sa propre expérience (voir la proposition 10). Elle en est insatisfaite et exprime souvent le fait qu’elle n’a jusqu’à présent seulement fait ce que les autres pensaient qu’elle devait faire. Mais que pense la personne elle-même de ce qu’elle devrait faire ? Là, elle est embarrassée et perdue. Si on lui fournit le soutien d’un système projeté de valeurs, que va-t-il se passer ? Elle se sent incompétente pour découvrir ou construire une alternative. Si elle ne peut plus distinguer comme elle devrait le « vrai » du « faux » d’un système projeté, comment peut-elle savoir quelles valeurs mettre à leur place ?

Progressivement, elle en vient à expérimenter le fait qu’elle est en train de porter des jugements de valeur d’une façon qui est nouvelle pour elle. Exactement comme un enfant attribue une valeur  sûre à  son expérience, en se basant sur les éléments fournis par ses propres sens comme l’indique la proposition 10.

De la même manière, le client trouve que c’est son propre organisme qui fournit l’élément sur lequel des jugements de valeur peuvent s’appuyer. Il découvre ses propres sens, son propre bagage physiologique, peut fournir des données pour établir des jugements de valeur et les réviser en continu. Personne n’a besoin de lui dire que c’est bon d’agir  de manière plus libre et plus spontanée, plutôt que de la manière rigide à laquelle il a été habitué. Il ressent que cela est satisfaisant et grandissant. Ou alors, lorsqu’il agit de manière défensive, c’est son propre organisme qui ressent la satisfaction immédiate d’être protégé, en même temps que celui-ci ressent l’insatisfaction à long terme d’avoir à rester sur ses gardes.

Il fait un choix entre deux voies d’action, avec crainte et de manière hésitante, ne sachant pas s’il a soupesé leurs valeurs respectives avec précision. Mais il découvre ensuite qu’il peut laisser sa propre expérience lui indiquer s’il a fait un choix satisfaisant. Il découvre qu’il n’a pas besoin de connaître ce que sont les valeurs justes ; à travers les données fournies par son propre organisme, il peut faire l’expérience de ce qui est satisfaisant et grandissant. Il peut mettre sa confiance dans un processus d’estime, plutôt que dans un système rigide, projeté, de valeurs.

Considérons cette proposition de manière différente : les valeurs sont toujours acceptées parce qu’elles sont perçues comme des principes constituant la sauvegarde, l’actualisation et la croissance de l’organisme. C’est sur cette base que les valeurs sociales sont projetées sur la culture. En thérapie, il semble que l’organisation qui se met en place, le fait sur la base de valeurs retenues parce qu’elles sont expérimentées comme maintenant et assurant la croissance de l’organisme, de façon distinctes de celles qui sont déclarées par d’autres comme étant pour le bien de cet organisme. Par exemple, une personne accepte de la part de sa culture la valeur selon laquelle : « On ne devrait jamais ni avoir ni exprimer des sentiments d’agressivité jalouse vis à vis de ses semblables ». La valeur est acceptée parce qu’il est présumé qu’elle contribue au grandissement de la personne, à la rendre meilleure.

Mais en thérapie, cette même personne considère cette valeur en termes d’un critère plus fondamental, précisément ses propres expériences sensorielles et viscérales : « Ai-je ressenti le refus d’attitudes agressives comme quelque chose me faisant grandir ? »  La valeur est évaluée à la lumière des arguments organiques personnels.

C’est dans le résultat d’évaluation de valeurs que nous bataillons sur la possibilité de similarités très fondamentales dans toute l’expérience humaine. En raison du fait que la personne teste de telles valeurs et parvient aux siennes propres, elle en vient à des conclusions qui peuvent être formulées de manière générale, à savoir que les valeurs les plus porteuses pour la croissance de l’organisme sont celles établies lorsque toutes les expériences et attitudes sont acceptées, à une symbolisation consciente et quand le comportement découle de la satisfaction signifiante et équilibrée de tous les besoins, ceux-ci étant disponibles à la conscience.

Le comportement qui s’ensuivra pourra satisfaire le besoin d’approbation sociale, le besoin d’exprimer des sentiments d’affection positifs, le besoin d’expression sexuelle, le besoin d’éviter la culpabilité et le regret aussi bien que le besoin de pouvoir exprimer des sentiments agressifs.

Ainsi, alors que la définition par chaque personne de ses propres valeurs pourrait laisser craindre une complète anarchie de valeurs, l’expérience montre que c’est l’opposé qui est vrai. Puisque toutes les personnes ont fondamentalement les mêmes besoins, y compris celui d’être acceptées par les autres, il apparaît que lorsque chacun formule ses propres valeurs sur la base de sa propre expérience directe, les résultats ne conduisent pas à l’anarchie mais à un haut degré de communauté et à un authentique système socialisé de valeurs.

L’un des termes ultimes ensuite, d’un choix de la confiance en la personne, en sa capacité à résoudre ses propres conflits, est l’émergence de systèmes de valeurs qui sont uniques et personnels, qui sont modifiés par des éléments changeant de l’expérience organique et qui sont en même temps profondément socialisés et possédant, dans l’essentiel, un haut degré de similitude entre les personnes.

Conclusion

Rogers nous dit qu’il s’est efforcé dans ce chapitre de présenter une théorie de la personnalité et du comportement qui soit en accord avec son expérience et ses recherches dans la thérapie centrée sur le client. Cette théorie est par essence phénoménologique et repose fortement sur le concept du moi comme structure explicative.

Ce chapitre constitue pour lui le point final du développement de la personnalité comme étant fait de la convergence fondamentale entre le champ phénoménologique d’expérience et le concept de structure du moi, une situation qui lorsqu’elle est réalisée, représenterait une liberté sans tension interne ni anxiété, une liberté également défaite de contraintes potentielles. Ceci représenterait le summum d’une adaptation orientée de manière réaliste qui signifierait l’établissement d’un système de valeurs individualisé ayant une forte similarité avec le système de valeurs de tout autre membre, également bien adapté, de la race humaine.

L’auteur considère que ce serait trop espérer d’imaginer que les nombreuses hypothèses de cette théorie s’avèrent toutes exactes. Mais il pense aussi qu’elles seraient utiles si elles s’avéraient être une stimulation pour d’autres études signifiantes de la profonde dynamique du comportement humain.

 

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Pour aller plus loin: 
Lire le livre de Carl Rogers, récemment réédité en 2016 : Psychothérapie et relations humaines; théorie de la thérapie centrée sur la personne. Dunod. (En particulier le chapitre 4 sur la théorie de la personnalité). 

L’auteur: Carl Rogers

Pour en savoir plus sur l’auteur, cliquer ici.