Depuis 2004, une loi règlemente l’usage du titre de psychothérapeute. Mais ce cadre juridique sert-il à quelque chose ? Protège-t-il l’usager ? Permet-il d’y voir plus clair au sein de la nébuleuse psy ? À ces trois questions, la réponse est non. Trois fois hélas !

Et à vrai dire, l’introduction du terme de « psychopraticien » par certaines organisations professionnelles, loin de clarifier la situation, a plutôt créé un facteur de confusion supplémentaire… et n’a rien résolu : l’activité elle-même de psychothérapie n’est toujours pas définie.


Cet article a été publié initialement le 12 juillet 2017 sur le site web “Formation Thérapeute” sous le titre :Vous voulez devenir psychothérapeute ?”

 

Pour aller plus loin:

cadre légal psychothérapie

PSYCHOTHERAPIE : LE VIDE JURIDIQUE PERDURE

Clément Haudiquet
Juillet 2017 – MAJ Sept. 2025

À l’inverse des Américains, les psys français n’ont guère l’habitude d’afficher leurs diplômes sur les murs de leur cabinet. Tous les cliniciens vous le diront : rarissimes sont les patients qui leur demandent quelle est leur formation ou qui les interrogent sur leur méthode de référence. Non pas parce qu’ils sont aveuglément confiants, demeurés ou vulnérables (comme le législateur semble parfois le croire), mais tout simplement parce que s’ils sont là, assis en face d’un inconnu censé les aider, c’est qu’ils ont reçu une chaude recommandation d’un ami et que le premier contact a été satisfaisant ; ils se sentent compris, soutenus et accompagnés, ils avancent, et c’est ça qui leur importe.

Petit lexique psy

Une relation thérapeutique démarre généralement avec un a priori favorable de la part des clients. Peu leur importe d’où vient leur psy. En général, ils ne savent même pas s’il s’agit d’un psychothérapeute, d’un psychiatre, d’un psychologue, d’un psychanalyste ou d’un psychopraticien… si tant est que le grand public connaît la différence. Alors, avant d’aller plus loin, précisons rapidement ces catégories. Le psychiatre est un médecin spécialisé; c’est le seul qui est habilité à prescrire des médicaments, la plupart du temps des anxiolytiques ou des antidépresseurs parce que les dépressions constituent le gros de sa clientèle. Le psychologue, lui, a suivi des études de psychologie à l’issue desquelles il peut rejoindre le département des ressources humaines d’une grosse entreprise, un service médico-social ou un établissement scolaire. Il n’a pas été entrainé lors de son cursus universitaire pour accompagner des personnes en souffrance sur le moyen-long terme. Et ceux qui veulent travailler en libéral ressentent souvent le besoin de compléter leurs études par une formation à la psychothérapie (c’est d’ailleurs une obligation en Suisse, en Belgique et en Italie).

Le problème, c’est que la psychothérapie n’est toujours pas définie par la loi française. Et pourtant, on peut la considérer comme une discipline spécifique et autonome[1]. Les formations à la psychothérapie, dispensées par des organismes privés, sont d’ailleurs longues et couteuses (4 à 7 ans) ; elles enseignent, d’une part le cadre épistémologique et théorique d’un courant psychothérapeutique, et d’autre part, elles se focalisent sur le développement d’un savoir-faire qui permet au futur praticien d’accompagner au long cours des personnes vers le mieux-être et la maturité psychologique. Et le psychanalyste alors, vous demandez-vous ? Pour faire simple, et n’en déplaisent à ceux qui voudraient en faire une discipline à part, disons que la psychanalyse est une méthode de psychothérapie parmi d’autres, la plus connue bien sûr, et la plus ancienne puisqu’elle remonte au début du XXème siècle tandis que la plupart des autres écoles se sont développées au cours des années 50 [2]. Reste le cas du psychopraticien, un terme récemment apparu sur la scène française : nous y reviendrons plus loin parce qu’il nous faut d’abord comprendre le contexte de son émergence.

Histoire d’une législation avortée

Durant des décennies, n’importe qui pouvait accrocher à sa porte une jolie plaque en cuivre qui indiquait fièrement « psychothérapeute » ou « psychanalyste ». Personne n’y trouvait rien à redire, et encore moins la loi qui ignorait magistralement cette profession. Seul le Fisc s’y intéressait, un peu comme pour les prostituées à l’époque, sans statut mais cependant soumises à l’impôt. Tout a changé le 9 août 2004, avec la loi 2004-806 relative à la politique de santé publique, et notamment le fameux article 52. Celui-ci, assez court au demeurant, trouve son origine dans un amendement du député Bernard Accoyer visant à réglementer la profession de psychothérapeute : le Docteur Accoyer, médecin oto-rhino-laryngologiste (bien éloigné de la psychothérapie comme on peut l’imaginer) pensait qu’il serait judicieux de réserver notre belle profession aux psychologues et aux médecins. Autant le dire tout de suite, cette loi a accouché d’une souris.

Cette volonté de médicaliser la psychothérapie n’est pas nouvelle. Cela fait plus d’un siècle que la bataille se poursuit entre les tenants d’une psychothérapie fondée sur un modèle médical (suppression du symptôme) et ceux qui considèrent que la psychothérapie est un processus d’apprentissage de soi et de croissance vers la maturité émotionnelle. On se souvient qu’en son temps, Freud lutta contre la première tendance:  il ne voulait surtout pas que la psychanalyse soit réservée aux médecins; puis ce fut au tour de Carl Rogers aux Etats-Unis qui n’a eu de cesse de promouvoir l’accès de cette profession à des non médecins et des non psychologues.

Avant 2004, la pratique de la psychothérapie était donc libre en France, et il existait effectivement un vide juridique laissant la porte ouverte aux abus. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle toutes les  organisations professionnelles, conscientes des risques de dérives, avaient commencé à réguler la profession, sous l’impulsion de l’AFFOP et de lFF2P (Fédération Française der Psychothérapie et de Psychanalyse) en France, et au niveau européen sous l’égide de l’EAP (European Association for Psychotherapy) fondée en 1991. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’EAP créa le Certificat Européen de Psychothérapie (CEP) qui définit la psychothérapie et stipule des conditions strictes pour devenir psychothérapeute (pas moins de 1400 heures de formation). Tout le monde espérait à l’époque que la Commission européenne allait un jour harmoniser les législations des États membres et qu’elle s’appuierait sur les recommandations de l’EAP. Eh bien non, ce ne fut pas le cas : Bruxelles ne s’est jamais penché sur le sujet, et les différents pays, pour répondre à l’air du temps, ont élaboré progressivement leur propre règlementation. Alors qu’on ce ne cesse de vouloir harmoniser les réglementations européennes aux forceps, là où cela serait vraiment nécessaire, dans notre domaine professionnel, ce n’est pas le cas: aucune loi nationale ne se ressemble : Autriche, Allemagne, Italie, GB, Espagne, Belgique, France… Un vrai kaléidoscope. Dans cet élan régulateur individuel, personne n’a semblé se soucier d’une quelconque harmonisation des titres et des diplômes permettant la libre circulation des professionnels de la psychothérapie au sein de l’Union européenne.

En France, l’amendement Accoyer a bien sûr rencontré une vive opposition de la part des psychothérapeutes et des psychanalystes. Mais malgré tous les efforts de nos fédérations professionnelles, l’amendement a fini par être voté. Dans l’attente du décret d’application, les discussions avec le gouvernement se sont poursuivies pour essayer d’influer une dernière fois sur les textes réglementaires. Mais peine perdue : le décret a finalement été publié en 2010, soit six ans après la loi ! Preuve s’il en est de l’embarras du Ministère de la Santé qui ne savait pas très bien comment faire appliquer une loi aussi creuse qu’inutile. (Pour une analyse détaillée de la loi et des décrets d’application, lire ici).

Que dit la loi ? 

Ou plutôt ce qu’elle ne dit pas ! Car cette loi pèche surtout par ses carences. Elle n’aborde même pas la définition de la psychothérapie et ne précise ni son champ d’action ni ses modalités pratiques. Elle se contente de protéger le titre de psychothérapeute en le réservant à trois catégories de personnes : les psychologues (qui n’en ont que faire puisqu’ils ont déjà leur titre universitaire), les médecins (pourquoi eux ?) et les psychanalystes (sous certaines conditions de connaissances en psychopathologie et après un long stage pratique).

Autrement dit, et pour formuler les choses comme elles sont, la psychothérapie en tant que profession spécifique n’existe toujours pas, et les professionnels qui se forment à ce métier au sein d’instituts spécifiques n’ont plus accès à la dénomination de « psychothérapeute » (du moins s’ils ne sont pas psychologues ni médecins). Autre conséquence ubuesque: n’importe qui peut pratiquer la psychothérapie et s’auto-baptiser comme il l’entend. C’est d’ailleurs ce qui se passe…

Au sein de la profession, un vaste débat s’est engagé pour trouver une nouvelle étiquette aux professionnels de la santé mentale désormais dépourvus de titre. Il y eut de nombreuses propositions, certaines assez imaginatives ou amusantes (psychopeute, psyprat, praticien de la psyché, etc.), jusqu’à ce que s’impose, plus ou moins implicitement, le terme de «psychopraticien» qui, à défaut d’un vocable plus convaincant, semble avoir fait l’objet d’un consensus mou au sein de la profession. De toute façon, comme les vrais spécialistes de la psychothérapie ont l’interdiction de porter le titre de l’activité qu’ils pratiquent et que nous sommes toujours dans un vide juridique, chacun est libre de graver sur sa plaque le terme de son choix : « coach », « professionnel de la psychothérapie », « gestalt-thérapeute », “thérapeute centré sur la personne”. Toutes les appellations sont possibles puisque qu’aucune n’est réservée… jusqu’à la prochaine loi.

Dans ce contexte kafkaïen, les fédérations professionnelles ont longtemps hésité avant de  se mettre d’accord sur une stratégie à adopter. Et il y avait de quoi être perdu ! Des décennies d’efforts pour encadrer la profession et imposer des formations sérieuses aux instituts, et tout cela réduit à néant par un malheureux article auquel personne ne s’attendait ! La loi de 2004 aura eu au moins une conséquence inattendue, celle d’avoir provoqué la restructuration des organisations professionnelles, avec des regroupements, de nouvelles alliances et de nouveaux acronymes. C’est que de nombreux professionnels restent favorables au maintien du terme de psychothérapeute et aimeraient bien que se poursuivre d’une manière ou d’une autre le lobbying auprès des pouvoirs publics pour provoquer une révision de la loi. Mais la FF2P a très vite abandonné cette voie pour privilégier celle de la création d’un nouveau métier, celui de psychopraticien, qu’elle tente de faire reconnaître depuis 2014 par le Registre National des Certifications Professionnelles. Mais malheureusement, cela s’est conclu par une réponse négative (voir ci-dessous la mise à jour de la situation).

Où va-t-on ?

Bien malin qui pourrait le prédire. Il est possible que soit reconnu prochainement le métier de psychopraticien. Mais aura-t-on avancé pour autant ? Le changement de nom suffira-t-il pour asseoir la légitimité de notre profession ? Bien sûr que non. Les professionnels se retrouveront exactement comme avant, sans cadre juridique, mais avec un peu plus de confusion grâce à deux appellations pour dénommer une seule et même activité ! Et la langue française – et ce n’est pas si anecdotique que cela – s’isolera un peu plus pour avoir créé un néologisme qui n’est plus l’équivalent du psychotherapist (anglais), du psychotherapeut (allemand, néerlandais), du psicoterapeuta (italien et espagnol) ou du psykoterapeut (danois) ? Mais sans doute est-ce la fameuse exception française qui veut que l’on devienne des psychopraticiens pratiquant la psychopratique.

Quel que soit le titre adopté – et c’est là le point important – si l’activité elle-même n’est pas définie par la loi, nous resterons dans un immense vide juridique. La seule voie possible est de convaincre le législateur et le gouvernement de reconnaître l’existence de la psychothérapie et par là même de ceux qui la pratiquent, c’est-à-dire les psychothérapeutes. Cela est possible, les Autrichiens l’ont fait.

Il est bien triste d’imaginer que, sous les coups d’un pouvoir borgne et d’une résignation prématurée, nous renoncions à la lutte pour maintenir dans notre langage ce beau mot d’origine grec, therapeutês, qui signifie exactement ce que l’on fait : « serviteur », « celui qui prend soin de ».

MAJ du 25/09/2025: Récemment, la FF2P (Fédération Française de Psychothérapie et de Psychanalyse) a décidé de changer d’orientation stratégique en annonçant vouloir faire reconnaître la pratique de la psychothérapie par les pouvoirs publics. A suivre… Nous vous tiendrons au courant de l’évolution de la situation. 

 

NOTES

[1] Lors de la Déclaration de Strasbourg adoptée en 1990 par l’Association Européenne de Psychothérapie (EAP), les organisations professionnelles des pays adhérents se sont engagés formellement à faire de la psychothérapie une profession cohérente et indépendante dans tous les pays d’Europe. À l’époque, la FF2P a joué un rôle moteur dans cette déclaration d’intention, mais depuis quelques années cet engagement semble être passé au second plan, voire oublié.

[2] La psychanalyse se trouve en fait dans une situation ambigüe, voire incohérente. Soit elle fait partie des psychothérapies et alors, rien ne justifie son régime particulier vis-à-vis de la loi. Soit elle est une discipline à part, mais alors il faudrait qu’elle nous explique en quoi elle diffère fondamentalement des autres méthodes psychothérapeutiques, au-delà bien sûr de l’épistémologie et de la méthodologie.

L’auteur
Clément Haudiquet est directeur d’ACP-France, institut de formation à l’Approche centrée sur la personne. Pour en savoir plus sur l’auteur