Les aventures du chat Fodur… à la découverte de soi-même (et de l’empathie !)

Il était une fois un chat fort sympathique, mais aussi très rebelle. Il s’appelait Fodur, un prénom sans doute d’origine turque, mais on n’a jamais bien su. C’est sa mère qui l’avait choisi après avoir lu un conte dont le héros portait ce prénom. Il était noir comme la nuit. Et ses yeux scintillaient d’une lumière profonde et mystérieuse. Un jour, il décida de quitter la maison familiale pour aller découvrir le vaste monde. Enfin, c’est ce qu’il disait à ces amis chats et chattes ! En réalité, il lui arrivait quelque chose d’étrange : parfois, il croyais être une panthère, une panthère forte et puissante. D’autres fois, il avait l’impression d’être une petite souris faible, déprimée et misérable. Cela lui causait quelques problèmes avec ses amis ; tantôt il était de mauvaise humeur et il devenait arrogant et cassant, parfois, à l’inverse, il devenait timide et silencieux.

Alors, une nuit de pleine lune, il prit sa sacoche et il se mit en route. Il marcha pendant des heures et des heures, des jours et des jours. Enfin, il arriva dans une forêt immense où il certainement il allait trouver de quoi manger En effet, il commençait à avoir très faim. Tout d’un coup, près d’un courant d’eau, il vit une gazelle et il s’approcha d’elle le plus discrètement possible.

– Je vais te manger, dit-il. Je suis une panthère.

– Ah oui ? Et moi, je suis un éléphant, répondit Demoiselle Gazelle qui se mit à rire aux éclats, et je vais te marcher dessus. Et elle s’en alla tranquillement en laissant le pauvre Fodur étonné et confus. En bougonnant, Fodur enfonçait avec force ses griffes dans les troncs des arbres et il arrachait toutes les fleurs sur son passage.

Soudain, il remarqua une souris, pas loin, qui faisait son ménage.

– Je vais te manger, lui dit Fodur en y mettant toute son agressivité et sa force de conviction.

– Hihihi, je ne pense pas que tu puisses me manger, tu as dit à ma voisine Dame Gazelle que tu étais une panthère, et tout le monde sait très bien que les panthères ne mangent pas de souris comme moi.

Cette fois Fodur était vraiment perplexe. Alors que s’en allait Mademoiselle Souris, il ne put retenir des larmes de rage, d’impuissance et de colère, peut-être aussi de tristesse. Il n’arrivait pas à déchiffrer ce qui lui arrivait. « je suis panthère, souris… chat peut-être ?, se demandait-il alors que ses larmes tombaient sur les feuilles vertes des fougères. Il était encore en train de sangloter lorsqu’il entendit une voix douce qui lui disait :

– Tu as l’air tout triste. Et peut-être que tu ne sais plus bien où tu en es… Fodur sentit une onde de chaleur qui lui traversait le corps. Il leva son petit nez couvert de morve et il vit, assis devant lui, un vieux chat aux poils dorés qui le regardait avec beaucoup de compassion et de tendresse.

– Oui, répondit-il d’une voix d’enfant. Je suis parti de chez moi et j’ai laissé ma famille qui doit être très inquiète. Et en plus, je… j’ai…euh… Sa voix était presque inaudible et il n’osait pas finir sa phrase tellement il avait honte de ce qu’il allait dire.

– Tu as fait quelque chose qui ne te plaît pas et que tu as du mal à raconter ?

– J’ai volé un sac plein de croquettes, murmura-t-il rapidement. Fodur jeta un regard furtif au vieux chat pour voir sa réaction. Mais rien n’avait changé dans son expression. Il n’avait pas l’air horrifié, bien au contraire. Son regard restait d’une grande bienveillance et ne le jugeait pas. Fodur se sentit comme s’il venait de renaître, tout propre et sans tâches.

– Qui es-tu ?

– Je suis un chat d’un certain âge, aux poils dorés. Et toi, qui es-tu ?

Fodur était en fait très sensible, mais son père lui avait aussi enseigné à être fort afin de pouvoir survivre dans le monde. C’est pour ça, que très vite, il avait appris à se montrer féroce, d’abord pour faire plaisir à son père et être digne de ses attentes, et aussi parce qu’il y trouvait quelques avantages vis-à-vis de ses copains. Très vite il oublia ses larmes, et il répondit au vieux chat de sa voix la plus rude :

– Je suis une panthère.

– humm, je vois, tu es une panthère… une panthère triste en ce moment, peut-être parce que tu n’as pas trouvé de gazelle à manger. Fodur resta en silence un long moment. Enfin quelqu’un le reconnaissait comme une panthère ! Cela était tellement nouveau que ses yeux s’emplirent de larmes. Mais en même temps, il se souvenait de ce que la gazelle et la souris lui avaient dit. Au milieu du silence de la forêt, on n’entendait plus que le doux bruit de la pluie dans son cœur. Il regarda le chat doré et avec ses yeux remplis de désespoir, il demanda :

– Qui suis-je ?

– C’est une très bonne question. Si tu as besoin de moi, j’habite dans le chêne là-bas, au coin du sentier qui monte vers la colline.

Le lendemain, Fodur se réveilla de très bonne humeur. Pendant la nuit, il avait eu une idée. Il se prépara, se nettoya le visage avec sa petite patte et il s’enfonça dans le bois. Chaque fois qu’il croisait d’autres animaux, il leur demandait : « Et toi, qui es-tu ? » Et ce qu’il entendit tout au long de cette journée ensoleillée le surprenait de plus en plus. Je suis un papillon, libre comme une fleur du ciel. Je suis une fourmi et je porte à manger pour ma reine. Je suis un hippopotame et je me lave dans la boue. Je suis une araignée et je tricote ma toile toute la journée. Je suis une fleur et j’offre mon parfum à toux ceux qui passent à mes côtés. Je suis un vautour et je mange des cadavres. Je suis une abeille et je fabrique du miel… Chaque animal semblait savoir parfaitement bien qui il était ; et en plus, heureux de l’être !

À dire vrai, Fodur ne comprenait pas grand chose. Qu’est-ce que cela signifie être une abeille ? Qu’est-ce que c’est être un lion ? Ça fait comment d’être une girafe ? Qu’est-ce qu’on ressent quand on est un canard ? Il marchait tranquillement, plongé dans ses pensées, sautant parfois de pierre en pierre, lorsque soudain, il se trouva nez à nez avec un serpent.

– Qui es-tu ?

– Bah un serpent, tu ne vois pas ?

– Une espère de vers de terre ?

– Pas tout à fait, répondit le serpent, qui, loin de se sentir vexé, s’amusait de l’innocence de Fodur car il était sûr de ses capacités et de son pouvoir. En plus, comme c’est bien connu, les serpents se fichent de l’avis des autres.

– Tu veux vraiment savoir qui je suis ?

– Oui – D’accord, je vais te proposer quelque chose : de te mettre dans ma peau.

Fodur ne répondit rien. L’idée lui faisait peur, mais en même temps, il était courageux. Le serpent, rapide comme un éclair, tira sa langue et le piqua, et c’est alors que Fodur pénétra dans le corps du serpent. Ce fut une expérience absolument incroyable : Fodur n’avait plus de poil mais des écailles, il n’avait plus de pattes, mais son corps était long et flexible. Sa moustache avait disparu, mais il avait une langue très fine. Il voyait le monde depuis le sol et la perspective était très différente de celle à laquelle il était habitué. Même les odeurs n’étaient plus les mêmes. Mais surtout, il se sentait comme un reptile et il se rendit compte que ses peurs étaient autres. Chat, il avait peur du loup. Maintenant il avait peur de l’aigle. De même, ses désirs avaient changé: chat, il rêvait d’un poisson frais. Maintenant il salivait à l’idée d’un petit lapin grassouillet.

– Maintenant, je sais qui tu es ! s’écria-t-il d’une voix joyeuse au serpent alors qu’il retrouvait peu à peu son corps de chat.

Cette expérience le toucha tellement que Fodur ne pu résister à l’envie d’aller tout raconter au vieux chat qui l’avait tant aidé. Sur le chemin qui menait à la maison de son ami, Fodur réflexionait profondément. Il commençait à comprendre beaucoup de choses. Soudain, il entendit des pleurs qui semblaient venir d’une caverne non loin. Il descendit au fond du ravin et s’approcha de la grotte. Là, il découvrit une petite chatte, même pas encore adolescente, recouverte d’une fourrure blanche comme la neige, et qui miaulait de chagrin. Elle lui rappela immédiatement sa petite sœur qui était identique, et il sentit fondre son cœur.

– Coucou toi, tu m’as l’air un peu triste.

D’une voix tremblante, Blanchette lui répondit : Je me suis égarée. Je ne sais plus où est ma maman.

Fodur était un vrai macho et pour dire vrai, il n’avait pas l’habitude de se plaindre. En plus, il errait seul depuis plusieurs semaines et il ne voyait pas bien quel était le problème de cette chatonne. Et alors ! Cette petite chatte est seule! Il n’y a pas de quoi fouetter un chat (!) « C’est bien agréable d’être libre », pensait-il quand il entendit un petit bruit et il aperçut une vipère, un peu agacée d’avoir été réveillé durant sa sieste. Il se souvint alors de son ami le serpent qui lui avait prêté son corps pendant un moment. Il décida alors de fermer les yeux et il tenta d’imaginer qu’il était Blanchette. Il se voyait avec sa fourrure blanche, et il alla jusqu’à faire l’effort d’imaginer qu’il avait huit mois et qu’il se retrouvait seul et perdu dans la forêt.

– Voilà, je vois ! Je sais. Je l’ai… Tu te sens seule, Blanchette. Tu te sens vulnérable et menacée. Tu as peur, et il semble que cela te paralyse et tu ne peux plus bouger d’ici pour aller à la recherche de tes parents.

Blanchette se sentit vraiment comprise par la réflexion de Fodur. Elle était désormais rassurée et surtout ne se sentait plus seule.

– Qui es-tu ? Pourquoi es-tu aussi gentil avec moi ?

– hum, hum…

Fodur s’éclaircissait la gorge. Il se sentait bizarre, sa tête lui tournait un peu ; il transpirait et soupirait profondément, tout en agitant son minois de tous côtés. Soudain, il se rappela les paroles de son vieil ami le chat aux poils dorés.

– Je suis un chat ! dit-il. Un chat noir, un peu grognon et rebelle, mais qui vient de comprendre ce que c’est que l’empathie. Je m’appelle Fodur.

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